Merkel justifie l’achat d’une liste de fraudeurs volée

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L’Allemagne peut-elle acheter des données informatiques volées en Suisse pour lutter contre la fraude fiscale ? Après un court débat de fin de semaine, Angela Merkel a choisi l’argent plutôt que la morale. Un véritable défi à la Suisse. Explications.

Il y a quelques temps, un informateur a proposé à l’Allemagne une liste contenant les noms et les numéros de comptes en suisses de 1300 contribuables allemands s’adonnant à la fraude fiscale. Le ministère fédéral des finances a bien vite effectué un petit test sur quelques unes de ces données. Et la “marchandise” s’est révélée être de première qualité. Si le fisc allemand achète ces informations, il peut espérer récupérer au moins 100 millions d’euros d’amendes et d’impayés. En échange, l’informateur, qui pourrait bien être Hervé Falciani, un informaticien qui a déjà offert ses services au fisc français en août 2009, demande la coquette somme de 2,5 millions d’euros.

Ce week-end, les médias allemands bruissaient de cette nouvelle affaire qui rouvre la plaie fiscale ouverte il y a deux ans avec l’affaire des comptes du Lichtenstein : “De manière générale, nous considérons que l’utilisation de données illégales par un Etat de droit est extrêmement problématique. Cela reviendrait à faire affaire avec des criminels”, déclarait dès samedi Mme Doris Leuthard, présidente de la Confédération helvétique. Quant à l’Union des banques suisses, elle protestait vivement : “Si il s’avère qu’il s’agit d’un vol de données informatiques, nous attendons que le gouvernement allemand ne devienne pas receleur d’un bien volé, mais qu’il rende les données à son propriétaire et qu’il porte plainte contre le voleur”.

Payer ou ne pas payer pour une liste volée…

L’argent ou la morale, que choisir ? En Allemagne, cette affaire a également déclenché une forte polémique entre la droite et la gauche, les libéraux alliés de Mme Merkel ne sachant pas sur quel pied danser : “J’ai personnellement un problème quand quelqu’un doit verser de l’argent pour quelque chose qui n’a pas été obtenu par des voies légales”, déclarait le conservateur Karl-Theodor zu Guttenberg, nouvelle star de la politique allemande et ministre de la défense, en tournée au Forum de Davos. Volker Kauder, chef du groupe parlementaire conservateur, signifiait également son refus d’acheter des données volées. Quant à Peter Schaar, Chargé fédéral de la protection des données informatiques individuelles, il estimait que l’offre n’est probablement pas “légale” et que l’on “ne peut pratiquer une politique de protection des données personnelles à géométrie variable”, en fonction de l’état de ses finances.

Face à cela, la gauche, les écologistes mais aussi les syndicats de policiers et les associations de contribuables plaidaient pour l’achat immédiat de ces informations. Pour Dieter Ondracek, président du “Syndicat des contribuables”, cela ne fait aucune différence si le ministère des finances achète ces informations ou si le parquet en charge offre une récompense pour les obtenir. Selon lui, les contribuables honnêtes ont le droit d’exiger que l’Etat fasse payer les fraudeurs. Quant à Sigmar Gabriel, président du SPD, il trouvait “scandaleux que chez nous, on poursuive la moindre personne mal garée, mais que l’on ne poursuive pas les gens qui fraudent le fisc”.

Merkel tranche en faveur de l’achat

Pour la Suisse, l’espoir que l’argument moral l’emporte n’aura pas duré longtemps. Lundi, à la mi-journée, Angela Merkel faisait connaître sa décision sans équivoque en faveur de l’achat des données. Selon la chancelière allemande il faut tout faire pour obtenir de telles données ! La Suisse a immédiatement répondu que dans cette affaire, elle ne fournirait aucune aide à l’Allemagne. N’en déplaise aux Suisses, le choix de Berlin s’explique aisément. Alors que d’importantes élections régionales auront lieu en mai en Rhénanie du nord, Merkel préfère risquer un mini-conflit diplomatique avec la Suisse plutôt que de mécontenter ses électeurs. Par ailleurs, alors que Berlin et Berne n’ont pas encore bouclé l’accord bilatéral de coopération en matière de fraude fiscale, l’Allemagne exprime son mécontentement face aux positions suisses, jugées peu coopératives.

En effet, dans les accords bilatéraux déjà signés par la Suisse avec la France ou les Etats-Unis, les Suisses acceptent de fournir les informations demandés par les enquêteurs des pays respectifs, à condition que ceux-ci aient des soupçons fondés, c’est-à-dire quasiment des preuves du délit, et disposent du nom et du numéro de compte du contrevenant. De l’avis des experts, une telle position ne peut guère permettre d’élargir la lutte contre la fraude fiscale.

Il y a deux ans, le même problème s’était posé entre les deux pays à propos d’une affaire de fraude fiscale mettant en cause les placements de banques suisses au Lichtenstein pour des clients allemands. A l’époque, le ministre des finances social démocrate n’avait pas hésité une minute à jouer les “Robins des bois”. Jusqu’à ce jour, le fisc allemand ne le regrette pas puisqu’il a pu déjà récupéré près de 180 millions d’euros.

Thomas Schnee, Berlin,L’Expansion.com

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