Obliger les chômeurs à travailler gratuitement, une idée “so british” ?

© Reuters

Le projet de loi du gouvernement conservateur pour combattre le chômage et réduire le déficit public fait polémique au Royaume-Uni. Décryptage.

Que veut le gouvernement ?

Londres s’apprête à prendre des mesures choc pour lutter contre le chômage et réduire le déficit. Le dispositif qui sera présenté cette semaine prévoit que les 1,2 million de chômeurs de longue durée effectuent au moins 30 heures de travail gratuit par semaine au profit de la collectivité. Ils réaliseraient pendant quatre semaines des travaux manuels ou d’entretien de la voirie au bénéfice de services municipaux, d’associations ou de compagnies privées.

Pas question d’y échapper : ceux qui refuseraient perdraient pendant au moins trois mois leurs allocation hebdomadaire. Celle-ci est de 65 livres sterling (75 euros) pour les plus de 25 ans et de 51 livres (59 euros) pour les moins de 25 ans. En échange, le gouvernement verserait aux chômeurs un nouveau “crédit universel” qui remplacerait les catégories d’allocations existantes. Ces mesures drastiques doivent permettre de réduire la facture des allocations, qui coûtent 190 milliards de livres (220 milliards d’euros) à l’Etat par an. “Ayant promis qu’il ne toucherait pas à la santé et aux écoles, si le gouvernement veut réduire les dépenses publiques, c’est bien aux allocations chômage qu’il doit s’attaquer”, relève une éditorialiste du Guardian.

L’objectif est aussi de “casser le cycle de la dépendance” selon les mots du ministère du Travail et des Pensions. Le ministre Iain Duncan Smith veut que les chômeurs se réhabituent à se “présenter le matin à 9 h et repartir l’après-midi à cinq heures”. Il s’agit de leur redonner “une routine de travail, ce qui rendra leur profil bien plus intéressant pour un employeur qui cherche à pourvoir un poste”, explique une source proche du ministère britannique du Travail au Guardian. Accessoirement, cela permettra aussi de détecter les “faux chômeurs” qui travaillent sans le déclarer.

Cela sera-t-il efficace ?

En pratique, le projet pose de nombreux problèmes. D’abord, il part du principe qu’il existe des emplois disponibles et que les chômeurs sont responsables de ne pas les saisir. Or, le plus souvent, ceux qui sont au chômage depuis longtemps “ne sont pas là parce qu’ils sont mauvais, stupides ou paresseux, mais parce que les circonstances leur ont été défavorables”, a déclaré l’archevêque de Cantorbéry Rowan Williams sur les ondes de la BBC.

“Sans emplois, la réforme ne marchera pas, a renchéri la députée travailliste Harriet Harman. En ce moment, il y a cinq demandes d’emploi pour chaque poste disponible”. De toute façon, “obliger un chômeur à faire des tâches qui n’ont aucun rapport avec ses qualifications, ses compétences et son projet ne l’aidera pas à se rapprocher d’un emploi”, affirme Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’Université Paris Est.

Non seulement la mesure pourrait être inefficace, mais elle pourrait s’avérer nocive et démoralisante. La tête de la Church of England redoute en effet qu’on plonge les chômeurs dans “une spirale d’incertitude, voire de désespoir”. C’est une chose de les former ou de les conseiller, “c’en est une autre de les humilier”, écrit Jackie Ashley dans le Guardian.

Enfin, le système risque même de provoquer certains effets pervers. Car pendant qu’ils ramasseront les poubelles ou feront du jardinage, les chômeurs ne seront pas en train de chercher du travail. “Il serait plus raisonnable de les faire travailler un jour par semaine pour qu’ils aient quatre jours de libre afin de chercher un emploi”, suggère donc le blogueur Brennybaby. Pire, certains employés pourraient se retrouver en concurrence avec les chômeurs : “Des postes rémunérés pourraient être supprimés et réapparaître dans le secteur bénévole”, s’inquiète ainsi The Independent.

Une philosophie anglo-saxonne ?

Le projet d’Iain Duncan Smith paraît drastique. Il s’inscrit pourtant parfaitement dans la tradition anglo-saxonne du workfare, ce mélange de welfare (aide sociale) et work (travail). Largement diffusés aux Etats-Unis puis au Royaume-Uni dans les années 1990, les programmes de workfare posent comme principe que les bénéficiaires de l’aide sociale doivent travailler, notamment pour les services municipaux, s’ils veulent toucher leur allocation.

Pour ce qui est des sanctions, elles aussi existent déjà au Royaume-Uni pour ceux qui refusent un certain nombre d’offres d’emploi. “Elles sont toutefois appliquées de manière très hétérogène selon les bureaux d’emploi locaux”, relativise Christine Erhel, chercheuse au Centre d’études de l’emploi.

Selon The Guardian, c’est bien le modèle américain qui inspire le gouvernement britannique. Pas plus tard qu’en juin dernier, David Cameron invitait en effet Lawrence Mead, l’un des architectes des réformes aux Etats-Unis des années 1990, pour raconter comment son pays avait fait pour que la sécurité sociale ne soit plus perçue comme une option de “mode de vie”.

La recette aux Etats-Unis est simple : les allocations s’arrêtent automatiquement après 99 semaines de chômage. Sauf que le modèle commence à montrer ses limites. Dans un contexte de chômage à 9,6 % et d’entreprises qui n’embauchent pas, 1,4 million de personnes sont actuellement privées d’allocation.

Les systèmes anglo-saxons sont ainsi très éloignés de ce que l’on trouve en France : “Ici, on fait des déclarations de principe sur le fait que les indemnisations sont conditionnées au fait de chercher du travail, mais en pratique, on ne retire pas les allocations, sauf dans les cas très exceptionnels de fraude”, précise Yannick L’Horty.

Laura Raim, L’Expansion.com

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