Pourquoi la Turquie regarde de moins en moins vers l’Europe

© Bloomberg

En banqueroute en 2001, sauvée par l’argent du FMI, la Turquie affiche aujourd’hui une croissance de plus de 7 % et ses finances publiques sont saines. Forte de son nouveau statut de puissance émergente, elle s’ouvre de plus en plus vers l’Orient.

Cela fait cinq ans déjà que Bruxelles et Ankara ont entamé des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Celles-ci n’avancent que très lentement, engluées dans le conflit sur Chypre et surtout dans les réticences de Paris et Berlin à un élargissement de l’Europe à un pays de 73 millions d’habitants.

Sauf qu’entre-temps, la Turquie a pris son envol. Fort d’un produit intérieur brut (PIB) d’environ 750 milliards de dollars (570 milliards d’euros, environ quatre fois moins que la richesse nationale française), le pays s’affirme aujourd’hui comme une nouvelle puissante émergente, dans le sillon de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de la Russie.

Sur les neuf premiers mois de 2010, l’économie turque a progressé de 8,9 %. La croissance du PIB turc devrait atteindre 7,5 % sur l’ensemble de l’année. Un chiffre à faire pâlir d’envie les pays de la zone euro, au premier rang desquels la France, dont la croissance sera de 1,6 % en 2010.

La Turquie n’a pourtant pas échappé à la récession mondiale : en 2009, son PIB s’était contracté de 4,7 %. La relative rapidité de la reprise doit beaucoup à la stabilité de son secteur financier, assaini au début des années 2000 dans le cadre d’un prêt accordé par le FMI. Aujourd’hui, la croissance de l’économie turque est tirée par une envolée du crédit aux ménages et aux entreprises.

Un déficit public à 4 % du PIB

Ses finances publiques sont plutôt saines, comparées à celles de la plupart des pays de la zone euro : sa dette atteint 40 % du PIB (20 points de moins que les exigences du traité de Maastricht), son déficit 4 %. Le pays est en excédent primaire (excédent budgétaire hors charges de la dette) depuis plusieurs années, ce qui lui permet de réduire progressivement sa dette. Son déficit devrait passer sous les 3 % du PIB en 2011.

Bref, à part son inflation qui frôle les 7 %, la Turquie remplit les critères pour entrer dans la zone euro. Sauf qu’elle ne veut pas de la monnaie unique. Ali Babacan, ministre turc de l’Economie, a déclaré qu’il “n’avait aucune envie d’appartenir à la zone euro” actuellement. Certes, avec ses pays au bord de la faillite et ses mécanismes de solidarité qui laissent à désirer, la zone euro n’est plus aussi séduisante qu’il y a trois ans, avant la crise.

“La Turquie n’a aucun intérêt à entrer dans la zone euro, indique Deniz Ünal, économiste au CEPII. Cela ferait bien sûr baisser ses taux obligataires (Ndlr, environ 8 % actuellement), mais vu le taux d’inflation, ce n’est pas un problème aujourd’hui pour le pays. En revanche, elle perdrait de facto sa souplesse monétaire, qui lui a permis d’amortir le choc de la récession mondiale.”

L’UE représente moins de 50 % des exportations turques

Au-delà de la zone euro, c’est l’adhésion à l’Union européenne elle-même qui est remise en question aujourd’hui. D’abord, parce que la lenteur du processus d’adhésion a eu raison de l’enthousiasme de l’opinion publique turque pour la maison Europe. Ensuite, parce que les pays européens sont des partenaires économiques majeurs pour la Turquie, mais pas essentiels.

L’UE absorbe actuellement un peu moins de 50 % des exportations turques. Or, vu les perspectives de faible croissance de la demande intérieure européenne ces prochaines années, en raison notamment des plans de restriction budgétaire, cette part devrait se réduire. Sans trop de pleurs pour la Turquie qui, depuis le début des années 2000, s’est ouverte sur les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. L’Iran et l’Irak sont deux marchés à fort potentiel de croissance pour Ankara. Sans oublier la Russie, avec qui la Turquie entretient d’étroites relations commerciales.

Les Turcs regardent aujourd’hui avec un certain amusement ce qui se passe en Europe, confie Deniz Ünal : les plans de secours du FMI, assortis de contraintes budgétaires et de réformes structurelles, ils ont connu cela en 2001. Et ils s’en plutôt sont bien remis. La Turquie aura remboursé la totalité de son prêt de 15 milliards de dollars en 2013.

Emilie Lévêque, L’Expansion.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content