Pourquoi le Royaume-Uni n’est plus dans le coup

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Jadis véritable aimant à capitaux et à travailleurs étrangers, le Royaume-Uni n’est plus dans le coup.

Des vêtements, des chaussures ou des lunettes de soleil peuvent être cool. Des chansons, des pièces de théâtre, des films et des plats peuvent aussi entrer dans cette catégorie, au même titre que l’attitude des gens. Mais un pays le peut-il ? Il y a 20 ans, le Royaume-Uni était surnommé la ” Cool Britannia “. Alors que nous sommes à la veille du Brexit, 2018 sera-t-elle l’année de l'” Uncool Britannia ” aux yeux du reste du monde ?

La Cool Britannia a toujours été un peu une astuce marketing, que les habiles communicants de Tony Blair (Premier ministre de 1997 à 2007) exploitaient avec plaisir. Mais l’appellation n’était pas usurpée, elle correspondait au regain de fierté que suscitaient la culture et le rôle de chef de file du Royaume-Uni à la fin des années 1990. Cette expression faisait écho au chant patriotique Rule, Britannia ! . Politique, musique, mode, arts, cuisine, football : au Royaume-Uni comme à l’étranger, on avait l’impression que la situation allait pour le mieux.

Un contraste saisissant par rapport aux pénibles années 1970 (où le pays était souvent perçu comme ” l’homme malade de l’Europe “) et aux bruyantes années 1980 (au cours desquelles Margaret Thatcher avait l’air de perpétuellement chercher la bagarre, même si ce n’était pas toujours indispensable pour guérir de cette maladie). L’année prochaine, une fois de plus, la Cool Britannia devrait être sujette au contraste, mais pour de mauvaises raisons.

Rude concurrence

En 1997, Tony Blair l’a emporté haut la main. Jeune, plein de charme, il avait redynamisé le Parti travailliste. Son nom n’était pas encore associé à la guerre d’Irak. Ses partisans avaient hâte de le voir mettre en oeuvre sa nouvelle politique de ” troisième voie “. Vingt ans plus tard, en 2017, Theresa May a organisé des élections anticipées, sûre de triompher. Elle a perdu sa majorité, et son parti, confronté à la tâche colossale de gestion du Brexit, a manifestement perdu le nord.

Le discours de Blair lors du congrès travailliste à Brighton, en 1997, débutait ainsi : ” Après 18 longues années d’opposition, de frustration et de désespoir, j’ai l’immense privilège de me présenter devant vous comme le nouveau Premier ministre travailliste de notre pays. Je crois au Royaume-Uni, j’ai foi dans le peuple britannique. Une nation renaît “. Et qu’a fait Theresa May, 20 ans plus tard, à la conférence de son parti à Manchester ? On en gardera le souvenir de son accès de toux, du plaisantin qui lui a tendu un formulaire de démission, d’accessoires de scène qui se déglinguaient.

Entre-temps, à gauche, la nouvelle orientation paraît tout ce qu’il y a de plus branché aux yeux des jeunes travaillistes, mais, vue de l’extérieur, elle semble terriblement démodée. Cela n’est pas lié à l’âge de Jeremy Corbyn – le dirigeant travailliste va avoir 69 ans en 2018, soit 26 de plus que Blair quand il est devenu chef du gouvernement -, mais à son programme. Nationaliser des entreprises ? Augmenter les impôts ? Pas trop cool…

C’est Londres, le moteur économique et culturel du pays, qui risque le plus de perdre son éclat.

Le Royaume-Uni a de meilleures chances de tenir son rang dans la culture. Depuis les années 1960, la street fashion londonienne a inspiré le reste du monde. De telles choses ne changent pas du jour au lendemain. Mais les années 1990 étaient celles de la brit pop, d’Oasis, de Blur et des Spice Girls ; aujourd’hui, même le boys band One Direction se sépare. La concurrence est rude.

Ainsi, la France a un jeune président qui a la classe, Emmanuel Macron, et Paris attend avec impatience les Jeux olympiques de 2024. Peut-être l’Union Jack, qui a orné ces dernières années des sacs et des vestes de la street fashion, va-t-il céder la place au drapeau tricolore. Déjà, dans la haute couture, l’argent est en France (LVMH), les nouvelles idées sont en Italie (Gucci), les clients sont en Russie et au Moyen-Orient. Londres n’est pas encore réduite aux seconds rôles, mais une chose est sûre, elle n’est plus sous les feux de la rampe.

Qu’en est-il de la cuisine ? Dans les années 1990, le Royaume-Uni a compris qu’il n’y avait pas dans la vie que les légumes cuits à l’eau, les tourtes à la viande et l’agneau rôti. Marco Pierre White, originaire de Leeds, est devenu en 1994 le premier Britannique à décrocher trois étoiles au guide Michelin, ouvrant une ère de chefs célèbres et une offre plus variée de restaurants sur la scène internationale.

Exode

Mais, en 2018, les nuages noirs vont s’amonceler. Les chefs qui décideront qu’ils n’ont pas intérêt à s’installer dans le Royaume-Uni du Brexit vont porter un sérieux coup à la cuisine britannique. Le service va se dégrader, car les jeunes serveurs stylés vont devenir difficiles à trouver. La demande va diminuer, car les riches clients – banquiers italiens, chefs d’entreprise français, scientifiques indiens – vont estimer qu’il est temps de retourner dans leur pays.

C’est Londres, le moteur économique et culturel du pays, qui risque le plus de perdre son éclat. Quelque 3 millions de citoyens étrangers de l’UE vivent au Royaume-Uni, pour beaucoup dans la capitale ou à sa périphérie. Ils travaillent dans les banques, diverses entreprises, les hôpitaux, les universités, les magasins et les restaurants. Dans un discours prononcé à Florence en septembre 2017, Theresa May proposait de prévoir des garanties légales pour ces travailleurs dans le traité de sortie de l’UE que signera son pays. Mais l’incertitude est dangereuse, et elle aura des conséquences. En 2018, le Royaume-Uni sera l’un des Etats européens à la croissance la plus faible. Et être pauvre, ce n’est pas cool.

Et être isolé non plus. L’insularité du Royaume-Uni n’est qu’un concept géographique. Pourtant, l’illusion d’une ” exception britannique ” est nourrie depuis des années par des politiques de tous bords, soutenus – inspirés ? – par la presse tabloïd. Le Brexit en est le résultat.

Par Beppe Severgnini.

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