Le trésor de guerre des partis politiques

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Les réserves disponibles des partis ont augmenté de 20% en 2015, grâce notamment à l’apport de subventions publiques qui s’élevaient à 68,8 millions d’euros. La répartition de ces subsides n’est pas dénuée de considérations parfois très politiques…

En 2015, les partis politiques ont reçu la bagatelle de 68,8 millions d’euros de dotations publiques.

Les Belges sont peut-être de moins en moins nombreux à militer dans un parti politique, mais, à moins d’être exilés fiscaux, ils contribuent au financement de ces partis. Et pas un peu : l’an dernier, les partis ont reçu la bagatelle de 68,8 millions d’euros de dotations publiques (+3 % par rapport à 2014). Comme le montre notre infographie, c’est de très loin leur première ressource. Ces 68,8 millions représentent en quelque sorte le prix de l’indépendance des partis politiques. C’est, en effet, dans le but affiché de ” garantir l’indépendance des partis ” que le législateur a instauré ces dotations en 1989.

Les élus de Défi

Les mandataires reversent traditionnellement une partie de leur rémunération à leur parti. Le pourcentage de rétrocession révèle une belle fracture gauche/droite : les élus PS, sp.a, Ecolo et le PTB contribuent nettement plus que les autres au financement de leur parti. La gauche est cependant ici dribblée par Défi qui affiche le niveau record de 21 % des recettes provenant des rétrocessions des mandataires. Les Verts ont fait encore mieux par le passé mais la perte de nombreux élus a de facto réduit le volume de ces rétrocessions. Signalons qu’en prenant ce paramètre de la contribution des élus aux finances de leur parti, le cdH se range du côté droit de l’échiquier politique.

Avant cela, les dirigeants de parti devaient solliciter des fonds privés pour financer leur fonctionnement et leurs campagnes électorales. Ils ouvraient alors la porte à des commanditaires qui ” souhaitent entrer dans les bonnes grâces d’hommes politiques, éventuellement dans l’espoir d’être un jour payés de retour “, précisait l’exposé des motifs de cette loi, votée en pleine affaire Inusop (financement du PS, via l’institut de sondage de l’ULB). La loi sera profondément révisée en 1993… au moment où l’affaire Agusta-Dassault faisait la une de toute la presse.

Le divorce MR-FDF

Pendant 18 ans, le MR et le FDF ont formé un groupe commun à la Chambre et se répartissait la dotation fédérale en vertu d’une convention interne. Quand le cartel a explosé en 2011, le MR a conservé l’intégralité de cette dotation. Le FDF réclamait toutefois sa part du gâteau, une part correspondant à ses trois députés et aux voix récoltées par ses candidats au scrutin de 2010. L’affaire a été portée devant les tribunaux. En première instance, la Justice bruxelloise a donné raison au FDF, imposant au MR de verser 670.000 euros au FDF. Le jugement a été rendu en juin 2014 (tiens, juste après les élections…). Les réformateurs ont interjeté appel et, depuis, l’affaire n’a toujours pas été inscrite au rôle. Espérons que cette fois la Justice se prononcera avant les élections car un tel montant est de nature à modifier la campagne des uns et des autres, et donc le scrutin démocratique. Pour l’heure, le parti Défi (nouveau nom du FDF) n’a pu placer le moindre euro dans sa provision de campagne.

En échange du financement public, les partis ont accepté trois grandes règles : le plafonnement des dépenses électorales, l’interdiction des dons privés de plus de 125 euros et le contrôle de la comptabilité des partis par le Parlement. La vie politique belge y a sans doute perdu un peu de folklore (les gadgets électoraux ont quasiment disparu) mais elle y a gagné beaucoup de transparence. Cette transparence est toutefois loin d’être parfaite. Les comptes des partis sont, en effet, contrôlés par la commission des dépenses électorales de la Chambre, c’est-à-dire par des élus des partis contrôlés. On peut très vite se retrouver en position de conflits d’intérêts. La réforme du Sénat opérée lors de la 6e réforme de l’Etat a conduit à revoir les dispositions du financement public des partis. ” On a alors décidé d’ajoindre quatre experts indépendants à cette commission, c’est une bonne évolution mais elle est clairement insuffisante, commente Jef Smulders, chercheur à la KU Leuven et auteur de plusieurs études sur le financement des partis pour le Crisp. Par rapport à ce qui existe à l’étranger, c’est une occasion manquée. ”

Les donateurs du CDH

Cela ne vous est sans doute jamais passé par la tête mais, oui, vous pouvez désigner un parti politique comme héritier. Au petit jeu des dons et legs, c’est le cdH qui tient la tête avec 13.900 euros reçus en 2015. Le parti centriste domine régulièrement ce classement, vraisemblablement grâce à sa proximité avec le milieu chrétien. En 2014, le cdH avait toutefois été largement dépassé par le PTB qui avait reçu… 267.000 euros en dons et legs ! Les gros partis ne séduisent apparemment pas les donateurs puisque le MR a reçu à peine 265 euros l’an dernier et le PS rien du tout.

Après la défaite électorale de 2014, le parti Ecolo a vu ses dotations publiques fondre de 5 à 2,7 millions d'euros. Et a dû se résoudre à initier un plan social.
Après la défaite électorale de 2014, le parti Ecolo a vu ses dotations publiques fondre de 5 à 2,7 millions d’euros. Et a dû se résoudre à initier un plan social. © Belgaimage

Le financement public a assaini le système. Mais il l’a aussi verrouillé. Les partis représentés au Parlement se partagent une telle cagnotte qu’il devient très difficile pour les autres de se faire voir et entendre dans une campagne électorale. D’autant que les règles limitant les dons et sponsorings privés s’appliquent à tous, y compris ceux qui n’ont pas accès au financement public. ” Mettre en place un parti, c’est relativement facile, résume Jef Smulders. Mais mener une campagne électorale, c’est autre chose. Il devient très difficile de trouver les moyens nécessaires et de rivaliser avec cet énorme flux d’argent vers les principaux partis. Des réformes sont souhaitables même s’il sera délicat de déterminer ce qui est finançable et ce qui ne l’est pas. ” Le PTB et, dans une moindre mesure le Parti Populaire (PP), ont néanmoins réussi à s’immiscer dans le jeu du financement public lors des dernières élections.

Une répartition mathématique… et politique !

Tous les partis ne reçoivent pas la même chose, loin de là. La dotation de la N-VA est plus de 25 fois supérieure à celle du PP ! Cela ne résulte heureusement pas d’arbitrages politiques mais de règles mathématiques. Chaque parti représenté à la Chambre bénéficie d’un forfait de 185.000 euros auquel s’ajoutent 3,17 euros par voix récoltée lors de l’élection législative. Ces montants sont sensiblement augmentés pour les partis également représentés au Sénat (tous sauf Défi, PTB et PP). Et ce n’est pas tout : si vous disposez d’un groupe politique reconnu – ce qui implique d’avoir au moins cinq députés et recale donc à nouveau les trois mêmes partis – vous bénéficiez de subventions supplémentaires.

Les réserves de la N-VA

Les partis politiques disposaient fin 2015 de près de 90 millions d’euros immédiatement disponibles (soit les trois quarts de leurs actifs). De quoi faire face à des campagnes électorales, même anticipées ou à des revers de fortune lors des prochains scrutins. Cette cagnotte sera alimentée les deux exercices suivants pour être dépensée ensuite en vue des communales de 2018 et des législatives de 2019.

La N-VA écrase toute la concurrence avec un trésor de guerre de 22,4 millions d’euros, soit quasiment le double de son dauphin, le PS avec 11,4 millions. L’écart augmente d’année en année puisque, en 2012, la N-VA n’avait “que” 12,2 millions de disponibles contre 13,1 pour le PS.

On vous disait que cela relève de la mathématique et non des arbitrages politiques, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le PTB, qui revendique le statut de parti national, peut-il comptabiliser les voix récoltées en Flandre (sous l’appellation PVDA+ et avec un numéro électoral distinct) pour le calcul de son financement ? La réponse n’est pas purement mathématique. Deux ans après le scrutin, la commission des dépenses électorales de la Chambre y réfléchit toujours…

Plus vous avez d’élus, plus vous avez de moyens pour des campagnes de communication dans l’espoir de gagner toujours plus de voix.

Un arbitrage politique fameux concerne la dotation de la N-VA. Le parti nationaliste avait été laminé aux élections de 2003, n’ayant plus qu’un seul et unique député fédéral, en l’occurrence Geert Bourgeois. Or, à l’époque, il fallait un élu à la Chambre et un au Sénat pour ouvrir le droit à la dotation fédérale. Magnanimes, les partis flamands ont soutenu un amendement faisant tomber cette double condition, avec même un effet rétroactif pour que la N-VA dispose de sa dotation totale pour 2003. Le parti évitait ainsi de justesse le dépôt de bilan. Treize ans plus tard, il reçoit deux fois plus d’argent public que le parti du Premier ministre de l’époque (Guy Verhofstadt, Open Vld) ! Ironie de l’histoire, Défi, le parti d’Olivier Maingain, doit aujourd’hui son financement fédéral à cet amendement taillé sur mesure pour les indépendantistes flamands…

Les gadgets du PS

La loi a mis de l’ordre dans la comptabilité des partis mais, admettons-le, on ne sait pas toujours très bien ce qui ressort de telle ou telle catégorie. Ainsi quand vous lisez dans les documents comptables officiels que les “produits divers” incluent notamment les “recettes diverses”, vous n’êtes pas très avancés. Saluons dès lors la transparence du PS, le seul parti à mentionner explicitement le fruit de la “vente de gadgets”. Cela lui a rapporté l’an dernier 569 euros…

Jusqu'en 2011, le MR faisait cartel avec le FDF. Quand le divorce a été consommé, le MR a conservé l'intégralité de cette dotation. Au grand dam du FDF qui s'est tourné vers la Justice pour en récupérer une partie. L'affaire est toujours pendante
Jusqu’en 2011, le MR faisait cartel avec le FDF. Quand le divorce a été consommé, le MR a conservé l’intégralité de cette dotation. Au grand dam du FDF qui s’est tourné vers la Justice pour en récupérer une partie. L’affaire est toujours pendante© Belgaimage

Les parlements régionaux et communautaires déclinent le même mécanisme de financement avec une partie forfaitaire et une partie variable. Une différence notable cependant : le financement est réservé aux groupes politiques constitués d’au moins cinq députés. Un drame pour Ecolo qui n’a pu décrocher que quatre sièges au Parlement wallon et a ainsi perdu brutalement près d’un million d’euros par an. Les écologistes avaient déjà connu pareille déconvenue en 2004. Mais, à l’époque, le parlement wallon avait consenti à prolonger le droit à la dotation pour un ex-groupe pendant une législature. Une décision à nouveau très politique qu’il eût été délicat de reconduire ici sans faire un geste pour le PTB et le PP, les deux autres ” petits ” partis représentés au parlement régional.

Une dotation pour financer sa réélection

Mais que font donc les partis avec tout cet argent ? Cela varie d’une année à l’autre. En 2014, année électorale, la moitié du budget a été englouti dans des dépenses de ” propagande “. Mais l’année suivante, on retombait à 16 % (ou 25 % en comptant l’argent provisionné pour de futures élections). L’exercice 2015 est, en outre, paradoxal car Ecolo et le Vlaams Belang ont dû apprendre à vivre avec des dotations fortement réduites. La restructuration a contraint les Verts à augmenter encore leurs dépenses de personnel (préavis) tandis que le VB a dû modérer ses frais de propagande, d’ordinaire très imposants. Globalement, la gauche dépense plus en personnel, notamment pour financer des centres d’études, et la droite plus en propagande. L’exception est ici le PTB qui a consacré un tiers de son tout nouveau budget à des actions de promotion. Et oui, c’est la logique du système : plus vous avez d’élus, plus vous avez de moyens pour des campagnes de communication dans l’espoir de gagner toujours plus de voix.

Les pertes d’Ecolo

Grâce aux dotations publiques, tous les partis sont en boni, sauf Ecolo qui affiche une perte de 1 million d’euros (et dans une moindre mesure le PS avec un trou de 150.000 euros). Le déficit des écologistes s’explique bien entendu par la défaite électorale de 2014 : en deux ans, les dotations publiques d’Ecolo ont fondu de 5 à 2,7 millions d’euros. Le parti a dû se résoudre à initier un plan social. Tous les postes de dépenses sont en baisse, sauf les dépenses de personnel car il faut intégrer les coûts des préavis. Le parti a dû puiser dans sa provision de campagne électorale qui a été réduite d’un million d’euros en 2015. Heureusement pour eux, on ne parle pas d’élections anticipées.

Rassemblement du PTB à Bruxelles. L'année dernière, les militants ont versé 1 million d'euros à leur parti. Leurs cotisations représentent 45% des ressources du PTB.
Rassemblement du PTB à Bruxelles. L’année dernière, les militants ont versé 1 million d’euros à leur parti. Leurs cotisations représentent 45% des ressources du PTB.© Belgaimage

Le parti de la gauche radicale ne semble guère soucieux de se constituer de plantureuses provisions de campagne. Il n’y a placé que 75.000 euros contre près de 7 millions pour l’ensemble des autres partis. Il faut dire que les provisions du MR et de l’Open VLD avaient été complètement vidées par la campagne de 2014. Les partis libéraux avaient vraiment mis le paquet pour ce scrutin. Un risque payant puisque Charles Michel est devenu Premier ministre. Au total, les partis disposent d’une provision de campagne de plus de 17 millions d’euros.

Si cela s’avère insuffisant (nous aurons deux élections successives avec les communales en 2018 et les législatives/européennes en 2019), ils peuvent puiser dans le reste de leur trésorerie et de leurs réserves liquides, qui représentent 89,6 millions d’euros. Ce bas de laine a augmenté de 16 millions l’an dernier (année sans élection). On peut sans trop de risque imaginer qu’il s’alourdira au moins autant en 2016 et 2017. Les réserves financières des partis dépasseraient alors les 120 millions d’euros !

Les manifestants du MR

La comptabilité des partis laisse apparaître la rubrique “recettes de manifestations et publications”. Il s’agit de la vente de livres, de la participation à des conférences payantes ou à des repas, etc. “La législation reprend parfois des termes vagues ou généraux, que les partis interprètent un peu comme ils veulent”, estime Jef Smulders. Ils interprètent cela d’autant plus librement que les montants en jeu restent relativement faibles et que, in fine, ce sont des politiques qui contrôleront le tout au Parlement.”

Ces manifestations et publications rapportent surtout au MR (234.000 euros) alors que les autres partis se contentent d’une trentaine de milliers d’euros. Cela provient des recettes de l’Institut libéral de formation et d’animation culturelle, dont les activités sont généralement payantes. Ecolo a souvent dépassé les 100.000 euros grâce aux Rencontres écologiques d’été et aux publications du centre d’études Etopia. Le PTB s’illustre aussi avec 186.000 euros de recettes, notamment par la vente du journal Solidaire.

Riches ou moins riches, les partis ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent de l’argent. La loi organisant leur financement public a aussi balisé les dépenses électorales admises. Dans les quatre mois qui précèdent une élection, la distribution de gadgets et les affiches électorales de plus de 4 m2 sont interdites. La publicité dans la presse reste admise ainsi que les tracts et affiches de formats standards, mais à condition que le coût total ne dépasse pas un plafond. Celui-ci se compose, d’une part, d’un forfait d’un million par parti et, d’autre part, d’un montant par candidat, qui varie selon le nombre d’électeurs de la circonscription (on peut dépenser plus à Bruxelles que dans la province du Luxembourg) et le nombre d’élus sortants présents sur la liste. Cela peut sembler contraignant mais les partis n’utilisent en moyenne que 70 % des dépenses autorisées.

Les militants du PTB

Financièrement, un parti ne vit pas grâce à ses membres. Les cotisations de militants représentent, en effet, à peine de 3 à 4 % des recettes d’un parti politique. L’exception à la règle est le PTB, dont 45 % des ressources proviennent des cotisations. Et pourtant, ils ont désormais aussi accès aux dotations publiques. En 2015, les militants du PTB ont versé un million d’euros à leur parti, soit plus que l’addition des cotisations des militants des deux plus gros partis du pays, la N-VA et le PS.

Les subsides de l’Open-VLD

Quel est le parti qui dépend le plus du financement public ? L’Open Vld dont 95 % des revenus proviennent de subventions. Comme quoi, on peut défendre dans son programme la limitation des interventions publiques sans se l’appliquer à soi-même. Les élus du parti libéral flamand ne rétrocèdent quasiment rien à leur parti : 40.000 euros au total quand le sp.a, pour prendre un parti de taille comparable, reçoit 1,1 million d’euros de ses élus.

Provinces flamandes et région francophones

Globalement, les partis francophones reçoivent 41 % des subventions publiques, ce qui correspond à la clé de répartition classique. Mais il y a des différences notables. Ainsi, les provinces flamandes sont beaucoup plus généreuses vis-à-vis des partis : elles leur accordent 4 millions pour seulement 1 million dans les provinces francophones. Les partis francophones se rattrapent grâce aux entités fédérées (plus d’institutions, donc plus de groupes politiques à financer) où la répartition nord-sud est un parfait 50-50.

Si les dotations fédérales font l’objet d’une loi, les dotations régionales relèvent de règlements parlementaires plus difficilement consultables qu’une loi. ” Les subsides aux groupes politiques découlent, eux, de décisions des bureaux des assemblées, précise Jef Smulders. C’est quasiment impossible de savoir avec exactitude ce qui est effectivement versé par chaque assemblée aux partis et groupes parlementaires, et comment tout cela est intégré dans la comptabilité standardisée.”

La confusion vient du fait que les groupes politiques bénéficient à la fois de subsides de fonctionnement et de la prise en charge de la rémunération de collaborateurs parlementaires.

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