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“Notre système fiscal est entièrement fondé sur des restes de l’absolutisme”

Dans les rapports du citoyen avec l’Etat, il y a des choses auxquelles on s’habitue tellement qu’on finit par oublier qu’elles sont inacceptables dans un Etat de droit. Ainsi, les relations entre le contribuable et l’administration devraient s’inspirer d’un principe d’égalité des parties à un litige. Cela ne correspond toutefois pas à la réalité.

Prenons un exemple tout simple, et qui se reproduit des dizaines de milliers de fois chaque année, sans que plus personne ne songe même à protester. Si l’administration veut vérifier votre déclaration, il se peut qu’elle ait besoin d’obtenir des informations auprès de tiers, comme un employeur, un fournisseur, un client ou toute autre personne en rapport avec le contribuable qui fait l’objet d’un contrôle. La loi lui attribue dans ce cas le pouvoir de demander à ce tiers pratiquement toutes les informations qu’elle veut obtenir sur le contribuable concerné. La personne ainsi interrogée n’est en principe pas concernée par le conflit éventuel entre le contribuable et le fisc et devrait pouvoir s’en désintéresser. C’est ce qui se passerait s’il s’agissait d’un litige entre deux personnes privées : aucune des deux ne pourrait obtenir de ce tiers des informations, sauf si celui-ci veut bien les donner ou s’il est convoqué pour un témoignage en justice.

En revanche, dès que c’est l’administration fiscale qui requiert des informations, la personne interrogée est obligée de répondre, sous peine de sanctions, qui s’appliquent tant si elle ne répond pas que si elle répond de manière inexacte ou incomplète.

L’Etat décide et le citoyen doit accepter les décisions, ou aider le pouvoir à contraindre d’autres citoyens à se soumettre

La procédure est unilatérale : le fisc pose les questions qu’il veut, par recommandé, et le tiers doit répondre. Le fisc obtient ainsi les réponses aux questions qu’il choisit de poser, et en profitant de sa position d’autorité : le tiers à qui les questions sont posées sait qu’il risque lui-même de faire l’objet d’un contrôle si sa réponse ne satisfait pas l’autorité fiscale.

Il n’y a, de plus, aucun parallélisme. Si c’est le contribuable qui veut obtenir des informations auprès d’un tiers pour se défendre auprès de l’administration fiscale, il peut certes gentiment demander au tiers concerné de lui répondre, de lui fournir des attestations. Mais si celui-ci n’a pas envie ou a peur de le faire parce qu’il est lui aussi un contribuable qui peut craindre le pouvoir fiscal, il n’existe aucune possibilité de le contraindre, sauf dans le cadre d’un témoignage en justice, qui n’est pratiquement jamais décidé en matière fiscale.

Cette situation est à l’évidence inéquitable. Les parties au litige fiscal ne sont, pour tout ce qui précède la procédure en justice, pas placées sur un pied d’égalité. Bien plus, sans même que des informations leur soient effectivement demandées, de nombreux tiers sont obligés de fournir des informations à l’administration fiscale, alors même que cela ne concerne pas leur propre situation.

Tous les employeurs doivent fournir, sous peine de sanctions, des données concernant les membres de leur personnel ; des obligations semblables existent pour les assujettis à la TVA (sous forme de listings annuels), et pour d’autres prestataires de services qui doivent établir des fiches fiscales sur les sommes qu’ils ont payées à certains bénéficiaires. La logique du système est que les citoyens sont au service de l’Etat, non seulement pour répondre de leurs propres obligations envers celui-ci, mais aussi pour aider le fisc dans un système de délation organisée et obligatoire. Pourtant, on ne voit pas bien pourquoi des citoyens devraient nécessairement aider le fisc, et seulement lui, dans le cas d’un litige qui ne le concerne pas, entre deux personnes tierces, dont l’une est l’Etat.

Nous sommes certes habitués à cette situation de sujets contraints à la soumission envers le pouvoir, et c’est la seule raison pour laquelle personne ne proteste. Comme l’a remarqué le philosophe allemand Peter Sloterdijk, notre système fiscal est entièrement fondé sur des restes de l’absolutisme. L’Etat décide et le citoyen doit accepter les décisions, ou aider le pouvoir à contraindre d’autres citoyens à se soumettre. Ces méthodes étaient dans la logique de la monarchie absolue. Dans un système de démocratie constitutionnelle, cela ne devrait plus se concevoir, parce que l’Etat devrait être au service du citoyen, et non son maître. Malheureusement, les révolutions n’ont souvent fait que remplacer un maître par un autre, sans rien changer au fondement de l’Etat autoritaire.

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