Les Etats-Unis laissent-ils couler le dollar ?

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Fini le temps où Washington assurait au monde qu’il voulait un dollar fort. Alors que le biller vert a plongé à un plus bas de cinq mois contre l’euro, le gouvernement américain semble très bien s’accommoder de la tendance.

Les Américains laissent-ils délibérément plonger le dollar ?

“Un dollar fort est dans l’intérêt des Etats-Unis” : cette phrase rituelle des secrétaires au Trésor américain, Timothy Geithner ne l’a pas prononcée en public depuis maintenant un an. Si les Etats-Unis ne le reconnaissent pas officiellement, personne n’est dupe : ils ont tout intérêt à laisser le dollar tomber s’ils veulent booster la compétitivité de leurs produits et atteindre l’objectif, lancé en janvier par Barack Obama, de doubler les exportations américaines en cinq ans.

La Fed est d’autant plus incitée à maintenir un dollar faible que quasiment toutes les grandes banques centrales mondiales font la même chose avec leur monnaie. A la mi-septembre, la Banque du Japon est intervenue directement sur le marché des changes pour la première fois en six ans afin de freiner l’ascension du yen, emboîtant ainsi le pas à la Suisse, qui bataille depuis plus d’un an pour empêcher une envolée du franc suisse. Quant à la Bank of England, elle s’apprête, comme la Fed, à lancer une nouvelle vague d’assouplissement quantitatif. Sauf que, “si tout le monde cherche à déprécier sa monnaie, cela devient un jeu à somme nulle”, met en garde Nordine Naam, économiste chez Natixis.

Comment font les Etats-Unis pour affaiblir le dollar ?

L’Etat n’a même pas besoin d’intervenir directement sur le marché des changes en vendant du dollar. Le billet vert se déprécie naturellement pour plusieurs raisons. D’abord, “la crainte d’une récession, voire d’une déflation aux Etats-Unis cet été, a pesé sur le dollar”, explique Nordine Naam.

Ensuite, la pression que Washington exerce sur la Chine pour qu’elle laisse sa monnaie s’apprécier commence à porter ses fruits. La Chambre des représentants devait notamment se prononcer, vendredi dernier, sur un projet de loi qui imposerait des mesures de rétorsion visant les produits chinois importés aux Etats-Unis. Résultat : le yuan a atteint mardi dernier un de ses plus hauts niveaux depuis 1993, à 6,7 yuans pour un dollar.

Enfin et surtout, l’annonce mardi soir de la Fed,qui s’est dite “prête à mener un assouplissement supplémentaire si nécessaire pour soutenir la reprise économique“, autrement dit à faire marcher la planche à billets, n’a pas manqué de faire plonger le billet vert. “Il est désormais probable que de nouvelles mesures soient adoptées avant la fin de l’année”, a estimé Simon Derrick (BNY Mellon). Or, plus de dollars en circulation signifie que chaque billet vert risque de valoir un peu moins. Mercredi, les cambistes ont donc acheté des euros, poussant le cours de la monnaie unique à son plus haut niveau depuis cinq mois.

Cela entraînera-t-il de l’inflation ?

C’est bien ce que souhaiterait la Fed. Elle ne s’en est pas cachée la semaine passée, puisqu’elle a déclaré que la faiblesse actuelle de l’inflation n’était pas “compatible” avec sa “mission”. De fait, “l’inflation hors énergie et alimentation était de 0,9 % en août, un niveau jamais vu depuis janvier 1966, fait remarquer l’économiste de Natixis. Or, vu le taux de chômage, l’inflation ne pourra pas venir d’une hausse des salaires. En laissant chuter le dollar, la Fed contribue indirectement à renchérir le prix des importations et créer ainsi un peu d’inflation.”

L’inflation présente bon nombre d’avantages. Elle permet de réduire le poids de la dette souveraine, qui a dépassé les 13.000 milliards de dollars. “Plutôt que de réduire les dépenses publiques ou d’augmenter les impôts, il est tentant de laisser l’inflation faire le sale boulot”, résume Michael Kinsley (The Atlantic). C’est d’ailleurs grâce à une inflation de 13 % qu’en 1979, le pays a réussi à éliminer 100 milliards de dollars sur ses 830 milliards de dettes.

Deuxième intérêt, en théorie, de l’inflation : elle encourage la consommation. Si les prix ont tendance à grimper, il vaut mieux ne pas attendre pour acheter. Alors que la consommation des ménages, moteur traditionnel de l’économie américaine, est plombée par la nécessité de se désendetter et le chômage, un peu d’inflation serait donc bienvenue pour booster les dépenses. Encore faut-il que les salaires suivent pour ne pas détériorer le pouvoir d’achat.

Le problème est qu’en réalité, “la transmission de la politique monétaire ne marche pas dans un contexte de désendettement des agents économiques”, conclut Nordine Naam. La Fed a beau avoir gonflé son bilan à 2.300 milliards de dollars et inonder le marché de liquidités, l’inflation est restée en deçà de son objectif de 2 %. La Fed peut injecter autant de liquidités qu’elle veut, tant que l’activité stagne et que le chômage explose, la demande des ménages est trop fragile pour tirer les prix à la hausse.

Laura Raim, L’Expansion.com

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