Les Américains détestent-ils vraiment les impôts ?

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Barack Obama aura du mal à revenir sur les baisses d’impôts Bush. Pourtant, contrairement à ce qu’aiment répéter les républicains, les Américains ne sont pas fondamentalement anti-taxes.

Les avantages fiscaux accordés aux plus fortunés sous George Bush, en 2001 et 2003, expirent à la fin de l’année. Alors que le Congrès doit décider de leur sort en septembre, le gouvernement de Barack Obama a d’ores et déjà annoncé qu’il n’entendait pas les prolonger.

Les ménages gagnant plus de 250.000 dollars devraient donc voir leur taux d’imposition remonter de 35 % à 39,6 %. C’est compter sans la bataille que comptent livrer républicains et activistes du mouvement Tea Party, qui ont juré de faire de la baisse des impôts leur cheval de bataille de la rentrée.

La peur du big government

Certes, il y a un semblant de débat économique derrière la question fiscale. D’un côté, les démocrates affirment que faire des cadeaux fiscaux aux riches, qui ne feront qu’épargner davantage, n’aidera pas à relancer la croissance. Ce à quoi les républicains rétorquent que c’est justement l’épargne qui renforce l’investissement, et donc la production, la création d’emplois, et in fine la hausse des revenus et de la consommation…

En réalité, comme le fait remarquer Bill Schneider sur le blog Politico, “le débat ne porte pas sur la croissance économique ou sur le déficit. La vraie question est celle de la taille du gouvernement, ce sur quoi la gauche et la droite se battent depuis un siècle.”

Du point de vue des républicains, augmenter les impôts signifie donner les moyens à un big government de décider des secteurs dans lesquels il faut investir, au lieu de laisser les forces invisibles du marché déterminer l’allocation des ressources. En l’occurrence, Obama a fait savoir qu’il veut investir dans des domaines comme la santé, l’éducation et les énergies vertes. Les ultralibéraux prétendent que cela représente une rupture dans la tradition américaine : “Les Etats-Unis n’ont jamais souscrit à l’idée d’une nation dirigée par des philosophes-rois”, déclare un éditorial du Wall Street Journal .

Les républicains, héritiers du Boston Tea Party ?

En effet, les républicains aiment se référer à la Tea Party de Boston de 1773 qui a marqué les débuts de la révolution américaine, pour montrer que l’anti-étatisme et l’anti-fiscalisme font partie, en quelque sorte, de l’ADN des Etats-Unis. “Il s’agit d’une manipulation de l’histoire !”, conteste Brian Balogh, historien à l’université de Virginia. A l’époque, les colons britanniques qui vivaient dans les treize colonies américaines protestaient contre le fait de payer des impôts au roi d’Angleterre sans être représentés au Parlement britannique. D’où le fameux slogan : “No taxation without representation“.

L’histoire américaine montre au contraire que la classe aisée a souvent été prête à payer un impôt élevé. “Lorsque l’impôt sur le revenu est instauré en 1913, il ne s’applique d’ailleurs qu’aux plus riches, rappelle Brian Balogh. Il vise alors à construire un Etat-providence moderne qui remédie aux inégalités extrêmes qui caractérisaient le 19e siècle.” Lors des deux guerres mondiales, les plus fortunés ont également accepté de fortes hausses d’impôts. En 1944, la dernière tranche est taxée à 94 %. Et le taux reste supérieur à 90 % jusqu’en 1963.

Le tournant Reagan

“Tant que l’économie est prospère, cela ne dérange pas particulièrement les Américains de payer des impôts”, confirme Brian Balogh. A l’inverse, quand, avec les chocs pétroliers et la crise des années 1970, les revenus chutent, il y a plus de réticence à mettre la main au portefeuille. “En parallèle, on assiste à cette période à une désaffection croissante vis-à-vis du gouvernement, alimentée notamment par le scandale du Watergate et la guerre du Vietnam.”

L’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir en 1981 marque un tournant crucial dans l’histoire de la fiscalité américaine. Il abaisse dans un premier temps l’imposition sur la dernière tranche de 70 % à 50 %. Puis à 28 % en 1988. “Loin d’être une caractéristique inhérente des Etats-Unis, la volonté de réduire au strict minimum les impôts est une évolution relativement récente des 30 dernières années”, affirme Brian Balogh.

Baisser les impôts, “une drogue”

Sauf qu’une fois que le mécanisme est lancé, il est extrêmement difficile à arrêter. “Baisser les impôts, c’est comme une drogue, assure Monica Prasad, sociologue à North Western University. Les gouvernements savent que c’est un geste qui fait plaisir à tout le monde.”

Barack Obama saura-t-il renverser la tendance ? L’homme qui s’est fait élire sur la promesse du changement pourra-t-il augmenter de manière significative les impôts des grandes fortunes ? Dans un discours début 2009, l’actuel président n’a pas hésité à s’en prendre aux personnes “riches et influentes” qui avaient bénéficié “d’avantages fiscaux énormes” alors que la classe moyenne “respectait les règles du jeu”. De fait, le Center for American Progress a calculé qu’un tiers des bénéfices générés par les baisses d’impôt de Bush ont profité au pour cent le plus riche du pays.

La crise, une opportunité ?

On pourrait croire que la crise aurait exacerbé un certain sentiment anti-riche propice à la taxation des possédants. D’ailleurs, selon un sondage récent de CNN, 69 % des Américains souhaitent que le gouvernement laisse les avantages fiscaux des plus fortunés périmer. Le taux d’imposition remonterait à 39,6 %, ce qui reste relativement bas dans l’histoire des impôts aux Etats-Unis, mais c’est déjà un début.

Le fait que des millions d’Américains continuent de perdre leur maison, pendant que les dirigeants des banques retrouvent les niveaux de bonus d’avant la crise, pourrait provoquer un déclic… Sans compter que cette même crise a démontré les carences de l’autorégulation et de l’absence d’intervention de l’Etat. Enfin, lorsque le pays s’est retrouvé plongé dans la pire récession depuis 1929, c’est encore l’Etat qui a été appelé au secours pour financer des plans de relance.

Paradoxalement, cependant, “le rôle accru du gouvernement pendant la crise n’a fait que conforter l’anti-étatisme des activistes du mouvement Tea Party, avance Monica Prasad. Pour eux, l’Etat est coupable d’avoir sauvé ses amis de Wall Street avec l’argent du contribuable.” En somme, pourquoi payer plus d’impôts si l’argent va dans la poche des banquiers ?

De toute façon, les partisans d’une hausse des impôts reconnaissent que la conjoncture n’est pas idéale. “Augmenter les impôts est compliqué lorsqu’on sort à peine d’une récession, admet Brian Balogh. Les exemples du passé montrent bien que les conditions économiques d’un pays jouent plus que la volonté individuelle d’un dirigeant.”

Laura Raim, L’Expansion.com

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