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Les cumuls sont-ils nuisibles ?

L’idée d’obliger les hommes politiques à n’exercer qu’un seul mandat en même temps, voire de limiter le nombre de mandats consécutifs, fait son chemin dans l’opinion et dans les partis. Est-ce une bonne idée ?

Sans doute y a-t-il chez ces mêmes partis une volonté des militants de voir “libérer des places”, puisque toute interdiction de cumul augmentera le nombre de personnes pouvant exercer un mandat. Quant à l’opinion, elle est vite indignée par quelques scandales, surtout lorsqu’elle constate, jalouse, que certains politiciens s’enrichissent.

Pourtant, une éventuelle interdiction des cumuls ne briderait pas que les hommes et femmes politiques. C’est aussi le citoyen qui perdrait une partie de sa liberté de choix : si son bourgmestre ne peut plus être élu au Parlement, l’électeur perd une partie de son droit à choisir qui le représentera. C’est le paradoxe de la controverse actuelle : on prétend interdire les cumuls au nom de la démocratie, et en réalité, les mesures envisagées n’aboutiraient qu’à empêcher l’électeur de choisir certaines personnes. Est-il vraiment absurde, si l’on se prétend démocrate, de considérer que les électeurs ont le dernier mot, et que c’est à eux, dûment informés, qu’il revient de décider ou non qu’une personne déterminée est capable d’exercer un, deux ou encore davantage de mandats ?

On peut se demander s’il ne serait pas plus utile de remettre en cause d’autres règles qui faussent, elles, le libre choix des électeurs : enlever tout effet au classement des candidats choisis par le parti, et déclarer simplement élus ceux qui ont le plus de voix, voire remettre en cause le système des listes, et choisir, comme en France ou en Grande-Bretagne, un seul élu par circonscription, qui soit le vrai représentant – cumulard ou non – de la population.

Il faut aussi se garder d’affirmer péremptoirement que personne n’est capable d’exercer deux métiers en même temps. C’est une attitude populiste que d’affirmer que tous les gens ont des capacités équivalentes, alors que l’on sait bien que pour certains, un ” temps plein ” peut représenter six heures de travail par jour, alors que pour d’autres, travailler 14 ou 15 heures n’est guère un problème. Il y a aussi des gens plus efficaces, plus organisés, plus talentueux que d’autres et qui sont capables de faire un meilleur travail en exerçant deux mandats simultanément, alors que d’autres n’en assument qu’un seul. Certes, ce ne sont peut-être pas les meilleurs qui sont élus, mais à défaut d’un meilleur système de mesure, il faut, en démocratie, admettre que ce sont les électeurs qui apprécient. Or, aux élections, ils ne cessent d’élire et de réélire des personnes qui exercent de nombreux mandats. Certains sont peut-être très mauvais, mais ils sont élus, et on ne peut contester leur légitimité sans discuter en même temps les fondements du système de la démocratie représentative.

Est-il vraiment absurde, si l’on se prétend démocrate, de considérer que les électeurs ont le dernier mot, et que c’est à eux, dûment informés, qu’il revient de décider ou non qu’une personne déterminée est capable d’exercer un, deux ou encore davantage de mandats ?

Certains affirment aussi que la volonté de cumuler correspond, chez les élus concernés, à un souci d’accumulation de pouvoirs. C’est certainement exact dans la plupart des cas, mais n’est-ce pas là le souci de chaque personne qui décide d’exercer une carrière politique ? Malgré les idées reçues, la politique n’est certainement pas, pour une personne de talent, la meilleure manière de devenir riche. C’est en revanche un métier qui permet d’acquérir un certain pouvoir, que l’on exerce ensuite pour le meilleur ou pour le pire des citoyens. Il n’est d’ailleurs pas si nuisible que certaines personnes, dans des partis, acquièrent un rôle important. Il est de bon ton de critiquer ceux qu’on appelle dans certains pays des ” barons “, et dans d’autres des ” éléphants “, et qui acquièrent une certaine puissance locale. Mais ce sont eux qui, souvent, permettent d’atténuer la superpuissance des présidents et des appareils de partis, non élus par la population, et qui, s’il n’y avait des élus locaux puissants, transformeraient encore davantage qu’aujourd’hui les parlementaires en de simples presse-boutons au service des bureaux de partis, élus par les seuls militants.

Ceux qui adorent la surpuissance de l’Etat devraient tout de même se consoler en reconnaissant que l’existence de cumuls profite aux finances publiques de deux manières. D’abord parce qu’actuellement, le total des rémunérations des personnes exerçant deux fonctions est plafonné. Ensuite, parce que même si ce n’était pas le cas, un politicien qui cumule deux rémunérations paie plus d’impôts, en raison de la progressivité du système, que deux politiciens exerçant chacun une seule des deux fonctions. Voilà qui plaira à ceux qui détestent les élites et qui voudraient que les hommes et femmes au pouvoir ressemblent autant que possible au citoyen moyen, peut-être dénué de talent mais au moins pas trop prospère.

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