Quelle mouche a donc piqué la Creg ?

© Eric Lalmand/Belga

Maintien du nucléaire, remise en question de la nécessité d’effectuer un appel d’offres afin d’inciter les portefeuilles à (enfin) se délier pour investir dans le gaz et assurer la sécurité énergétique du pays, contradictions apparentes : en flinguant sans ménagements le plan d’équipement de Melchior Wathelet, le régulateur du secteur se décrédibilise-t-il tout aussi violemment ? En partie peut-être, mais les choses ne sont pas si simples.

Prolonger le nucléaire belge, déjà amorti, au lieu d’investir dans de nouveaux projets au gaz, autrement plus coûteux et ayant besoin d’être subsidiés. Analyser les besoins électriques du pays au-delà de 2017 et y réfléchir avant d’investir dans la précipitation. Ne pas penser uniquement moyens de production de l’électricité mais envisager également des mesures d’efficacité énergétique et une meilleure gestion de la demande. A la lecture de l’avis rendu ce mardi en fin de journée par la Creg, le gendarme énergétique belge, il y a de quoi être décontenancé. Première réaction, presque épidermique : les experts du régulateur ont-ils fumé la moquette ?

Bah oui, quand même. Il aura fallu neuf ans d’une valse-hésitation frisant le ridicule pour que la Belgique se décide à sortir du nucléaire, et ce à partir de 2015. Maintenant qu’une position claire et sans équivoque vient d’être arrêtée, voilà que la Creg joue les divas en se demandant si, au final, le nucléaire, ce ne serait quand même pas mieux que le gaz. De quoi faire planer une couche d’incertitude supplémentaire sur la viabilité du gaz, qui n’en avait pas besoin, vu le peu d’enthousiasme qu’il génère actuellement, faute de rentabilité. Rappelons quand même que ce combustible a été élu meilleur complément aux énergies renouvelables dès 2009, avec confirmation en 2012, pourquoi remettre cela en cause ? La Creg semble par ailleurs oublier que prolonger les réacteurs nucléaires belges, dont la santé n’est pas étincelante, demandera de sérieux investissements, pas garantis non plus. Et puis : n’est-il pas piquant de voir le meilleur ennemi d’Electrabel apporter finalement de l’eau au moulin de la filiale de GDF Suez ?

Un avis à mettre à la poubelle ?

Au moins tout aussi fort : après avoir hurlé au loup des années durant, alertant la classe politique sur le danger qui guette le pays, en manque d’outils de production électrique, voilà le régulateur qui remet en cause la nécessité d’investissements massifs à l’horizon 2017 et, après avoir fustigé l’inaction politique, propose que l’on s’asseye gentiment afin de réfléchir. Et semble considérer qu’aucune mesure ne sera prise avant 2017, oubliant que le gouvernement, sous l’impulsion du secrétaire d’Etat Melchior Wathelet (cdH) en charge de l’Energie et, par conséquent, de la rédaction du plan fédéral d’équipement, s’est déjà accordé les moyens d’empêcher toute fermeture de centrale si celle-ci venait à mettre en péril la sécurité d’approvisionnement belge. Le tout, un comble !, en maugréant contre l’intervention de l’Etat venant se substituer aux acteurs du marché.

Bref : la Creg est-elle tombée sur la tête ? Cet avis n’est pas un avis, c’est un tacle politique, un bras d’honneur même. N’en tenons pas compte, jetons-le à la poubelle et n’en parlons plus. Vraiment ? Non. Les choses ne sont pas aussi simples que cela. Et la Creg, dont la propension inouïe à jouer aux tontons flingueurs et le manque de délicatesse ne sont plus à prouver, n’est pas si inconsistante que ses détracteurs aiment à le faire croire.

La Creg, pas si incohérente que cela

Prolonger le nucléaire ? La Commission le suggérait encore en 2011. De manière temporaire, uniquement afin de passer le cap difficile, et seulement si les experts chargés de la sécurité donnent leur feu vert. En substance : les centrales ont tenu quarante ans, elles pourraient en tenir deux de plus en cas de coup dur. Rien de plus.

Subsidier le gaz, une fausse bonne idée ? Pas une nouveauté non plus. C’était même le message-clef de la dernière interview, sorte de “testament énergétique”, que le président de la Creg, François Possemiers, nous livrait en octobre dernier : subsidier un secteur qui dégage des bénéfices n’est pas une bonne idée. Avec le photovoltaïque wallon, on a vu ce que cela donnait quand un système financièrement soutenu dérapait.

Miser sur le gaz afin d’assurer la transition énergétique vers les énergies renouvelables, est-ce parier sur le mauvais cheval ? Pas du tout, dément la Creg. Qui critique plutôt le choix technologique posé par le fédéral. Des centrales TGV (turbine gaz-vapeur) au lieu de centrales à cycle ouvert, sans cycle vapeur donc. Des centrales affichant un moins bon rendement, certes, mais qui sont moins coûteuses, dont la construction prend moins de temps et qui se montrent plus flexibles. Et de critiquer l’option du gouvernement de se limiter aux seuls projets existants, des TGV qui sont en suspens depuis des années déjà et auraient mérité un petit “coup de neuf”. Entre autres.

Des arguments à balayer d’un revers négligent de la main ? Sans doute pas, non. Le véritable problème, dans cette histoire, c’est cette friture envahissante qui règne sur la ligne, au point de brouiller toute communication. L’état de guerre est déclaré depuis belle lurette entre le gouvernement et le régulateur ; le mandat de la Creg est arrivé à son terme depuis des mois, posant question quant à la légitimité de l’équipe toujours en place. Il serait donc grand temps que le gouvernement installe la nouvelle équipe, d’autant plus que le casting est déjà connu. Et que cette nouvelle équipe fasse son boulot, en toute indépendance. Quitte à hérisser à nouveau. D’un côté ou de l’autre.

Benoît Mathieu

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