Travailleurs détachés: l’UE parvient à un accord

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Les ministres européens de l’Emploi et des Affaires sociales sont parvenus à un accord sur la délicate réforme de la directive du travail détaché après douze heures de négociations à Luxembourg, lundi soir.

La commissaire européenne Marianne Thyssen a annoncé qu’une issue avait été trouvée vers 22h30 lundi pour des règles garantissant que les travailleurs détachés bénéficient du même salaire que les employés locaux lorsqu’ils effectuent un travail similaire au même endroit. Un certain nombre de pays d’Europe centrale et de l’Ouest n’ont toutefois pas souscrit au compromis.

Une large majorité de ministres se sont rangés derrière la proposition de la commissaire Marianne Thyssen assurant que les travailleurs détachés aient droit au même paquet salarial que les employés locaux.

“Salaire égal pour un travail égal”

“Accord sur les travailleurs détachés. Salaire égal pour un travail égal au même endroit, au coeur de l’Europe sociale”, a communiqué sur le réseau social Twitter la Belge Marianne Thyssen.

L’accord fait en sorte que les compensations pour travail hivernal, le treizième mois ou d’autres primes éventuelles seront aussi versés aux travailleurs détachés. Ceux-ci payeront toutefois toujours la sécurité sociale dans leur pays d’origine.

Le ministre belge de l’Emploi, Kris Peeters (CD&V) a immédiatement salué l’accord soulignant que “des règles plus sévères contre le dumping social sont une étape importante vers une Europe plus sociale”.

A la demande de la France, la période maximale d’un détachement est abaissée de 24 à 12 mois. Les entreprises peuvent toutefois motiver une demande pour repousser ce terme à 18 mois.

L’écueil du secteur du transport

La commissaire Thyssen s’est félicitée d’un “accord équilibré”. La Pologne, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie n’ont cependant pas approuvé le compromis. Ces pays déplorent que les textes soient trop vagues en ce qui concerne le secteur du transport. C’est aussi pour cette raison que le Royaume-Uni, l’Irlande et la Croatie se sont abstenus. Les ministres européens chargés du Transport doivent de leur côté se pencher sur des règles spécifiques à ce secteur.

Les syndicats socialiste UBT et chrétien CSC-Transcom redoutent que le secteur du transport ne soit le grand oublié du compromis.

Le syndicat socialiste craint que cela ne donne lieu à toute une série d’exceptions pour le secteur du transport, ce qui conduirait à saper les nouvelles règles en matière de détachement voire à les abandonner. “L’accord sur le détachement: une avancée apparente qui laisse orphelin le secteur du transport”, estime l’UBT.

Même son de cloche du côté de la CSC-Transcom qui parle d’un “compromis inacceptable” adopté par les ministres européens. “Les nouvelles règles de détachement seront appliquées au transport routier uniquement à partir du moment où la partie détachement de la proposition du paquet mobilité de la Commission Européenne sera adoptée. En d’autres mots, alors que pendant une paire d’années, lorsqu’ils seront détachés, des travailleurs d’autres secteurs auront accès à l’entièreté de la rémunération du pays dans lequel ils travaillent, les chauffeurs routiers professionnels ne seront autorisés qu’à percevoir le salaire minimum de ce même pays”, fustige le syndicat chrétien.

Le président de l’UBT, Frank Moreels, pointe du doigt les pays de l’est ainsi que l’Espagne et le Portugal. “Ils veulent tous les avantages de l’Union européenne, mais sans les devoirs”.

L’UBT juge encore que la durée du détachement de 18 mois maximum “est et reste trop longue” et regrette que les Etats membres disposent d’un délai supplémentaire pour transposer les nouvelles règles dans leur droit national.

Enfin, le syndicat socialiste est d’avis que les cotisations sociales doivent être payées dans le pays de travail et non dans le pays d’origine.

Le syndicat appelle le gouvernement à faire en sorte que les nouvelles règles sur le détachement soient applicables dans le secteur du transport. Mais l’UBT n’oublie pas le parlement européen. “Les députés européens ont une responsabilité écrasante. Veulent-ils mettre fin vraiment au dumping social ou l’Europe sociale restera-t-elle une notion vague pour beaucoup d’entre eux?”, interroge le syndicat.

Ne pas oublier l’aspect des contrôles efficaces

Et attention à ne pas oublier l’aspect des contrôles efficaces pour que les règles soient applicables en pratique, met en garde mardi la Fédération belge des transporteurs et des prestataires de services logistiques.

“La Febetra en appelle à toutes les instances concernées (…) de ne pas perdre de vue l’aspect ‘contrôles efficaces’ et de veiller à ce que les règles soient applicables en pratique. Cela n’a pas de sens d’investir de l’énergie dans de nouvelles règles s’il s’avère par après qu’elles sont incontrôlables et/ou inapplicables”, dit la fédération dans un communiqué.

“Si les services de contrôle rechignent à échanger des informations ou s’ils ne sont pas disposés à collaborer au-delà des frontières, comme cela fut souvent le cas dans le passé, nous n’aurons pas avancé dans la lutte contre le dumping social”, poursuit la Febetra.

Deux millions de travailleurs détachés

En 2015, la Commission européenne a estimé que plus de 2 millions de travailleurs étaient détachés par leur employeur dans un autre pays de l’Union européenne. En Belgique, ce contingent représentait 156.000 personnes, dont la moitié employés dans le secteur de la construction. La Belgique a détaché aussi 80.000 travailleurs cette année-là.

Selon les chiffres belges, le nombre de travailleurs détachés sur le territoire a augmenté en 2016 pour passer à 185.000. Ils sont principalement originaires des pays voisins, suivis par la Pologne et le Portugal qui figurent au top cinq des pays d’où proviennent les travailleurs détachés.

En raison de zones grises dans la législation actuelle, la directive en l’état actuel ouvre la porte à du dumping social et des pertes d’emplois dans les pays d’accueil, et une fuite des travailleurs dans les pays d’origine.

L’avancée lundi soir à Luxembourg pour corriger ces dysfonctionnements au sein de l’UE n’est qu’une étape dans le processus de décision. Les ministres doivent désormais négocier leur position avec les représentants du Parlement européen. La commissaire européenne Thyssen espère que l’accord sera finalisé d’ici l’été prochain. Les Etats membres de l’UE souhaitent se donner trois ans pour transposer la réforme des règles européennes dans leur législation, et un an encore pour les mettre en application.

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