Les escrocs ne connaissent pas la crise

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Utilisant des méthodes toujours plus sophistiquées, la criminalité en col blanc reste un phénomène important en Belgique. Crise ou pas !

Comment évolue la criminalité économique et financière au fil du temps ? Pour le savoir, il suffit de se plonger dans le 17e rapport d’activités de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), qui traque l’argent sale en Belgique. Il montre clairement que, malgré l’intensification de la lutte contre la criminalité organisée, celle-ci gagne du terrain chez nous. Ne serait-ce que parce que “le degré d’éthique et de respect des règles ont généralement tendance à s’estomper lorsque l’environnement économique devient plus difficile”, relève Jean-Claude Delepière, président de la CTIF, qui livre un rapport très instructif sur les grandes tendances de fond en matière de délinquance économique et financière.

1. Des déclarations de soupçons en constante augmentation

C’est le principal enseignement de ce dernier rapport de la CTIF : le ralentissement économique n’a pas découragé les escrocs. Les statistiques en matière de déclaration de soupçon reçues (en application de la loi préventive de l’utilisation du système financier à des fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme) par la cellule en attestent. Pour l’ensemble de l’année 2010, le nombre atteint les 18.673 déclarations, soit une moyenne de 1.556 déclarations par mois. Le chiffre représente une augmentation de 8,7 % par rapport à 2009. Et un bond de 20 % par rapport aux statistiques de 2008 !

2. Plus d’un milliard d’argent sale détecté

Sur ces quelque 18.000 déclarations reçues par la CTIF, 1.259 ont été transmises aux autorités judiciaires. En tout, ces 1.259 nouveaux dossiers transmis aux parquets représentent 595 millions d’euros. A ce montant s’ajoutent les 727 millions d’euros relatifs aux informations complémentaires transmises aux autorités judiciaires dans le cadre de dossiers déjà ouverts. Au total, les informations reçues, traitées et transmises en 2010 par la CTIF portent sur une somme de 1,3 milliard d’euros d’argent sale. A titre de comparaison, selon une estimation récente des Nations unies, le montant global des bénéfices provenant des activités criminelles s’élevait en 2009 à 2.100 milliards de dollars. A noter que la CTIF a, l’an dernier, fait opposition pendant 48 heures à 136 millions d’euros. Les autorités judiciaires ayant, elles, saisi à peine 116 millions d’euros.

3. Du Panama au Portugal en passant par Londres

Dans un exemple de déclaration relaté à la page 51 de son rapport, la CTIF nous apprend qu’après avoir ouvert un compte auprès de la succursale belge d’une banque britannique, un citoyen espagnol résident au Portugal, sans aucun lien connu avec la Belgique, a reçu par transferts internationaux un montant de 8,7 millions d’euros sur ordre d’un holding au Panama dont il était le principal bénéficiaire.

Le même jour, il a demandé de transférer 8,5 millions d’euros en sa faveur au Portugal pour un investissement immobilier. Des opérations que la succursale belge a trouvées suspectes avant de les communiquer à la CTIF et aux renseignements financiers britanniques. In fine, Il s’est avéré que le ressortissant espagnol était suspecté de fraude et d’évasion fiscale à grande échelle en Espagne. Preuve que, comme le souligne Jean-Claude Delepière, “le terrain de jeu de la criminalité financière est international et que les transactions financières circulant à la vitesse de la lumière ne connaissent pas de frontière”.

4. Bureaux de change et casinos : de gros “apporteurs d’affaires”

Pas moins de 341 déclarations, soit 27 % des “dénonciations” reçues par la CTIF en 2010, émanent de bureaux de change (de type Western Union ou MoneyGram). C’est moins que les 761 dossiers en provenance des 58 établissements de crédit (sur un total de 105 actifs en Belgique). Mais sachant que 21 bureaux de change sont répertoriés en Belgique et que 14 d’entre eux ont alerté la CTIF l’an dernier, le secteur concentre plus de soupçons. Au même titre que les neuf casinos belges qui l’ont tous avertie de l’une ou l’autre opération qu’ils jugeaient douteuse.

5. L’escroquerie à l’honneur

Sur 1.259 dossiers transmis aux autorités judiciaires, 306 concernent des escroqueries, nous apprend encore le rapport de la CTIF. C’est beaucoup plus que le trafic de main-d’£uvre clandestine (187), le trafic illicite de stupéfiants (138) ou la fraude fiscale grave et organisée (123). L’escroquerie est une infraction qui recouvre par exemple la commercialisation de produits d’assurance sans aviser correctement les investisseurs des risques potentiels.

6. Le carrousel TVA toujours très prisé

Sur le terrain de la fraude fiscale grave et organisée, le mécanisme de carrousel TVA (consistant à obtenir un remboursement TVA dans un Etat pour une transaction commerciale soi-disant réalisée dans un autre pays) demeure une méthode très prisée par les organisations criminelles pour gagner rapidement de l’argent, à moindre risque. “Cela rapporte plus qu’un braquage à main armée”, résume Jean-Claude Delepière. En 2010, la CTIF a ainsi détecté un carrousel TVA de 37 millions d’euros dans le secteur du bétail.

7. Le filon de la fraude aux quotas de CO2

Autre constat du rapport : utilisant des méthodes toujours plus sophistiquées, la criminalité financière se confond chaque jour un peu plus avec l’économie traditionnelle. Ainsi, dans le secteur des quotas de CO2, une dizaine de personnes en Europe ont réussi à soustraire aux caisses publiques une somme estimée à un milliard d’euros. La Belgique étant elle-même spoliée d’environ 78 millions d’euros.

8. Le crédit hypothécaire comme “blanchisseuse”

Parmi les techniques de blanchiment détectées par la CTIF au cours des deux dernières années, figurent les mécanismes de fraude liés à l’obtention d’un crédit hypothécaire. Selon la CTIF, de nombreuses entreprises du secteur de la construction et du nettoyage ont eu recours à cette technique visant à procurer de fausses fiches de paie à des travailleurs au noir afin qu’ils obtiennent un prêt hypothécaire. But de la manoeuvre : obtenir de l’argent frais avant de rembourser le prêt avec de l’argent sale provenant d’activités illicites.

9. Bruxelles reste une plaque tournante

En termes de géographie, la capitale reste au carrefour de la criminalité financière qui se déploie chez nous. En termes de déclarations de soupçon par arrondissement, Bruxelles devance de loin Anvers. Suivent ensuite, dans l’ordre, les arrondissements judiciaires de Gand, Bruges, Liège, Tongres et Charleroi.

10. Gare aux “lettres” nigérianes

Quant à savoir où part l’argent détourné en Belgique, le rapport montre que les escrocs opérant chez nous sont surtout de nationalité belge, néerlandaise, française. Les nationalités brésilienne et portugaise, mais aussi nigériane et ivoirienne, se retrouvent également dans de nombreux dossiers transmis.

Sébastien Buron

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