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Salaire des CEO: comment jeter inutilement de l’huile sur le feu

Le ministre Alexander De Croo enterre la limitation des salaires des top managers dans les entreprises publiques, alors que des négociations sociales sont en cours, notamment chez Belgacom.

L’encre de l’accord obtenu sous le gouvernement précédent est à peine sèche, que le vice-premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) s’empresse de le déchirer. Comme l’ont révélé nos confrères de l’Echo, le ministre considère que le plafond salarial imposé aux patrons des entreprises publiques est nul et non avenu.

Selon Alexander De Croo, aucun texte légal n’impose une quelconque limite salariale. L’accord obtenu par Jean-Pascal Labille (PS), ministre des Entreprises publiques sous le gouvernement Di Rupo ne vaudrait donc pas tripette. Qu’importe le fait que l’Open VLD, le MR et le CD&V, tous trois membres du gouvernement précédent comme du gouvernement actuel, l’aient avalisé.

Un accord bancal

Il est vrai que l’accord était, sur le fond, plutôt bancal. Il ne s’appliquait pas à toutes les institutions et entreprises publiques, ou gravitant dans le giron de l’Etat : la FSMA et la Banque Nationale en étaient exclues, de même que Belfius. Il mettait sur le même pied des entreprises aux défis et profils fort différents : gérer la SNCB est autrement plus complexe que gérer la Loterie nationale. Il fixait des plafonds arbitraires, dégagés un peu au “pifomètre” : 290.000 euros (+10 % de variable possible) sont censés correspondre au salaire du Premier ministre, 500.000 euros (+30 % de variable possible) pour Belgacom et bpost sont censés correspondre à des “standards de marché”. Et il ne réglait la situation que pour le futur (forcément), laissant des contrats existants intacts, avec des membres de comité de direction – voire des hauts cadres – qui gagnaient (et gagnent encore) plus que leur propre CEO.

Le compromis était donc bancal, mal fagoté. Mais il avait le mérite d’exister. Rappelons tout de même qu’il a été dégagé au cours d’une période d’austérité imposée à tous les niveaux de l’Etat. Il était difficilement imaginable que les top managers des entreprises publiques ne participent pas à l’effort. Cette situation a-t-elle changé depuis l’arrivée de la nouvelle équipe gouvernementale ? Pas le moins du monde. Tous les départements de l’Etat doivent se serrer la ceinture.

La SNCB ne sera pas épargnée. Par contre, leurs dirigeants pourront demander une rallonge de salaire à leur conseil d’administration, estime Alexander De Croo. Les syndicats, singulièrement du côté des cheminots, risquent de la trouver mauvaise, alors que des coupes sombres s’annoncent sur le rail. La ministre de la Mobilité Jacqueline Galant (MR) semble d’ailleurs l’avoir compris : prenant le contrepied d’Alexander De Croo, elle estime qu’il ne faut pas revenir sur l’accord signé par le gouvernement précédent.

Une fonction de symbole

La limitation des salaires dans les entreprises publiques ne répond cependant pas réellement à une volonté d’économies : les montants en jeu sont importants au niveau du salaire individuellement perçu par ces dirigeants, mais ils ne pèsent pas grand-chose sur le budget de l’Etat.

La mesure a surtout valeur de symbole. C’est particulièrement vrai chez Belgacom, où elle n’aura aucun impact sur les finances publiques. Belgacom ne coûte rien : l’entreprise rapporte de l’argent via les dividendes versés à son actionnaire majoritaire, l’Etat belge. Mais le salaire de l’ancien CEO de l’opérateur télécom, semblait hors de toute proportion avec le marché belge. Didier Bellens gagnait à l’époque environ 2,5 millions d’euros brut par an.

Ce salaire avait bien sûr été avalisé par le conseil d’administration (CA) de l’entreprise. Et c’est bien à ce mécanisme-là qu’Alexander De Croo souhaite revenir : laisser toute latitude aux CA pour fixer les packages de rémunération des dirigeants. Le ministre se dit “moins interventionniste” que son prédécesseur. Il veut laisser la politique en-dehors de tout ça. Mais laisser la main au CA n’y changera rien : la politique s’en mêlera toujours, puisque les CA de ces entreprises publiques sont exclusivement (SNCB, Loterie nationale…) ou majoritairement (Belgacom) composés de représentants de l’Etat, et sont donc toujours politisés. L’argument de la dépolitisation ne tient donc pas.

Un mauvais timing

Faire exploser les plafonds de 290.000 euros et 500.000 euros ne signifie pas que l’on reviendra du jour au lendemain aux montants en vigueur dans le passé, puisqu’il faudra obtenir l’accord des conseils d’administration concernés. Mais le signal et le timing sont particulièrement mal choisis.

Chez Belgacom, des négociations sont en cours entre la direction et les organisations syndicales. La sortie du ministre a déjà fait réagir les représentants CSC au quart de tour : “La CSC Transcom rappelle que l’accord sur la nouvelle organisation du top de [Belgacom], début 2014, avait pour condition le statu quo des coûts salariaux des membres de la direction qui avaient déjà été augmentés de 8% l’an passé. Remettre en cause cet accord serait une déclaration de guerre et le début de conflits sociaux”, attaque la CSC dans un communiqué.

Plus largement, le gouvernement tente de se rabibocher avec les syndicats pour relancer la concertation sociale. La sortie inutile d’Alexander De Croo n’aura servi qu’à compliquer la tâche de son collègue Kris Peeters (CD&V), ministre de l’Emploi, et à jeter un peu plus d’huile sur le feu.

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