Marc Buelens

‘Les Britanniques sont fondamentalement différents du reste du continent’

Marc Buelens Professeur

L’entrepreneuriat britannique peut tranquillement se situer à côté de l’américain. Mais ne demandez pas aux Britanniques de réparer une fuite: le jour où les Polonais quitteront le pays, toutes les salles de bain seront inondées, prévient Marc Buelens, professeur émérite à la Vlerick Business School.

Après trois ans à Londres, j’habite à nouveau en Belgique. Si vous venez souvent au Coq, il y a beaucoup de chance que vous m’aperceviez en train de me promener, pensant à ma chronique suivante. Londres n’est pas la Grande-Bretagne. La population de la ville est riche, jeune, hautement qualifiée et orientée vers l’international. Le profil de l’anti-brexiteur. Les habitants de la plupart des régions d’Angleterre sont pauvres, nostalgiques d’une économie où la production constitue la plaque tournante. Ils pensent surtout à leur pension et ils ont massivement voté pour le Brexit. Ils voulaient avoir le contrôle sur leur législation, pouvoir dépenser 350 millions de livres sterling supplémentaires par semaine dans leur service de santé national et ils ne font pas confiance aux dirigeants de Bruxelles, non élus démocratiquement, payés grassement et fainéants.

Londres n’est pas l’Angleterre. Londres compte 8,6 millions d’habitants, plus un million d’illégaux selon les estimations. Londres est une ville-état avec des dimensions qui vont bien au-delà du reste du pays. Quelle que soit la manière dont le Brexit se déroulera, Londres sera la moins touchée. Ce sont précisément les régions qui ont voté pour la sortie de l’UE qui seront le plus durement frappées. Rarement une démocratie a aussi mal fonctionné.

Au cours des trois années où j’y ai habité, j’ai assisté à trois élections décisives. Des situations à l’italienne. Emportés par la presse populiste, les médias britanniques lancent un slogan stupide après l’autre, et cela dégénère. Les journaux de qualité utilisent des arguments raisonnables, mais là aussi on observe que la forme est souvent plus importante que le contenu. Au plus longtemps je vivais à Londres, au plus je remarquais que les Britanniques et les Américains ont tellement plus en commun que leur langue. Ils s’appuient énormément sur le concept de division of labour. Lors du check-out de mon appartement, j’ai eu affaire à pas moins de six fonctions différentes. En Belgique, une seule personne aurait arrangé le tout. Les Britanniques sont en outre très légalistes. Ce qui se trouve sur papier doit être exécuté, quelle qu’en soit l’absurdité. Les Flamands s’assiéraient un moment autour d’une table et examineraient si, dans l’intérêt des deux parties, il n’y a pas moyen de régler les choses autrement.

Les Britanniques restent un peuple programmé fondamentalement différemment du reste du continent

Les Britanniques préfèrent les procédures interminables. Tout comme aux États-Unis, l’exécutant n’est pas supposé penser, encore moins décider. Au moindre écart, un superviseur doit être consulté. La semaine dernière, chez Marks & Spencer, j’ai mis un billet de banque dans la mauvaise fente. L’assistante m’a dit que seul le superviseur avait la bonne clé pour ouvrir l’appareil, mais il était en pause. J’ai dû attendre vingt minutes. Chez Marks & Spencer, il y a probablement beaucoup de séminaires dispensés sur l’empowerment et le service à la clientèle, mais ce type de situation était sans doute en dehors du champ d’application du cours. Je suis presque tombé à la renverse lorsque l’assistante m’a réconforté: “beaucoup de personnes font la même erreur que vous.” En de tels moments, le signal “erreur inhérente au système” clignote chez moi. Les agaçantes caisses de self-scan resteront probablement en place jusqu’à ce qu’elles soient amorties.

Après trois ans, les Britanniques restent pour moi un peuple qui est programmé fondamentalement différemment du reste du continent. En quoi cela consiste vraiment ? Le flegme du keep calm and carry on. Bruxelles a eu besoin de semaines pour se remettre des attentats terroristes, à Londres, vous ne remarquez quasi plus rien deux jours après un attentat meurtrier, en dehors d’une couronne commémorative et de quelques fleurs. Je me suis trouvé deux fois à un bon kilomètre de graves attentats. La vie a simplement continué. Les Anglais ont un sens phénoménal de l’humour. Arrogants, ils le sont suffisamment, certainement à Londres, mais peu de peuples possèdent une dose aussi phénoménale d’autocritique. Leurs innovations technologiques sont, à juste titre, mondialement reconnues. Leur entrepreneuriat peut tranquillement se situer à côté de l’américain, et ils sont excellents en marketing. Leur industrie créative est vertigineusement forte. Mais ne leur demandez pas de réparer une fuite dans votre salle de bain. Le jour où les Polonais quitteront le pays, toutes les salles de bain seront inondées.

.

Qu’est-ce qui me manquera le plus ? Le journal gratuit du soir, j’en étais devenu accro. Le métro, avec des rames quasi toutes les cent secondes. La densité de la culture: des dizaines de musées, galeries, conférences, concerts. Quand y retournerai-je ? Dans un mois ou deux. Je ne veux pour rien au monde rater Jasper Johns à la Royal Academy of Arts.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content