“Les politiques nient la réalité !”

© Filip Van Loock

Les gens doivent un peu moins compter sur l’Etat et s’assumer un peu plus eux-mêmes. C’est la principale recommandation du professeur américain Franklin Allen pour mettre un terme au foisonnement des crises financières de ces dernières années.

Lisez l’intégralité de cette interview dans le numéro 45 du magazine Trends-Tendances, daté du 10 novembre 2011.

La faculté d’économie de la KU Leuven excelle à attirer des grands noms pour donner du lustre à la chaire Gaston Eyskens. Voici peu, c’est Franklin Allen qui est venu y prendre la parole. Il est professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie et une autorité en matière de stabilité financière. Le moment de sa venue pouvait donc difficilement être mieux choisi, à présent que l’Europe cherche désespérément un moyen de s’extirper du marasme de la dette.

Voyez-vous l’euro survivre ?

Oui, mais d’autres scénarios sont aussi possibles. On peut imaginer que quelques pays faibles sortent de l’euro ou que ce soient les pays forts qui en sortent. L’incertitude est grande.

Les politiciens s’attaquent-ils à la crise de la dette de la bonne manière ?

Non. Ils nient la réalité. En 2010, les politiciens auraient dû opter pour un réaménagement dur de la dette grecque. C’est ce que voulait le FMI mais l’Europe pensait que la situation irait en s’améliorant. Or, elle s’est considérablement dégradée. Et aujourd’hui, l’Italie figure aussi sur la liste des pays à problèmes.

Finalement, il faudra bien que quelqu’un éponge les pertes. Le processus politique de cette opération est toutefois très toxique. De grands transferts budgétaires des pays du nord de l’Europe vers des pays du sud sont politiquement presque impossibles. Par ailleurs, l’Europe est peut-être encore capable de signer un chèque pour la Grèce mais pas pour l’Italie.

La question est de savoir comment les hommes politiques réuniront l’argent nécessaire pour alimenter le fonds de secours qui doit éviter la contamination à l’Espagne et l’Italie. Les Français ne veulent pas payer car ils y perdraient leur triple A. La Banque centrale européenne pourrait imprimer l’argent nécessaire mais l’Allemagne s’y oppose.

Comment se présentera la fin de partie : la BCE interviendra-t-elle massivement ou y aura-t-il tout de même des transferts budgétaires ?

L’accession de l’Italien Mario Draghi à la présidence de la BCE ne pouvait tomber à un plus mauvais moment. Pendant au moins un an, il devra être plus allemand que les Allemands. Je ne pense donc pas qu’il pourra faire fonctionner la planche à billets sur une grande échelle, même si son propre pays rencontre de grosses difficultés. Le FMI pourrait aider l’Europe mais je ne vois pas bien pourquoi les pays émergents qui sont plus pauvres devraient se porter au secours du Vieux Continent qui est plus riche.

Pourquoi les Grecs ne choisissent-ils pas eux-mêmes de ne pas rembourser leurs dettes ?

Ils opteront sans doute pour cette solution à un certain moment. Nous obligeons les Grecs à sacrifier toute une génération – le chômage des jeunes s’élève à 40 % en Grèce. Ce groupe devra attendre 10 à 20 ans pour avoir un travail qui améliorera leur niveau de vie. Le système politique grec ne peut pas soutenir cette situation. D’autant plus que c’est pour sauver les actionnaires français et allemands des banques. Ce n’est pas juste.

Les dettes souveraines sont-elles la dernière bulle en date ?

Oui. Je ne crois pas en la constitution de déficits publics pour continuer à faire tourner l’économie. Les Britanniques sont en train de se livrer à une expérience intéressante en matière d’économies, et espérons qu’elle réussira. Si vous ne faites pas d’économies, vous finirez un jour comme la Grèce. Réduisez vos dettes avant que ce soit trop douloureux. C’est la seule manière de résoudre le problème de la dette et de s’adapter à la nouvelle réalité. Mais il n’y a encore que peu de pays qui le font…

Propos recueillis par Daan Killemaes et Patrick Claerhout

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