Les défis économiques qui attendent Ouattara

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Désormais seul président à la tête de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara doit rétablir la sécurité tout en relançant une activité économique gelée par quatre mois de conflit. Mais au delà, c’est une réponse à un déclin d’une dizaine d’années qu’il devra trouver.

Au lendemain de l’arrestation de son rival Laurent Gbagbo, le président ivoirien Alassane Ouattara a pris mardi les rênes d’un pays à la dérive. Sa première mission, immense, est de réconcilier une nation divisée et de rétablir la paix et la sécurité. Les quatre mois de crise ont fait au moins 800 morts dont la moitié à Abidjan. Résultat, la capitale économique est au bord d’une catastrophe humanitaire, avec des quartiers livrés à l’anarchie et aux pillages de groupes en armes. Et la situation dans le reste du pays, au Nord ou à l’Ouest n’est pas meilleure.

Pour espérer s’imposer face à une population qui a voté à 45% contre lui en décembre, Alassane Ouattara devra améliorer rapidement la vie quotidienne des Ivoiriens et, pour cela, remettre en route l’économie. Il dispose d’ores et déjà de l’appui de la France qui a débloqué mardi un soutien financier exceptionnel de 400 millions d’euros. Il peut plus généralement compter sur la communauté internationale, l’Union européenne, notamment, qui promet une aide économique à long terme pour reconstruire le pays. Souvent présenté par ses adversaires comme le candidat de l’étranger, Ouattara devra faire la preuve qu’il peut mobiliser au profit de la Côte d’Ivoire un réseau d’influences bâti à la tête d’institutions financières comme la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest ou le FMI, où il a occupé le poste de directeur général adjoint. Sa popularité dans les milieux d’affaires, cultivée notamment par le biais de son épouse Dominique, une Française propriétaire d’un groupe immobilier, lui sera également utile pour relever les défis économiques de la Côte d’Ivoire.

Relancer les exportations de cacao. C’est le secteur crucial de l’économie: Premier producteur mondial de cacao, la filière représente plus de 25% des exportations du pays. Or le commerce a été en grande partie suspendu après qu’Alassane Ouattara a demandé, fin janvier, de suspendre toutes les exportations de cacao afin de priver son rival Laurent Gbagbo de recettes fiscales. L’UE et les Etats-Unis avaient soutenu Ouattara en interdisant à leurs navires d’accoster aux ports d’Abidjan et de San Pedro. Résultat, près d’un tiers de la production ivoirienne de cacao (entre 1,2 million et 1,4 million de tonnes par an) est encore dans les champs ou stockée dans les entrepôts. Mais la reprise des exportations devrait se faire sans trop de difficultés, selon le groupe Eurasia, même si au delà d’une certaines période de stockage dans les entrepôts, la qualité de la fève peut se dégrader.

Repayer la dette. En février, la Côte d’Ivoire a fait défaut sur les marchés, déclarant son incapacité de rembourser quelque 29 millions de dollars d’intérêts à ses créanciers sur un prêt de 2,3 milliards de dollars. Mais la plupart des analystes semblent sereins : le pays dispose de réserves de changes importantes, 3,3 milliards de dollars, et devrait donc pouvoir procéder au remboursement dès que la situation politique sera apaisée. De fait, il y a deux ans, la Côte d’Ivoire devait environ 230 millions d’euros à la Banque africaine du développement. L’ardoise avait pu être facilement apurée.

Débloquer le système financier, paralysé par la fermeture de la banque centrale, des banques et des compagnies d’assurance. Les filiales de BNP Paribas et de la Société générale ont certes été réquisitionnées mais elles tournent au ralenti. Selon Jeune Afrique, les seules banques véritablement opérationnelles durant la crise étaient publiques et disposaient de très peu de moyens. En conséquences, de nombreuses PME et PMI, confrontées à des problèmes de trésorerie ont dû mettre leur personnel au chômage technique ou simplement fermer.

Sortir l’économie de 10 ans de stagnation. Si la crise post électorale a mis à terre l’activité ivoirienne, elle était loin de tourner à plein régime avant. Embourbée dans une crise politique depuis 2002, l’économie était déjà très fragilisée. Le pays représente certes un tiers du PIB de l’Union économique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), mais son poids atteignait 40% au début de la décennie. Même la filière cacao aurait besoin d’un coup de neuf. Le pays produit peut-être un tiers du caco mondial mais ses parts de marché n’ont cessé de diminuer. “Etant au coeur du conflit politique depuis près de dix ans, le secteur fait en permanence l’objet de ‘rackets institutionnels’ et de taxes qui ont fini par décourager les producteurs d’investir”, explique un économiste qui a souhaité conserver l’anonymat. Résultat : si la production est restée stable, la qualité des fèves s’est dégradée.

Pour autant, “la Côte d’Ivoire est bien armée pour redevenir un moteur régional, juge Paul Derreumaux, économiste spécialiste des questions africaines. Grâce à la politique des années Houphouët-Boigny, le pays a encore l’infrastructure urbaine et routière la plus développée de la région. Son économie est relativement diversifiée, avec l’industrie agroalimentaire, le pétrole, le gaz et l’or”. Avec Abidjan, Espoir et San Pedro, la Côte d’Ivoire est l’une des principales puissances portuaires de l’Afrique subsaharienne, rappelle France 24. Le pays en a profité pour développer les activités de constructions navales : les bateaux représentent la quatrième exportation de la Côte d’Ivoire.

Pour Paul Derreumaux, “une des priorités de Ouattara devra être de relancer les grands chantiers d’infrastructure, ce qui permettra de générer des emplois. Le gouvernement pourra d’autant plus le faire que la Côte d’Ivoire avait atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE et devrait donc bientôt recevoir une large somme d’argent des bailleurs de fonds internationaux”. Le nouveau président devra aussi “redévelopper la production de coton, surtout dans les régions du nord, estime l’économiste. Ce serait un moyen de favoriser l’unification avec le sud”. De fait, la capacité de Ouattara à relancer l’économie dépend aussi en grande partie du retour de la stabilité politique et de l’unification des deux régions ennemies.

Laura Raim, L’Expansion.com

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