Les déchirements espagnols assombrissent l’avenir économique et politique

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Ayant survécu à six années mouvementées en tant que Premier ministre de l’Espagne, Mariano Rajoy aspirait au calme pour 2018. Après tout, la crise économique et la récession qui ont suivi l’éclatement de la bulle immobilière étaient en train de disparaître dans le rétroviseur.

Et après deux élections aux résultats en demi-teinte en 2016 (le premier scrutin n’avait pas permis à Mariano Rajoy de former de gouvernement de coalition), à l’issue desquelles le Parti populaire (PP, conservateur) de Rajoy avait perdu des voix – avant tout en raison de scandales de corruption -, le Premier ministre avait enfin formé un gouvernement minoritaire qui était parvenu à une certaine stabilité. Et puis la crise catalane a éclaté avec la force d’un orage d’août sur la plaine de Castille.

Cette crise et ses répercussions vont dominer la vie politique espagnole en 2018. La Catalogne a tenu à organiser un référendum anticonstitutionnel (le 1er octobre 2017) sur l’indépendance, puis Mariano Rajoy a tenté de l’empêcher en envoyant la Guardia Civil. Après une déclaration d’indépendance du Parlement catalan (le 27 octobre 2017), Mariano Rajoy a mis sous tutelle la région rebelle et convoqué une élection qui devait avoir lieu ce 21 décembre 2017. C’est un pari, mais il est habile. Le mouvement indépendantiste catalan, mené par le président de la région, Carles Puigdemont, après avoir menacé de pratiquer la désobéissance civile contre le gouvernement provisoire sous tutelle de Madrid, y a renoncé. Carles Puigdemont est poursuivi par la justice espagnole et pourrait faire l’objet de lourdes inculpations (pour rébellion et sédition). Le Premier ministre déchu est toujours en Belgique. Sa coalition va pourtant se lancer dans la campagne électorale, soit soudée soit en ordre dispersé.

Mariano Rajoy prend le risque de voir une majorité sécessionniste se dégager de l’élection. Mais Carles Puigdemont était prêt à obtenir l’indépendance à n’importe quel prix, et de nombreux Catalans étaient horrifiés par sa politique. Grâce à cette élection, les partis qui refusent le divorce d’avec Madrid vont pouvoir rassembler les voix d’une majorité en grande partie silencieuse, sans chef de file, opposée à l’indépendance.

Prévisions économiques revues à la baisse

Le conflit a déjà assombri l’horizon économique de l’Espagne, notamment en Catalogne. Les prévisions antérieures annonçaient une quatrième année consécutive de croissance à environ 3 % en 2018, la prestation la plus impressionnante de la zone euro. Madrid espérait que l’économie créerait environ 500.000 emplois supplémentaires, ramenant le taux de chômage à 15 ou 16 %, ce qui aurait encore été élevé. Tout cela paraît désormais bien optimiste. Les prévisionnistes revoient leurs estimations à la baisse. En effet, l’investissement est en berne et le coût de la dette publique est remonté.

Mariano Rajoy avait l’intention de tenir bon jusqu’en mai 2019, date à laquelle il aurait cherché à obtenir un mandat plus large en organisant des élections législatives qui auraient coïncidé avec les municipales, ainsi qu’avec le renouvellement des députés au Parlement européen. Désormais, les législatives pourraient avoir lieu en 2018. Mariano Rajoy ne pourra peut-être pas renouveler l’exploit d’adopter le budget avec des voix du Parti nationaliste basque (PNV). Il a veillé à mener sa politique catalane en accord avec l’opposition socialiste et Ciudadanos, un parti de centre droit qui soutient le gouvernement. Mais il éprouvera peut-être la nécessité – ou trouvera l’occasion – d’obtenir un meilleur soutien électoral.

Le problème de la Catalogne ne va pas disparaître du jour au lendemain. Une minorité de Catalans souhaite l’indépendance (moins d’un électeur sur deux s’est rendu aux urnes lors du référendum du 1er octobre 2017, mais le oui à l’indépendance a récolté plus de 90 % des suffrages), et la majorité n’est pas satisfaite du statu quo. Sur l’insistance des socialistes, Mariano Rajoy a accepté de créer une commission parlementaire pour plancher sur la réforme de la Constitution. Quoi qu’il arrive, la période de coexistence démocratique, de prospérité et de progrès qu’a connue l’Espagne depuis l’adoption de la Constitution en 1978 touche à sa fin.

Par Michael Reid.

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