Moins de chômeurs, plus d’invalides: les vases communicants de la sécu

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En 2017, pour la première fois, la sécurité sociale devrait dépenser plus en indemnités de maladie et d’invalidité qu’en allocations de chômage. D’où le plan de Maggie De Block pour ramener ces malades vers l’emploi…

Les courbes évoluaient dans un sens contraire et, un jour ou l’autre, elles devaient finir par se croiser. Ce sera pour cette année 2017. Les budgets de la sécurité sociale prévoient pour la première fois de dépenser davantage pour le paiement des indemnités de maladie ou d’invalidité que pour les allocations de chômage. Une évolution potentiel-lement ravageuse pour les finances publiques. ” D’un point de vue budgétaire, le jeu de vases communicants des réformes des pensions, des prépensions et du chômage a un impact trois fois plus grand sur les indemnités de maladie et d’invalidité que sur les CPAS et les revenus d’insertion “, explique François Perl, le directeur général du service Indemnités de l’Inami. Il précise toutefois que le phénomène belge n’a rien d’exceptionnel. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le coût des indemnités de maladie dépasse celui des allocations de chômage. Mais ailleurs, le droit au chômage est limité dans le temps.

1. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Moins de chômeurs, plus d'invalides: les vases communicants de la sécu
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L’impact des réformes entreprises au sein de la sécurité sociale – qui ont amené un glissement de population vers l’assurance-maladie – n’explique pas tout. L’augmentation des dépenses provient essentiellement des malades de longue durée (plus d’une année) : + 8,45 % l’an dernier et + 7,7 % cette année. La progression est très sensible pour les absences liées à des maux de dos et à des burn-out. Attardons-nous sur cette dernière maladie. Elle concerne une forme d’épuisement total lié au travail. ” Un burn-out dure quelques mois, et si on dépasse une année, il faut plutôt parler de dépression, précise François Perl. Le burn-out est devenu un cosmétique pour parler de la dépression. Il suscite l’empathie, ce qui n’est pas le cas de la dépression. ”

2. Comment Maggie De Block a-t-elle réagi ?

” Si nous voulons pouvoir continuer à payer les pensions, les soins de santé et toutes les allocations, nous devons revoir la situation des malades de longue durée “, affirme la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Maggie De Block (Open VLD). Elle a donc initié un plan de réintégration sur le marché du travail, qui est entré en vigueur en janvier. Il devrait permettre d’économiser 100 millions d’euros cette année et 300 millions l’an prochain.

Le trajet de réintégration du travailleur comporte plusieurs étapes. La première survient durant le deuxième mois d’absence (le premier est pris en charge par l’employeur) : une série de questions est posée en vue de déterminer si un retour au travail peut être envisagé et à quelles conditions (horaires, postes, fonction, etc.). Si un trajet peut être défini tout de suite, tant mieux !

A défaut, après six mois, le médecin conseil de la mutuelle convoquera la personne malade à un entretien en vue de définir ce fameux trajet de réintégration. Si la personne a un emploi, le dossier sera repris par le médecin du travail. ” Il aura un rôle clé, avec une vraie valeur ajoutée, commente Gretel Schrijvers, directrice générale de Mensura, le numéro un belge des services de prévention du travail. Le médecin du travail connaît le contexte de l’entreprise et les postes de travail. Il peut en outre faire intervenir des ergonomes ou des psychologues afin de dégager des solutions sur mesure. ” On insiste sur le dernier élément : du sur-mesure. Tantôt il faudra aménager un temps partiel, tantôt adapter une machine, tantôt alléger une fonction, etc.

Maggie De Block a par ailleurs revu les conditions financières pour faciliter un retour progressif au travail. La personne qui reprend avec un cinquième-temps continuera à percevoir l’intégralité de ses indemnités de l’Inami. Ce n’est qu’au-delà, que l’allocation commencera à diminuer en proportion. ” C’est très important dans les cas de burn-out, confie Els Cleemput, porte-parole de Maggie De Block. Une reprise avec un jour ou deux par semaine aide à reprendre goût au travail. ” ” Le travail déclenche un certain nombre de maladies mais il est aussi un facteur de guérison, renchérit François Perl. Un schizophrène qui travaille quelques heures verra souvent son état s’améliorer. Même dans le cas de cancer, il a été démontré qu’une reprise graduelle améliorait les perspectives de guérison. ”

3. Si le trajet n’aboutit pas, faut-il une sanction ?

Le travail déclenche un certain nombre de maladies, mais il est aussi un facteur de guérison.” François Perl, directeur du service Indemnités de l’Inami

Le principe du trajet de réintégration a été validé par les partenaires sociaux. Pour des raisons budgétaires, parce qu’il fallait bien juguler l’explosion budgétaire, mais aussi – et surtout, a-t-on envie de dire – parce que le retour dans le monde du travail apporte les contacts sociaux, la reconnaissance, l’estime de soi, l’entretien des compétences…

Les partenaires sociaux avaient cependant jugé que ce retour au travail devait s’opérer sur base volontaire, misant sur une concertation sereine – au lieu de la contrainte – entre le travailleur, l’employeur et le médecin du travail. Le gouvernement fédéral vient d’en décider autrement : l’employeur qui ne fournira ” pas assez ” d’efforts pour réintégrer des travailleurs risquera une amende forfaitaire de 800 euros (les PME, qui disposent a priori de moins de possibilités d’offrir un travail adapté, en sont exonérées). Et de l’autre côté, le travailleur qui ” refuse manifestement de coopérer ” verra ses indemnités rabotées de 5 à 10 %. ” Le dispositif vient d’être lancé et déjà, ils veulent l’assortir de sanctions, regrette la cheffe de groupe cdH à la Chambre, Catherine Fonck. Maggie De Block est une adepte du dolorisme : ce qui fait mal est efficace. Pourquoi ne pas avancer plutôt de manière positive et constructive ? Pourquoi ne pas développer une politique active de maintien au travail, par exemple via le tutorat, plutôt que de sanctionner ceux qui partent ? ”

La notion de sanction pose aussi celles de l’effort ou de la bonne volonté des acteurs. Nous sommes ici dans une zone forcément subjective, et donc sujette à des interprétations diverses selon la personnalité du médiateur (en l’occurrence, le médecin). Rappelons en outre que des sanctions existaient déjà puisque, chaque année, l’Inami exclut environ 30.000 personnes du système (29.964 personnes en 2015).

4. Si le problème est grave, pourquoi a-t-on attendu si longtemps ?

Dans la douleur.
Dans la douleur. “Maggie De Block est une adepte du dolorisme”, dit Catherine Fonck à propos de la ministre des Affaires sociales et de la Santé.© REPORTERS

On n’a pas tout à fait attendu. L’Inami recensait en 2014 quelque 54.000 reprises d’un travail adapté (+35 % en trois ans). Ces reprises s’opèrent pour l’essentiel au cours de la première année et 40 % des reprises à temps partiel débouchent sur un retour à temps plein. Mais ce qui est vrai, c’est qu’en moyenne à peine un tiers du budget prévu à cet effet était consommé. ” Nous n’avons pas, en Belgique, une culture du retour au travail des personnes malades, analyse François Perl. Les médecins ont une approche plutôt paternaliste et les employeurs sont frileux. Nous avons, globalement, un marché du travail parmi les moins inclusifs pour les personnes handicapées et pour les travailleurs âgés. ” On comprend dès lors que ce marché du travail ne sera pas le plus accueillant pour ceux qui ont besoin de conditions adaptées. ” Nous avons un système trop binaire, où l’on est apte ou pas, poursuit le responsable de l’Inami. Même avec des maladies graves, on peut agir. La durée moyenne d’un retour à l’emploi après un cancer est de six semaines en Suède et de 27 semaines en Belgique. Je ne pense pas que les Suédois soient moins bien soignés… ” Il regrette d’autant plus cette situation qu’il est convaincu qu’un euro investi dans la réintégration permet à terme d’en économiser deux ou trois sur les prestations.

5. Pourrait-on prévenir plutôt que guérir ?

C’est l’une des bizarreries institutionnelles de la Belgique : les dépenses de santé relèvent du fédéral mais la prévention dépend des Communautés. L’Etat peut toutefois s’occuper de prévention pour les maux ou maladies liées au travail. Le Fonds des risques professionnels soutient ainsi des politiques de prévention des maux de dos en entreprise et elle devrait bientôt faire de même pour prévenir les burn-out. Un travail d’ampleur quand on voit la multiplicité des facteurs déclenchants (lire l’ encadré ” Une épidémie de dépressions “).

Pour Catherine Fonck, le débat sur la prévention est directement lié à celui de la gestion des fins de carrière. ” Un chantier inexistant, regrette-t-elle. Ce gouvernement a au contraire supprimé toutes les petites mesures qui existaient. Si on veut allonger les carrières, il faut donner aux travailleurs la capacité de le faire, encourager l’accompagnement, le tutorat, etc. ” La cheffe de groupe cdH fait ici mine de s’étonner que les administrations fédérales ne cherchent pas particulièrement à montrer l’exemple en la matière. ” Que les ministres essaient de gérer les carrières dans leurs départements, avant de dire ‘y’a qu’à’ “, clame-t-elle.

La prévention concerne aussi les premières semaines de l’incapacité de travail. Une période cruciale, les deux tiers des retours à l’emploi se concrétisent dans les quatre premiers mois d’incapacité. Une mesure toute simple peut y contribuer : garder le contact, par des coups de téléphone ou des visites. Le taux de retour à l’emploi est alors de 92 %, contre 64 % dans le cas contraire, selon une étude de Mensura. ” Si le contact est pris par le responsable hiérarchique, ça marche encore mieux “, ajoute Gretel Schrijvers.

Une épidémie de dépressions

“La Belgique traverse une épidémie de dépressions”. François Perl, le directeur du service Indemnités de l’Inami, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, il y a “une urgence absolue sur le plan sanitaire”. D’où vient cette épidémie ? Il pointe plusieurs facteurs :

• La pollution de l’air. Des études récentes ont mis à jour des liens entre la qualité de l’air et la santé mentale, notamment la maladie d’Alzheimer.

• L’hyperconnectivité. La technologie a, dit-il, “aboli les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle”. Cela génère une forme de stress lié à la disponibilité permanente, si pas exigée, en tout cas perçue comme telle par certains travailleurs. Ainsi, le télétravail, imaginé sans doute au départ dans l’intention de faciliter la vie du travailleur, peut parfois se retourner contre ses adeptes.

• L’organisation du travail. L’aménagement de bureaux en open spaces visait à renforcer la convivialité au sein des équipes. Certains employés n’y perçoivent cependant pas de la convivialité mais plutôt… un contrôle permanent, et donc une source de stress. “Si vous faites un break de deux minutes, vos collègues le voient, ce qui n’était pas le cas dans des bureaux séparés”, explique notre interlocuteur. L’éclatement des services agit dans le même sens. Une équipe ICT très compétente réglera sans doute plus vite les gros incidents informatiques. Mais comme elle agit à distance, c’est au prix d’un stress supplémentaire.

• La mobilité. “En Belgique, il ne faut pas négliger le facteur mobilité, assure François Perl. Quand vous arrivez au boulot après 2h30 dans les transports en commun, vous n’êtes pas dans des dispositions favorables pour limiter le stress.”

• Les carrières. Bien entendu, l’allongement des carrières professionnelles et la fragilité du marché du travail (moins de contrats à durée indéterminée) constituent un incontournable élément de fond.

Elle insiste aussi sur la préparation du retour, même s’il ne porte au début que sur quelques heures par semaine. ” Il faut bien expliquer le comment et le pourquoi des modifications apportées aux tâches, dans le respect de la vie privée bien entendu, explique-t-elle. L’implication des collègues est essentielle dans la réintégration. De même, il faut rencontrer la personne avant, la mettre à l’aise, dédramatiser son retour. ”

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