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‘Les juges ne sont pas des statues de pierre, faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?’

Chacun connaît la boutade du regretté Coluche: un bon avocat, ce n’est pas un avocat qui connaît la loi, mais un avocat qui connaît le juge…

Les magistrats n’aiment pas trop cette boutade, même si heureusement, ils ont souvent le sens de l’humour. Comme le rappelle le journal Les Échos, ils préfèrent sans doute se fier à ce que pensait d’eux le grand philosophe Aristote pour qui “recourir au juge, c’est recourir au droit, car le juge est en quelque sorte le droit personnifié”. Montesquieu va plus loin encore et a écrit que les “juges ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni l’ardeur”.

Mais en réalité, les derniers travaux en sciences économiques comportementales démontrent que cette vision idyllique du juge n’existe pas tout à fait, et c’est normal: les juges ne sont pas faits de pierre, ils ont aussi leur humeur et leurs moments de fatigue. Bref, leurs jugements peuvent également être biaisés. Et d’ailleurs, les magistrats le reconnaissent en quelque sorte. La revue de l’École de magistrature en France (cahiers de la justice) a publié récemment un numéro titré “des juges sous influence” et dans lequel on retrouve plusieurs articles rédigés par des économistes. Leurs travaux démontrent et rappellent que la justice est influençable, notamment via les juges non professionnels.

Faut-il s’inquiéter ou se réjouir d’apprendre que les juges sont des hommes et des femmes comme les autres ?

Le journal économique Les Échos rappelle par ailleurs qu’aux États-Unis, les jurés sont par exemple très sensibles aux médias. Des économistes américains ont en effet démontré que chaque reportage sur un fait divers criminel diffusé durant le journal télévisé du soir augmente de 24 jours la durée des peines prononcées le lendemain par les cours d’assises. En revanche, si le journal télévisé propose la veille un reportage sur une erreur judiciaire, les peines seront au contraire diminuées de 37 jours en moyenne.

C’est normal, me direz-vous, il s’agit là de jurés, donc de citoyens normaux. Les juges professionnels, eux, ne seront pas sensibles à une émission de télévision. C’est en partie vrai, bien entendu, mais d’après ces travaux d’économistes comportementalistes, les juges ne sont bel et bien pas des statues de pierre. Les économistes américains ont démontré, chiffres à l’appui, que les juges noirs sont plus sévères avec les accusés mineurs noirs, tout comme les juges blancs le sont davantage avec les mineurs blancs. D’ailleurs, une étude universitaire qui vient d’être primée cette année en France démontre que la Cour constitutionnelle, une cour en principe composée de sages, censure moins des lois de droite lorsqu’il y a davantage de juges nommés par la droite et vice versa.

En Israël, ce genre d’études économiques a déjà fait l’objet de plusieurs publications (relayées dans les ouvrages de l’économiste Daniel Cohen par exemple) qui démontrent, par exemple, que les juges d’application des peines israéliens acceptent les deux tiers des demandes d’aménagement en début de session… et refusent quasi toutes ces demandes en fin de session.

Faut-il s’inquiéter ou se réjouir d’apprendre que les juges sont des hommes et des femmes comme les autres, sensibles à la faim ou à la fatigue par exemple ? En tout cas, mieux vaut le savoir et agir en conséquence…

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