Les questions qui fâchent sur la monnaie chinoise

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Les pressions internationales se multiplient pour forcer la Chine à réévaluer le yuan. Pékin reste de marbre. Pourtant, l’empire du Milieu aurait intérêt à disposer d’une monnaie plus forte. Décryptage.

Des sénateurs américains ont déclaré la guerre au yuan mardi en déposant un projet de loi visant la Chine, accusée de sous-évaluer sa monnaie afin de stimuler ses exportations.“La manipulation de la monnaie chinoise a contribué à la récession mondiale et maintenant elle entrave la reprise”, a lancé le sénateur démocrate Charles Schumer, principal auteur du projet de loi.

A cet égard, le directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn est clair : “l’avis du FMI est toujours que le renminbi est très sous-évalué”. L’index Big Mac de The Economist confirme : le yuan serait à 49% en dessous de sa “juste valeur”.

La Chine avait laissé le yuan s’apprécier de 20% entre juillet 2005 et l’été 2008, mais en août 2008, elle revient à la politique de parité fixe du yuan vis-à-vis du dollar. Le yuan suit donc le billet vert à la baisse à partir de mars 2009, se dépréciant de 17% par rapport à l’euro. Mais cette politique “spéciale” du yuan fait partie des diverses mesures prises par les autorités pour limiter l’impact de la crise, explique le gouverneur de la Banque populaire de Chine Zhou Xiaochuan, qui a reconnu début mars que Pékin serait un jour ou l’autre contraint de l’abandonner.

La faiblesse du yuan est-elle la cause de déséquilibres commerciaux mondiaux ?

Les Etats-Unis accusent la Chine d’utiliser le taux de change pour subventionner ses exportations. Les Chinois réfutent cette idée. Dans un article du China Daily, l’économiste Xia Bin affirme que le déficit américain est dû à “la structure économique défectueuse” du pays : “une épargne faible, une consommation forte, un secteur manufacturier transféré à l’international, et peu de produits à exporter”. Un article du Quotidien du Peuple rappelle que la balance commerciale d’un pays est avant tout fonction de son épargne et de son investissement. Pas faux, “sauf que les montants alloués à l’épargne et à l’investissement sont justement fonction du taux de change”, rétorque l’économiste Michael Pettis sur son blog China Financial Markets.

Est-il dans l’intérêt économique de la Chine de réévaluer sa monnaie ?

Au premier abord non, puisqu’un yuan fort rendrait mois compétitives ses exportations, moteur de la croissance et principal créateur d’emplois. “Avec 24 millions de jeunes et de travailleurs migrants des campagnes intégrant le marché du travail chaque année, la Chine ne peut courir le risque de déstabiliser son secteur exportateur”, explique l’économiste Jacques Adda dans une article d’ Alternatives économiques.

En revanche, une monnaie plus forte aurait un impact positif sur le pouvoir d’achat de la population, pour qui les importations seraient moins chères. Il y aurait en fait transfert de richesse des secteurs manufacturiers aux ménages. Transfert délicat puisqu’il déprimerait, du moins au début, la croissance économique et l’emploi. Idéalement, la consommation intérieure prendrait le relais de la demande étrangère en tant que moteur de la croissance. Le gouvernement chinois en est conscient. Il s’agit de ne pas brusquer cette transition. En effet, un abandon trop précipité des subventions aux exportations pourrait entraîner des faillites en masse d’entreprises chinoises qui entraîneraient à leur tour une hausse du chômage, explique Michael Pettis. Il n’y aurait donc plus de marché intérieur susceptible de prendre le relais de la demande. Un tel rééquilibrage nécessite également “des réformes structurelles visant à augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée chinoise et à réduire l’épargne forcée des ménages, ce qui suppose de développer la prise en charge sociale des dépenses d’éducation et de santé”, ajoute Jacques Adda.

La Chine a-t-elle besoin d’un yuan plus fort pour contenir les pressions inflationnistes ?

La bulle immobilière ne cesse de gonfler. Rien qu’au mois de février, les prix ont grimpé de 10,7% selon les statistiques chinoises. Le gouvernement le sait et a commencé à retirer des liquidités du marché en resserrant le crédit. Or “renforcer le taux de change peut aider à réduire les pressions inflationnistes” affirme la Banque mondiale dans son rapport trimestriel sur l’économie chinoise.

Mais cet argument comporte des failles. D’abord, l’inflation elle-même reste modeste, du fait de “facteurs déflationnistes extrêmement forts”, nous expliquait en janvier Pierre Mongrué, conseiller financier à l’Ambassade de France de Pékin. Il cite notamment “le contrôle des prix de l’énergie, de l’électricité et des matières premières”, ainsi que “le faible coût du travail, avec la présence des travailleurs migrants qui maintiennent une pression à la baisse sur les salaires”.

De plus, l’appréciation du taux de change nominal n’est pas forcément la meilleure solution pour éviter les bulles. Au contraire, elle risque d’attirer les capitaux étrangers, comme le prouve l’expérience récente des économies émergentes dont les monnaies s’apprécient, comme le Brésil et la Corée du Sud.

Un yuan plus fort permettra-t-il vraiment de rétablir l’équilibre commercial ?

La sous-évaluation du yuan étant l’équivalent monétaire d’une taxe à l’importation chinoise, certains économistes, comme Paul Krugman, sont convaincus qu’il a un “effet dépressif” sur les croissances américaine, européenne et japonaise. Il coûterait selon lui 1,5 point de croissance mondiale.

Tous les économistes ne sont pas de cet avis. “Un yuan plus fort aura peu d’effet sur la balance commerciale américaine”, affirme Joseph Stiglitz selon Bloomberg. D’abord, la Chine produit beaucoup de choses que les Etats-Unis ont cessé de fabriquer depuis longtemps. “Un yuan plus fort ne ramènerait donc pas des millions d’emplois aux Etats-Unis, explique The Economist, il aurait plutôt l’effet d’une taxe sur la consommation”. Ensuite, la contraction du surplus chinois “signifie seulement la contraction équivalente du déficit du reste du monde, rappelle Michael Pettis. Or cet effet pourrait très bien être absorbé par d’autres pays que les Etats-Unis comme le Vietnam, le Mexique ou la Corée”.
Laura Raim Trends.be, L’Expansion.com

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