Loin du tumulte, à Jersey, rien ne vient troubler la marche des affaires

Saint-Hélier, la capitale de l'île, ressemble plus à un bourg tranquille qu'à un centre financier international. © Getty Images/iStockphoto

Quelques rafales de vent tout au plus. Au large des côtes françaises, la petite île anglo-normande de Jersey semble bien préservée de la tempête provoquée par les révélations des “Paradise Papers”, où elle figure pourtant en bonne place.

Saint-Hélier, la capitale de l’île, ressemble plus à un bourg tranquille qu’à un centre financier international. Ici pas de grands buildings en verre. Plutôt des immeubles de trois à quatre étages aux façades peintes en blanc. Entre port de plaisance, boutiques de mode et marché aux poissons, la ville offre tous les atouts d’une cité balnéaire, le crachin en plus.

C’est néanmoins sur ces terres encore largement agricoles que sont venues s’implanter de nombreuses institutions financières internationales : BNP Paribas, Crédit Suisse, JP Morgan, mais aussi la Deutsche Bank, la Bank of India, ou encore la Royale Bank of Canada.

Elles côtoient les cabinets d’avocats spécialisés dans la finance offshore, dont Appleby, qui occupe un bâtiment avec de larges fenêtres installé sur une avenue à quelques dizaines de mètres seulement du front de mer.

Le cabinet est au coeur des “Paradise Papers”, publiés par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ). Selon cette enquête, c’est lui qui a conseillé à la firme américaine Apple de venir s’installer à Jersey, où le taux de l’impôt sur les sociétés est de 0%, après avoir profité pendant des années d’un régime fiscal très avantageux en Irlande.

– “Rien de mal” –

Des pratiques d’optimisation qui ne sont pas de nature à émouvoir dans ce petit paradis fiscal britannique. Tout juste certains habitants se préoccupent-ils de voir la réputation de leur île entachée.

“Ce qui m’inquiète, c’est surtout la perception que les gens auront de Jersey à des centaines de kilomètres”, dit à l’AFP Hugh Raymond, dirigeant de la police honorifique de l’île, hérités des Normands et dont les membres sont élus.

“On nous présente comme si on avait fait quelque chose de mal. Mais on n’a rien fait de mal, je vous assure”.

De fait, l’enquête de l’ICIJ ne prétend pas révéler des montages juridiques illégaux, simplement montrer les stratégies mises en place par certaines multinationales pour contourner les règlementations.

Sur la question de l’optimisation fiscale, Hugh Raymond se montre beaucoup moins loquace. “Notre économie est basée sur la finance. Nous sommes en compétition (avec les pays étrangers). Par conséquent, nous pouvons irriter certaines personnes”, consent-il seulement à admettre.

“Vous allez avoir du mal à amener les gens à parler”, prévient-il avant de prendre congé.

De nombreux habitants refusent en effet d’aborder le sujet. Ceux qui osent quelques mots le font pour rappeler la légalité de l’optimisation fiscale, en évitant de dévoiler leur identité.

Le groupe Apple lui-même joue la discrétion. Excepté pour une boutique de vente de ses produits technologiques, le nom de la marque à la pomme n’apparaît pas dans le registre des sociétés enregistrées à Jersey.

“Vous ne le trouverez pas”, avance, sous couvert d’anonymat, une femme travaillant dans les services financiers. “S’ils sont venus à Jersey, ce n’est pas pour être retrouvés facilement”, explique-t-elle, estimant qu’Apple Sales International et Apple Operations Europe, les deux entités du groupe américain ayant quitté leur résidence fiscale irlandaise en 2014 selon l’ICIJ, ont été enregistrées ici sous de nouveaux noms.

– La finance, la moitié des emplois –

Le gouvernement de l’île, lui, a adopté une position tout en compromis, en annonçant qu’il sévirait si les entreprises ne se soumettaient pas à un code de bonne conduite qu’elles peuvent cependant définir elles-mêmes.

Une manière de répondre au scandale sans condamner la finance, si chère à Jersey : elle pèse 58% de son économie et la moitié des emplois de l’île en dépendent, selon l’association Jersey Finance, qui réunit les professionnels du secteur.

Mardi, les dirigeants de l’Union européenne se sont réunis et ont promis de finaliser en décembre une liste noire des paradis fiscaux, en débat depuis avril 2016. Une démarche observée de près à Jersey.

Dans son rapport annuel 2016, l’association Jersey Finance disait l’île prête, en tant que “centre financier international d’importance”, à “relever le défi”.

Avec toutefois une incertitude sur sa capacité à répondre à l’un des trois critères établis par l’UE: la nécessité de présenter une “fiscalité juste”, sans arrangements de nature à faciliter l’installation “de structures offshore attirant des bénéfices qui ne reflètent pas une activité économique réelle”.

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