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Quand le désir de “revanche sociale” se substitue à la volonté de justice

Dans certains partis, on a l’impression que ce qui importe, c’est seulement que des riches payent et aillent en prison.

Le “plan justice” du ministre Koen Geens comporte de nombreuses mesures, dont certaines sont de réelles innovations, et d’autres sans doute critiquables, comme la restriction du droit d’appel en matière civile. Il a cependant le mérite de poser des questions de fond sur la manière de gérer un département trop négligé, celui de la Justice.

L’une de ces questions est de savoir si les Belges, particuliers et autorités, ne sont pas trop procéduriers et si l’on n’en attend pas trop des juges, alors que nombre de questions peuvent être réglées par des accords à l’amiable ou que leur solution ne justifie pas les coûts qu’elles suscitent. On comprend dès lors mal la réaction de certains politiciens qui semblent n’avoir vu dans ces propositions qu’une prétendue volonté de mettre fin à la répression pénale de la fraude fiscale.

Leur réaction ne vise pourtant qu’un petit passage du texte où le ministre annonce que lorsqu’une sanction administrative, en matière fiscale ou dans d’autres domaines, a déjà été prononcée, il n’est plus utile de poursuivre l’auteur présumé de l’infraction devant les tribunaux correctionnels. Il y a d’autant moins de raisons de s’opposer à cette proposition qu’elle n’a rien de nouveau et qu’elle résulte simplement d’une décision de la Cour constitutionnelle rendue en 2014. La Cour y précisait que lorsqu’un contribuable a déjà fait l’objet d’une amende administrative ou d’un accroissement d’impôt, qui, rappelons-le, peut aller jusqu’à 200 % de l’impôt éludé, il s’agit déjà d’une “peine” et que, pour autant qu’il s’agisse de la même personne, de la même infraction et que l’amende ait été effectivement payée, on ne pouvait plus chercher à lui imposer une seconde sanction en le poursuivant devant les juridictions pénales. La Cour ajoutait d’ailleurs que même si les poursuites pénales étaient déjà engagées, elles devaient s’arrêter dès le moment où une sanction administrative avait été subie.

Cela semble l’évidence : dans un Etat de droit, on ne peut sanctionner deux fois la même personne pour les mêmes faits. C’est pourtant la seule chose que le ministre ait dite dans ce contexte et on voit mal comment un élu se prétendant démocrate pourrait s’opposer à l’application d’une règle aussi élémentaire.

Dans certains partis, ce qui importe, c’est seulement que des riches payent et aillent en prison

Quant au recours à la transaction pénale, le ministre a simplement affirmé que lorsqu’on pouvait craindre que le délai raisonnable avait été dépassé et qu’en outre, on ne disposait pas de preuve permettant de s’assurer que le prévenu serait bien condamné, il valait mieux conclure une transaction pénale avec celui-ci. Ce principe, qui n’est pas propre aux questions fiscales et qui existe dans notre pays depuis des décennies — par exemple pour des infractions de roulage — est aussi une manière raisonnable de gérer les moyens de la justice. Quel sens y aurait-il pour elle à consacrer une part importante de ses modestes moyens à poursuivre des infractions qui, en raison de leur ancienneté, ne peuvent de toute manière plus être sanctionnées selon des critères normaux, surtout lorsqu’elle n’est même plus certaine qu’il existe des preuves suffisantes pour condamner ? N’est-il pas dès lors préférable de juger des affaires qui peuvent l’être dans des conditions normales, de s’efforcer de sanctionner de vrais coupables plutôt que de s’acharner dans de vieux dossiers qui se solderont peut-être par un acquittement ou une simple déclaration de culpabilité ?

Il faut cesser de croire que toute personne poursuivie est coupable. Lorsqu’un doute sérieux existe quant à l’issue d’un litige, civil ou pénal, la transaction est de nature à satisfaire tout le monde et à éviter le gaspillage des ressources de la justice.

Dans certains partis, en matière de répression de la fraude fiscale comme d’imposition de la fortune, on a l’impression que l’on n’exprime plus aucune volonté de justice ou de saine gestion des deniers publics, mais seulement un désir de “revanche sociale” : pour eux, ce qui importe, c’est seulement que des riches payent et aillent en prison.

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