“Les hiérarchies salariales sont demeurées les mêmes qu’à la Belle Epoque”

© Jérôme Chatin / L'Expansion

Dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil), le professeur à l’Ecole d’économie de Paris Thomas Piketty examine trois siècles de répartition des richesses.

Dans votre livre, vous défendez l’idée d’une parenté entre la France d’aujourd’hui et celle d’avant la Première Guerre mondiale. Quelles analogies voyez-vous?
Les patrimoines des Français détruits au cours des deux guerres mondiales se reconstituent depuis les années 50, pour retrouver en 2010 le niveau atteint vers 1910. Un chiffre : la totalité des patrimoines immobiliers et financiers (nets de dettes) des Français équivalait à six années de produit intérieur brut au début du XXe siècle, comme aujourd’hui. La Belle Epoque connaissait aussi la mondialisation du capital. Les pays européens regorgeaient d’épargne et trouvaient des débouchés bien rémunérés à l’étranger. Aujourd’hui, contrairement à une idée répandue, les Européens possèdent toujours des actifs étrangers supérieurs à ce que les étrangers possèdent en Europe. C’est la bonne nouvelle du livre : l’Europe est riche !

Cette concentration du capital sonne- t-elle le grand retour des “200 familles”?
Le capital a changé de main, il est aujourd’hui moins fortement concentré. Il n’en reste pas moins que la période actuelle voit le grand retour de l’héritage. Les flux successoraux s’approchent de ceux du XIXe siècle. Simplement, il y a moins de très gros rentiers que chez Balzac, et davantage de petits et moyens rentiers. Il s’agit d’une forme d’inégalité que l’on croyait avoir dépassée.

Au fond, l’inflation n’est-elle pas un moyen de renverser la situation?
L’inflation, c’est l’impôt sur le capital du pauvre. Les plus riches parviennent à contourner l’inflation en investissant en actions et dans l’immobilier. Les pauvres, quant à eux, voient leur épargne bancaire s’éroder. Un outil beaucoup plus efficace serait un impôt progressif sur le capital. Mais l’inflation demeure une meilleure solution que l’austérité.

La société française est-elle aussi inégalitaire en matière d’échelle des salaires qu’à la Belle Epoque?
Certes, le niveau moyen des salaires a beaucoup progressé depuis un siècle, et la structure des métiers et des qualifications s’est totalement transformée. Mais les hiérarchies salariales sont demeurées approximativement les mêmes.

Dans les années 1900-1910, comme un siècle plus tard, les 10 % de salariés les mieux rémunérés absorbaient pratiquement 25 % du total de la masse salariale, soit plus que les 50 % les moins bien payés. Evidemment, cette permanence des hiérarchies salariales entraîne une terrible frustration et alimente la rancoeur contre le système scolaire. Les gens ont, certes, accédé à des niveaux de formation plus élevés, mais le niveau global de formation s’est déplacé vers le haut.

Pouvons-nous alors en conclure que la promesse de la social-démocratie n’a pas été tenue?

La compression des inégalités de revenus au siècle dernier se concentre, finalement, sur une période très particulière : 1914-1945. Au XXe siècle, ce sont bien les deux conflits mondiaux qui ont fait table rase du passé, et non la paisible rationalité démocratique ou économique.

Propos recueillis par Franck Dedieu et Béatrice Mathieu

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