Les syndicats ont-ils raison de descendre dans la rue ?

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Plusieurs milliers de personnes manifestent jeudi à Bruxelles contre le “pacte pour l’euro” que l’UE est sur le point d’entériner. Ont-elles raison ? Pour l'”économiste atterré” Thomas Coutrot, coprésident d’Attac, la volonté de renforcer la discipline budgétaire des Etats reflète une analyse erronée des origines de la crise.

Jusqu’à présent, il était interdit à un pays de la zone euro de venir en aide à un autre. La pérennisation du fond de secours ne représente-t-elle pas un progrès dans la solidarité de l’UE ?

Lorsqu’on regarde les conditions imposées aux pays “aidés”, on a du mal à y voir de la solidarité : non seulement les taux exigés sont très élevés, alors même que le fonds emprunte à seulement 3 %, mais surtout, les conditions de rigueur imposées en échange des prêts ne font qu’enfoncer les pays secourus dans la récession. Ces conditions ne servent qu’à rassurer les marchés financiers et leur garantir le remboursement de la dette. C’est pourquoi on parle de solidarité avec les marchés financiers…

Le fonds de secours pourra acheter de la dette publique des Etats secourus sur le marché primaire… Cela reflète-t-il quand même la volonté de desserrer l’étau de marchés ?

C’est effectivement un point positif que les Etats puissent, en période de crise, se financer directement auprès du fonds européen. Le seul problème c’est que les taux seront ceux de la moyenne du marché. L’avantage serait, si la BCE pouvait souscrire aux émissions primaires d’obligations d’Etat, qu’elle pourrait le faire à un taux quasi nul.

L’Allemagne semble toutefois avoir compris que les marchés financiers sont trop instables pour pouvoir garantir la discipline budgétaire des Etats. Angela Merkel a d’ailleurs tenté de s’attaquer à cette instabilité en interdisant, l’an dernier, les ventes à découvert à nu des CDS sur les obligations souveraines. Et c’est encore elle qui a fait pression récemment pour essayer d’instaurer une taxe sur les transactions financières au niveau de la zone euro afin de réduire la spéculation.

En réalité, elle est isolée. Nicolas Sarkozy peut se permettre de faire de grands discours sur son intention de faire passer une telle taxe lors de sa présidence du G20, il sait très bien que c’est sans conséquence : il ne convaincra ni les Américains ni les Canadiens.

En échange de la pérennisation du fonds de stabilité, les Allemands ont exigé des garanties. A travers un Pacte de compétitivité, les Etats s’engagent à la discipline budgétaire et à la modération salariale…

Il s’agit de généraliser le modèle allemand dont la compétitivité passe en grande partie par la répression salariale. Mais c’est impossible : le modèle allemand repose justement sur la conquête de gains de productivité au détriment des autres pays. Si les autres pays se mettent aussi à réprimer les salaires, il n’y aura plus personne pour absorber les exportations allemandes. Et la demande sera d’autant plus affaiblie que les salaires réels risquent de baisser avec la hausse des prix alimentaires, largement provoquée par la spéculation.

Quant au renforcement du pacte de stabilité et de la discipline budgétaire, il reflète une analyse erronée de l’origine de la crise : le problème de la dette ne résulte pas de la dérive des dépenses publiques. A l’exception récente de la Grèce, les dépenses publiques dans les pays européens sont sous contrôle et ont même tendance à baisser en part du PIB depuis les années 1990.

Si le déficit s’est creusé, c’est d’abord à cause de la baisse, depuis 30 ans, des recettes fiscales liées aux réductions d’impôt sur les sociétés et les contribuables les plus aisés. C’est donc d’abord le résultat de la concurrence fiscale entre les pays de la zone euro. Les déficits ont ensuite explosé avec la crise financière, avec les plans de sauvetage des banques et la récession qui a encore pesé sur les recettes fiscales.

Comment, dès lors, oeuvrer pour une meilleure convergence économique dans la zone euro, afin d’éviter une Europe à deux vitesses ?

La dette et le déficit des Etats doivent être pris en compte mais ce ne sont pas les seuls critères. Certes, les Européens surveilleront aussi le niveau de la dette privée. Ce qui est nécessaire car, dans certains pays comme l’Espagne et l’Irlande, la crise de la dette résulte d’un transfert de la dette privée à la dette publique. Mais ce n’est pas suffisant. Si l’on veut faire de la convergence économique de manière intelligente, il faut mettre fin à la concurrence fiscale et harmoniser les impôts vers le haut. Cela signifie notamment que l’Irlande relève son impôt sur les sociétés et l’Allemagne aussi.

Il faut également que les critères soient symétriques : il ne s’agit pas seulement de rappeler à l’ordre les pays où les salaires augmenteraient plus vite que la productivité (phénomène qui ne s’est produit qu’en Grèce), il faut aussi inciter les pays où les salaires sont trop bas, c’est-à-dire l’Allemagne, à les revoir à la hausse. On peut aussi imaginer des objectifs d’emploi ou de taux d’investissements publics et privés dans la transition écologique. Les seuls critères retenus par Bruxelles sont ceux qui conduisent à la rigueur et aux réformes libérales.

En attendant, il faudra quand même s’attaquer à la dette des Etats…

Dans l’immédiat, il faut restructurer les dettes publiques. C’est inévitable : la dette est trop importante pour que l’on puisse s’en sortir par la monétisation et l’inflation. Autant que cette restructuration se fasse de manière organisée. Il faut donc réaliser un audit de la dette publique, pour bien identifier qui détient quoi et voir qui peut supporter une éventuelle restructuration.

A long terme, seule une vraie réforme fiscale permettra de rétablir les recettes des Etats. Je suis par ailleurs favorable à la création d’un budget européen avec une véritable fiscalité européenne qui serait alimentée par une taxe sur les transactions financières et la taxe carbone.

Laura Raim, L’Expansion.com

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