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“Rulings” fiscaux: Peut-on faire confiance à l’Etat?

La nouvelle a fait grand bruit il y a quelques jours. Une société affirme que l’administration fiscale remet en cause un ruling régulièrement obtenu auprès du Service des décisions anticipées, concernant un système d’attribution d’options sur actions. Il est affirmé que des milliers de cadres et dirigeants de société risquent de se voir réclamer des impôts supplémentaires, en contradiction avec un accord donné par le Service des décisions anticipées (SDA) de l’administration fiscale, qui aurait accordé un ruling, et qui ne le respecterait pas.

Ce problème devait nécessairement arriver un jour, parce que la sécurité juridique des rulings fiscaux (dénommés ” décisions anticipées “) n’a jamais été réellement complète. La loi fiscale, dans le but d’offrir cette sécurité juridique aux contribuables, permet à ceux-ci d’exposer une situation qui va se présenter dans l’avenir et de demander à un service spécial de l’administration, le SDA, son accord quant aux consé-quences fiscales du projet. Si le SDA donne son accord, le contribuable s’attend à ce que l’administration doive le respecter.

La loi qui régit les ” rulings ” prévoit des exceptions, dont certaines sont compréhensibles. Il en est ainsi du cas où le ruling est déclaré sans valeur parce que le contribuable n’a pas exposé de manière exacte son projet ou a fourni des informations incomplètes. Sous réserve de la question de savoir quand une information est ” complète ” ou non, cela paraît logique. De même, les accords ne sont pas valables si la loi est modifiée après que le ruling a été accordé parce que, dans ce cas, c’est la loi nouvelle qui prime. C’est déjà une entorse à la sécurité juridique, mais c’est l’application de la primauté de la loi et cela peut encore se comprendre pourvu que celle-ci ne soit pas rétroactive.

Le risque de mise en cause d’un accord existe réellement et cela pourrait mettre en doute la fiabilité de tous les accords.

Plus complexe est l’hypothèse où le ruling a été accordé, et n’est pas contesté par l’administration fiscale, mais où la Commission européenne le considère comme une ” aide d’Etat ” illicite, et exige le remboursement de la réduction d’impôt obtenue. Dans ce cas, la sécurité juridique est clairement mise en cause, comme cela l’a été en Belgique pour les excess profit rulings obtenus par certaines multinationales.

La situation est plus grave lorsqu’il est question de remettre en cause des rulings simplement parce qu’ils ne sont ” pas conformes à la loi “. Et effectivement, la loi prévoit que l’administration n’est pas liée par un ruling ” lorsqu’il s’avère que la décision anticipée n’est pas conforme aux dispositions des traités, du droit communautaire ou du droit interne “. C’est la principale faiblesse du mécanisme. Le but de la décision anticipée est en effet de garantir une interprétation de la loi pour des opérations futures. Or, même lorsque la loi ne change pas, l’Etat peut considérer qu’il n’est pas lié par un accord, tout simplement en changeant son interprétation de la loi. Dans ce cas, le contribuable est obligé d’aller devant les tribunaux pour faire valoir, le cas échéant, sa propre interprétation, sans tirer aucune utilité du ruling puisque l’administration aura soutenu que sa propre décision n’est pas conforme à la loi.

Tout cela s’explique par le principe constitutionnel de légalité, suivant lequel le fisc est tenu d’agir conformément à la loi. Mais il faut reconnaître qu’il ne sert à rien d’obtenir d’une administration un accord sur une interprétation d’une loi fiscale, si elle peut, par la suite, changer son point de vue et remettre en cause cette interprétation.

Jusqu’à présent, on se fondait sur le caractère traditionnellement raisonnable de l’administration fiscale belge, qui ne renie normalement pas sa parole et l’on faisait confiance aux rulings émis par le fisc, en partant du principe qu’il s’abstiendrait d’invoquer l’illégalité de ses propres décisions, même si la loi le lui permettait. On voit aujourd’hui que le risque de mise en cause d’un accord existe réellement et cela pourrait mettre en doute la fiabilité de tous les accords. C’est ce qui condamne sans doute une doctrine fort en vogue dans certains milieux fiscaux, surtout au nord du pays, selon laquelle le contribuable et le fisc devraient ” collaborer “. La question examinée ici montre en effet qu’une telle collaboration est contre-nature, parce qu’elle a lieu entre un particulier et le pouvoir et que celui-ci peut changer les règles à sa guise. Le contribuable et le fisc sont des adversaires, qui doivent tous deux respecter la loi. En dehors de cela, toute collaboration entre eux est illusoire si l’on entend par là autre chose que la simple loyauté que l’un doit à l’autre.

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