Les armées de l’Otan paient la crise

© Image Globe / GERARD GAUDIN

Les Etats-Unis critiquent vivement certains de leurs alliés de l’Otan, accusés d’utiliser les budgets militaires pour réaliser des économies. C’est particulièrement vrai pour la Belgique.

Les dépenses militaires sont souvent difficiles à justifier dans de petits pays tels que la Belgique, qui ne connaît guère de menace et n’a pas d’objectif stratégique. La modestie du budget de la Défense ne provoque pas de discussion politique. En effet, il pèse à peine 1,1 % du PIB en 2010, contre 2 % pour la France, 2,7 % pour la Grande-Bretagne et 4,9 % pour les Etats-Unis. En outre, il figure en bonne place pour contribuer aux efforts pour réduire le déficit fédéral.

L’Europe, mauvaise élève ?

En Belgique, un plan de restructuration lancé en 2009 a fait maigrir les dépenses. Les effectifs de l’armée belge, qui s’élevaient à 34.000 personnes en 2010, atteignaient 45.000 en 1995 et 106.000 en 1990, à l’époque du service militaire. Ce genre de statistiques ne plaît guère aux Etats-Unis, qui adressent des critiques répétées à leurs alliés européens. Le 10 juin dernier, Robert Gates (qui a officié comme secrétaire américain à la Défense jusqu’au 1er juillet dernier), proclamait lors d’un passage à Bruxelles : “En dépit des demandes de mission en Afghanistan – la première zone de guerre pour l’Otan – les dépenses européennes en matière de défense ont reculé de 15 % en 10 ans.” Il ajoutait que les Etats-Unis couvrent 75 % des dépenses militaires de l’Otan, contre 50 % à l’époque de la guerre froide.

Et Robert Gates de lancer un avertissement : “Si la tendance actuelle à la réduction des capacités militaires n’est pas stoppée et renversée, les futurs dirigeants américains – ceux dont la guerre froide n’a pas été l’expérience formative qu’elle fut pour moi – pourraient considérer que l’investissement des Etats-Unis dans l’Otan n’en vaut pas le coup.”

Récemment, Robert Gates avait pris l’exemple de l’intervention en Libye pour démontrer la faiblesse de l’Otan : beaucoup de pays ont soutenu l’opération sans être capables matériellement d’y participer. Ceux qui y participent n’arrivent pas toujours à remplir le nombre de missions prévues, et certains ont manqué de munitions après 11 semaines de combat. Néanmoins, il a plutôt présenté la Belgique – avec sa contribution de six chasseurs F16 et un chasseur de mines – comme un bon exemple, mais le compliment est diplomatique. Il estime en réalité qu’un budget militaire digne de ce nom devrait arriver à 2 % du PIB, niveau que, au sein de l’Otan, seuls “les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Grèce et l’Albanie atteignent”.

La réalité du continent

“Les propos de Robert Gates sont très politiques, rétorque Luc Mampaey, directeur adjoint du GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité), spécialisé dans les questions militaires économiques. Je ne sais pas d’où il tient le chiffre d’une baisse de 15 % des budgets européens. Cela ne figure pas dans les chiffres publiés par l’Otan. En fait, les pays de l’Union européenne ont augmenté leurs dépenses militaires de 12 % entre 2001 et 2010.” Ces informations figurent dans un rapport à paraître, intitulé L’industrie européenne de l’armement, un secteur privilégié. (*)

Il faut l’admettre, derrière ces 12 % de hausse se cachent des réalités contrastées. Certains pays d’Europe orientale ont fortement augmenté leurs budgets, comme les pays baltes (+67 % en 10 ans pour l’Estonie), ou la Pologne (+44 %). La Grande-Bretagne, en bonne alliée des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, a gonflé ses dépenses de 21,9 % en 10 ans.

Néanmoins, en ce qui concerne le reste de l’Europe, Robert Gates n’aurait pas tout à fait tort à propos de la tendance suivie par les budgets militaires depuis deux ou trois ans. En 2010, les dépenses militaires ont reculé de 2,8 % en Europe. Et ce recul va continuer : les militaires paient la crise des dettes souveraines. Les Etats comptent en effet beaucoup sur la fonte des budgets militaires pour réduire leur déficit et leur endettement.

A côté de ce mouvement récent, il y en a un autre, structurel, qui touche à la composition des dépenses. Les armées ont changé en profondeur : les effectifs fondent et les budgets d’équipement grimpent. En effet, concernant la première tendance, la fin des services militaires avait déjà beaucoup amputé les armées. Ce mouvement se poursuit : ces 10 dernières années, les effectifs sont passés de 3,5 à 2 millions de personnes en Europe. Moins nombreux, ils sont cependant mieux équipés. En effet, les dépenses d’équipement ont fortement augmenté en termes nets. Selon Luc Mampaey, elles sont passées “de 17.300 dollars par homme en 2001 à plus de 28.000 dollars en 2010, soit un accroissement de 62,1 % en 10 ans”.

La bonne santé du secteur de l’armement

Mais que se cache-t-il derrière cette hausse fulgurante des dépenses d’équipement ? D’après Luc Mampaey, “cela signifie que les restrictions budgétaires n’ont pas eu d’impact sur les affaires du secteur européen de l’armement”.

Les grands acteurs, comme le britannique BAE Systems, EADS ou l’italien Finmeccanica, se portent fort bien. Ils ne paient pas un lourd tribut à la baisse des dépenses militaires. En réalité, l’impact le plus lourd est surtout absorbé par le marché de l’emploi. Le GRIP a mis en place un indice boursier réunissant 25 sociétés européennes actives dans le secteur de l’armement. Il en ressort que la santé boursière de ce secteur est largement supérieure au Dow Jones STOXX Europe 50 (voir graphique page 33).

D’ailleurs les ventes de matériel militaire européen marchent aussi fort bien à l’exportation. Le groupe Herstal (FN Herstal, Browning, etc.), propriété de la Région wallonne, illustre bien ce phénomène : fondé historiquement pour satisfaire les commandes de l’armée belge, il est désormais prospère surtout à l’exportation, notamment aux Etats-Unis. L’an dernier, le groupe a réalisé près de la moitié de son chiffre d’affaires outre-Atlantique (250 millions d’euros sur 535 millions).

Comment rééquilibrer les dépenses ?

N’en déplaise aux Etats-Unis, les budgets militaires européens ne sont pas près de doubler. La crise des dettes publiques et l’absence de menace collective claire s’y opposent. Les dépenses sociales ou d’éducation paraissent autrement plus prioritaires. Même un allié aussi fidèle que la Grande-Bretagne a décidé de couper près de 10 % de son budget Défense. La solution la plus immédiate dans ce cas consiste souvent à appliquer les méthodes auxquelles ont recours les entreprises et les services publics en mal de ressources : faire plus, en tout cas mieux, avec moins. Une solution, du moins une évolution possible, réside peut-être dans l’abandon des réflexes nationaux, et la réorganisation des fonctions des armées de chaque pays. Est-il nécessaire que chaque pays dispose d’une capacité militaire dans toutes les armes et toutes les fonctions ? Comme le suggère Luc Mampaey, “la question pourrait se poser lorsque l’on parlera, en Belgique, du renouvellement des chasseurs F16, sujet qui viendra bientôt sur la table : est-ce vraiment nécessaire ?” Ainsi, les pays européens de l’Otan pourraient accentuer et organiser une spécialisation. La Belgique pourrait par exemple abandonner les avions de chasse et se spécialiser dans des tâches logistiques.

Pas encore de vrai marché européen de la Défense


Par ailleurs, l’exclusion des marchés militaires du marché commun encourage de coûteux réflexes nationaux. La logique de concurrence, qui a laminé les coûts dans le marché du matériel de télécommunication, n’a pas encore touché la Défense. Pour autant, l’article 343 du traité de Lisbonne prévoit un régime dérogatoire à la réglementation communautaire sur les marchés publics notamment pour des motifs de sécurité publique. Les fournisseurs nationaux peuvent donc être subsidiés.

L’autre dimension d’intégration porte sur l’achat de matériel. Malgré de nombreuses coopérations, cette évolution reste trop lente. Dans le domaine des avions de chasse, l’Europe dispose de trois offres là où les Etats-Unis en ont une : le Rafale français, l’Eurofighter (Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne), le Saab suédois, contre le F35 américain. Les Néerlandais ont opté pour le F35, et la Belgique s’est abstenue. Cette abondance de l’offre freine les économies d’échelle.

La Commission cherche à changer cette situation et à encourager la concurrence. En 2007, un “paquet Défense”, visant cet objectif, avait été présenté par la Commission. Elle suivait la création, en 2004, d’une Agence Européenne de Défense, supposée promouvoir des projets communs, mais qui fait encore peu parler d’elle. Mais l’évolution reste encore assez lente. Ces efforts sont contrariés par des initiatives bilatérales. Par exemple, la France négocie la production d’équipements de marine communs avec la Grande-Bretagne.

Robert Van Apeldoorn
(*) Luc Mampaey, L’industrie européenne de l’armement, GRIP, parution imminente.

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