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Restructuration chez Carrefour: “Ceci n’est pas une prépension”

Evoquer le surréalisme en dissertant sur la politique belge : le cliché est largement éculé. Je me permets cependant d’y recourir pour analyser le débat actuel sur la restructuration chez Carrefour.

Il tourne autour d’un point : faut-il, oui ou non, accorder la prépension aux travailleurs de plus de 56 ans du distributeur français ? Non, martèlent la N-VA et l’Open Vld. Oui, disent tous les autres. Ce débat mérite d’être qualifié de surréaliste car les prépensions ont disparu de notre législation depuis 2012, sous le gouvernement Di Rupo. La gauche, la droite et le centre s’invectivent donc à propos de quelque chose qui n’existe plus.

Bon, soyons honnêtes, la prépension a été remplacée par un système très proche : le chômage avec complément d’entreprise. Cette dénomination correspond bien mieux à la réalité. Les personnes concernées ne sont pas des retraités mais des demandeurs d’emploi qui bénéficient, en plus de leur allocation de chômage, d’un complément de revenu payé par leur ex-employeur. Avec ce complément, les anciens de Carrefour devraient continuer à percevoir 95 % de leur ancien salaire net. Mais comme tous les autres demandeurs d’emploi, ils devront se montrer ” disponibles ” sur le marché du travail. Cette disponibilité est toutefois ” adaptée “, ce qui signifie qu’ils n’ont pas l’obligation de chercher de l’emploi eux-mêmes, mais bien de répondre aux suggestions des services régionaux de l’emploi.

Dans les faits cependant, seuls… 0,5 % des chômeurs avec complément d’entreprise ont retrouvé un boulot lors du premier semestre 2017, lit-on dans le rapport annuel de l’Onem. On est vraiment très loin de la moyenne des retours vers l’emploi (12,6%). A cause du complément de revenu et de l’absence de dégressivité dans le temps de leurs allocations ? Peut-être. Mais ce complément peut aussi être un moyen de s’orienter vers un métier qui plaît, même s’il est moins bien rémunéré (retravailler permet en outre de se constituer des droits supplémentaires pour la pension), voire une assise pour lancer sa propre activité. Il y a quelques semaines, Trends-Tendances avait consacré sa couverture à ces 50+ qui rebondissent après un licenciement en créant leur entreprise. Plusieurs d’entre eux, pas forcément bardés de diplômes, ont pu prendre ce risque parce qu’ils disposaient de l’apport garanti de leur ex-employeur jusqu’à l’âge de la pension. Le complément de revenu peut donc s’avérer aussi un adjuvant pour un retour vers l’emploi.

Seuls 0,5 % des chômeurs avec complément d’entreprise ont retrouvé un boulot lors du premier semestre 2017. Ce n’est pourtant pas une fatalité.

Tout est une question d’état d’esprit. En premier lieu dans la tête des personnes licenciées, qui sont logiquement abattues après une telle sentence. Mais aussi au sein des organismes publics chargés de les accompagner et des employeurs jusqu’ici peu ouverts à l’embauche de travailleurs âgés. Cet état d’esprit, le monde politique ne contribue, hélas, pas à le positiver. Car qu’ils soient pour ou contre l’octroi du régime de chômage avec complément d’entreprise pour les travailleurs laissés sur le carreau par Carrefour, leurs querelles parlementaires ne font in fine que confirmer l’idée que ce régime correspond à une forme de pension anticipée et qu’il ne permettra à personne de retrouver du boulot. Déjà, s’ils n’employaient plus, dans leurs débats, le terme ” prépension ” qu’ils ont eux-mêmes gommé il y a quelques années, le marché du travail des 50+ ferait un pas en avant !

Un dernier mot, à propos de cet état d’esprit positif : pour qu’il percole à tous les échelons de l’économie, il serait judicieux que les écarts entre ces échelons ne soient pas démesurés. On ne peut pas d’un côté se séparer d’un millier de personnes (rien qu’en Belgique) et de l’autre, octroyer plus de 13 millions d’euros à son ex-patron (lequel a heureusement décliné la décision de l’AG), tout en espérant que les nouveaux ” demandeurs d’emploi avec complément d’entreprise ” regardent l’évolution économique avec un état d’esprit positif au lieu de se tourner vers des chimères populistes.

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