“Trump continue à se comporter comme un immature et instable narcissique”

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Donald Trump est l’Américain le plus riche à devenir président de son pays. Un homme d’affaires milliardaire peut-il faire un bon président ? Mais au fait, quel type de businessman Donald Trump a-t-il été ?

Vendredi, le démocrate Barack Obama a remis les clés de la Maison-Blanche à l’atypique homme d’affaires Donald Trump. Le nouveau président est réputé comme un entrepreneur sûr de lui, qui n’est pas habitué à la contradiction. Les Américains ont une grande admiration pour les success-stories dans le monde du business. “Je suis riche. J’ai réussi.” Trump estime qu’il a de la sorte acquis les capacités adéquates pour devenir le CEO d’un pays de 322 millions d’habitants. La moitié des électeurs américains ont osé cette aventure, bien que Trump n’ait jamais endossé de fonction politique ou militaire. Dans sa campagne électorale, il a fait valoir que sa richesse faisait de lui la personne indiquée pour devenir président. Quelle est l’ampleur de sa richesse ? Seuls son comptable et lui-même le savent.

Le passé entrepreneurial de Trump n’est pas sans taches, mais tout ce qui brille dans la Trump Tower est fait d’or. La tour a été un grand succès commercial lors de son achèvement en 1983, Trump habite et travaille au sommet du gratte-ciel désormais quelque peu vétuste de la Cinquième Avenue. Les étages des appartements ne commencent qu’au trentième étage, pour faire paraître le bâtiment encore plus grand. Dans l’atrium, l’eau s’écoule le long du marbre rose. De la glace est à vendre au Trump Ice Cream Parlor. Concernant sa richesse, Trump s’enorgueillit: “Les gens découvrent seulement maintenant la grandeur de cette entreprise.” Il ajoute: “Je n’ai que très peu de dettes.” Et ce alors que Trump a au moins 315 millions de dollars en banque.

Génétiquement supérieur

L’attitude de Trump projette-t-elle une ombre sur les quatre prochaines années ? Le journaliste d’investigation américain David Cay Johnston, l’auteur de la biographie The Making of Donald Trump, le pense bien. “Trump continue à se comporter comme l’irascible, immature et instable narcissique qu’il est. Cela ne changera hélas plus jamais. Il est renforcé dans la conviction de sa supériorité sur les autres – pas seulement génétiquement, comme il le dit, mais aussi parce qu’il pense qu’il est extrêmement intelligent. Ses conférences de presse avant l’investiture bouillonnaient déjà de ce qui nous attend: mesquinerie, autoglorification, manque de compréhension des enjeux éthiques les plus fondamentaux et évitement des questions embarrassantes. “Trump refuse de renoncer sérieusement à son entreprise.” Un autre biographe, Tim O’Brien, a qualifié Trump de la sorte: “Il est juste un gamin avec un sac de billes. Il ne peut se défaire de la moindre petite bille.”

Dans sa fougueuse vie d’homme d’affaires et d’entrepreneur, l’objectif principal de Trump a été de gagner de l’argent. Il a toujours été impudemment honnête à ce sujet. Maintenant qu’il est devenu président, il doit démontrer qu’il peut également conquérir la prospérité pour le reste de son pays. Il veut diriger le pays comme ses entreprises. Comment cela se déroulera précisément, ce n’est pas encore clair. Sa personnalité peut jouer un rôle aussi important que ses plans politiques. En tant que CEO, Trump est réputé pour son style de management autoritaire. Le ponte de l’immobilier et des reality shows ne tolère pas beaucoup la contradiction. Il agit de manière instinctive et il s’emporte vite dans ses 140 signes sur Twitter. Trump est le type d’entrepreneur qui contrôle lui-même chaque facture. Il travaille de préférence avec un petit cercle de fidèles, comme il ressort aussi de la désignation de son gendre Jared Kushner comme conseiller.

Aux États-Unis, il n’y a pas beaucoup de journalistes qui ont interviewé autant de dirigeants d’entreprises qu’Andrew Ross Sorkin du New York Times. À la question si un CEO à succès peut aussi être un bon président, voici ce qu’il a répondu au lendemain des élections: “Il y a des CEO d’entreprises du Fortune 500 qui devraient pouvoir devenir président. Ils ont le talent, l’expérience et la vision nécessaires. Votre intégrité doit être au-dessus de tout soupçon. Je ne pense pas que Trump réponde à ce profil. Dans un monde normal, c’est impossible. Mais nous ne vivons pas dans un monde normal.”

Virer et aller de l’avant

Trump reflète l’époque actuelle comme personne. Il a décrit l’Amérique comme un pays qui risque de s’effondrer et qui ne peut être sauvé du naufrage que par lui. Sans amis à Washington, l’entrepreneur a atteint le sommet de la politique américaine. C’est une performance qui n’a jamais été réalisée auparavant. Trump a l’intention de diriger le pays comme un homme d’affaires qui n’hésite pas à prendre des mesures pénibles. Des grandes diminutions d’impôt sont en perspective pour les entreprises. Mais celles qui délocalisent des emplois ou des sièges sociaux seront sévèrement sanctionnées.

Cay Johnston pense que Trump n’aura pas la vie facile et qu’il sous-estime son opposition. “Les hommes d’affaires peuvent virer les gens et aller de l’avant. Les présidents n’ont pas ce luxe.” Ils sont confrontés à des forces opposées qu’ils ne contrôlent pas. “Un président ne peut pas renvoyer un chef d’État qui le gêne, il ne peut pas imposer des lois à la représentation populaire et il ne peut pas se soustraire aux prononcés des juges – du moins si nous désirons rester un peuple libre qui se soumet à la loi qui protège nos libertés individuelles. Trump a pourtant dit clairement qu’il ferait bel et bien toutes ces choses.” Son jugement est dur. “Il n’est pas un homme qui aime l’examen minutieux et le débat mûrement réfléchi, mais un narcissique qui s’exprime dans un langage intolérant et qui comprend peu de choses à la scène mondiale, aux stratégies militaires ou au fonctionnement quotidien de la Maison-Blanche.”

Dans leur livre Trump Revealed, les journalistes du Washington Post ont écrit que Trump pense que son travail quotidien sera comparable à ce qu’il fait déjà depuis des décennies. “Dans la Trump Tower, il n’avait pas d’ordinateur sur son bureau et il ne lisait jamais de rapports ou des instructions détaillés. Il se tenait de préférence informé oralement, et vite.” L’anecdote suivante est révélatrice. “Un jour, il a reçu la visite d’une délégation de CEO des industries pétrolière, métallurgique et de la distribution. L’un d’eux a raconté à Trump que les Chinois profitent des États-Unis. Il a voulu fournir un rapport à ce sujet à Trump. Ce dernier a répondu: ‘Faites-moi un plaisir et ne m’envoyez pas ce rapport. Envoyez-moi quelque chose de trois pages. Je suis très efficace. Je les préfère courts. Il n’y a pas la moindre raison de lire des centaines de pages, car j’ai beaucoup de bon sens et de sens des affaires.”

L’antipoliticien ultime

Trump n’est pas le premier Américain riche à accéder à la présidence. Au 18e siècle, le premier président américain, George Washington, possédait une plantation qui reposait sur le travail gratuit de l’esclavage. “Dans l’histoire récente, Trump est toutefois le premier vrai homme d’affaires au centre de la puissance politique”, souligne le professeur d’histoire financière Richard Sylla, une figure importante aux commandes du Museum of American Finance à Wall Street. “George W. Bush était notre premier président diplômé d’un MBA, mais cela n’a bien sûr pas été un grand succès. Son père avait une expérience des affaires, mais cette carrière avait été de courte durée.” Le Républicain Mitt Romney, qui a perdu en 2012 contre Obama, était devenu riche grâce à sa société d’investissement Bain Capital. Mais malgré son profil modéré, il n’a pas pu convaincre les électeurs.

Au temps où Romney aspirait à la présidence, l’économiste Robert Shiller avait écrit que l’expérience du monde des affaires avait surtout été considérée comme un avantage dans les temps de prospérité économique des années vingt. Warren G. Harding était un magnat de la presse dans l’Ohio qui a conquis la Maison-Blanche en 1921. Le président Calvin Coolidge, qui avait fait une formation d’avocat et avait travaillé quelque temps auprès de la Nonotuck Savings Bank dans l’Etat du Massachusetts, a été son successeur. Il a un jour prononcé ces paroles légendaires: “Les affaires les plus importantes pour les Américains sont les affaires”. Herbert Hoover, le 31e président des États-Unis à la fin des années vingt, était devenu milliardaire dans l’industrie minière d’Australie. Il est, selon Sylla, le seul autre exemple d’entrepreneur pur jus à la Maison-Blanche. “Hoover était un véritable homme d’affaires, contrairement aux Roosevelt par exemple. Ces derniers provenaient de familles qui étaient devenues riches dans le monde des entreprises au cours des générations précédentes.”

L’Europe a quant à elle fait l’expérience d’un milliardaire entrepreneur controversé en politique. La comparaison avec l’Italien Berlusconi est souvent évoquée. Au printemps 2016, le journaliste Alexander Still écrivait au sujet de Trump et Berlusconi: “Lorsqu’ils sont entrés en politique, ils se sont tous deux érigés comme l’antipoliticien ultime. Comme l’entrepreneur plein de succès qui entame le combat électoral avec de ternes politiciens professionnels qui n’ont encore jamais eu à payer un salaire.” Berlusconi et Trump enchaînent les remarques provocatrices et obscènes. Mais c’est bon pour l’audimat et leurs scores politiques. Still prévient que la surévaluation personnelle et la sous-estimation des adversaires politiques guettent ce type de dirigeants. L’auto-destruction est un danger. Chez Berlusconi, cela a duré dix-sept ans. Trump est adoré par la moitié des Américains. Avec sa politique économique, l’homme d’affaires peut continuer à booster sa popularité à court terme.

Trop sauvage

Sylla pense que la nature commerciale du gouvernement Trump marquera fortement Washington. “Ce sera une différence essentielle avec le gouvernement Obama. En tant qu’homme d’affaires, Trump pense que les personnes comme lui ont des idées bien meilleures que les économistes issus du monde académique dont s’entourait Obama. Il suffit d’observer les personnes qu’il rassemble autour de lui: l’investisseur Wilbur Ross, le CEO d’Exxon Rex Tillerson et Gary Cohn de Goldman Sachs.” Ce n’est pas une garantie de succès, dit Sylla. Il qualifie les promesses de Trump de “trop sauvages”.

Trump promet que l’Amérique aura “tout autant de succès” que la Trump Organization. Avec six faillites, la réalité n’a pas été aussi florissante que Trump la présente. La société déficitaire Trump Casino Hotels & Resorts était entrée en bourse en 1995. Cela avait conduit à une débâcle pour les entrepreneurs, les investisseurs et les banques qui ont financé Trump. Comme bien souvent, Trump s’en est lui-même bien sorti. Les milliards de pertes lui ont procuré d’énormes avantages fiscaux pendant des années, comme cela avait été révélé lors de la campagne électorale. Combien, ce n’est pas clair, parce que Trump garde sa déclaration fiscale secrète, contrairement à la tradition des présidents américains. Trump s’est vanté que cela prouve uniquement qu’il est un homme d’affaires intelligent.

Beaucoup de ce que Trump touche se transforme en poussière…

“Un Midas moderne”, disait Cay Johnston de l’homme qu’il suit déjà depuis les années quatre-vingt. “Mais beaucoup de choses qu’il touche se transforment en poussière et non en or.” L’auteur explique que la transition de la présidence vers le monde des entreprises est plus facile que l’inverse. “Une transition vers la politique est remplie de conflits culturels et organisationnels. Les sociétés avec un seul propriétaire comme la Trump Organization sont dirigées comme des dictatures, alors que les dirigeants dans les démocraties ont des marges de manoeuvre limitées. Ils doivent négocier des compromis.”

Trump s’érige donc comme l’homme le plus riche ayant jamais occupé la Maison-Blanche. Il dit ne pas avoir besoin de salaire annuel, tout comme son gendre. Il a ses propres avions et hélicoptères, et sa famille peut utiliser Air Force One. Trump dispose du lieu de villégiature présidentiel à Camp David, mais il a sa propriété récréative personnelle en Floride. Il dit: “je ne deviens pas un président qui prend des congés et qui part en vacances.”

Gerben Van Der Marel à New York

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