Le terrifiant business des otages

Francis Collomp a été détenu pendant 11 mois au Nigéria par Boko Haram. Cette organisation criminelle s'est spécialisée dans l'activité lucrative des rançons. © BELGA

Le marché du kidnapping est malheureusement florissant. S’il rapporte beaucoup d’argent aux ravisseurs, il enrichit aussi les professionnels de la sécurité. Un livre choc paru en 2013 nous plonge au coeur du business de l’enlèvement et de la rançon.

Cet article est paru le 19 décembre 2013 dans le magazine papier Trends-Tendances.

Le 17 novembre 2013, Francis Collomp, ingénieur français de 63 ans, rentre chez lui après 11 mois de captivité au Nigeria. Il y était détenu par les terroristes islamistes de Boko Haram. Quelques jours plus tôt, le même groupuscule, déjà responsable du rapt de la famille Moulin-Fournier (libérée en avril 2013 après deux mois de détention), enlevait au Cameroun le prêtre Georges Vandenbeusch. Comme d’autres organisations criminelles, Boko Haram s’est spécialisée dans une activité très lucrative : le kidnapping contre rançons.

La journaliste Dorothée Moisan a enquêté sur ce business du rapt, où l’on croise des personnages peu recommandables, mais aussi de véritables professionnels de la sécurité, roués aux négociations délicates avec les ravisseurs. Dans un livre angoissant, Rançons. Enquête sur le business des otages, l’auteur décortique un phénomène en pleine expansion dans certaines régions du monde. Longtemps championne du kidnapping, l’Amérique latine (55 % des rapts contre rançon en 2004 selon le consultant Control Risks) est en train de se faire détrôner par l’Asie (31 % en 2012) l’Afrique (22 %) et le Moyen-Orient (19 %). Surtout, le nombre global d’enlèvements est en augmentation. Entre 1997 et 2007, le nombre d’expatriés et voyageurs d’affaires enlevés a été multiplié par 3,5, d’après l’assureur spécialisé Hiscox.

Le business des otages aiguise l’appétit des groupes terroristes comme Al-Qaïda, des “révolutionnaires” du type Farc en Colombie, des pirates (somaliens notamment)… Mais il s’agit parfois de petites unités criminelles moins organisées, qui pratiquent le flash kidnapping, une spécialité latino-américaine d’enlèvement de courte durée en vue d’extorquer très rapidement de petites quantités d’argent. Au total, le montant annuel mondial des rançons versées aux ravisseurs est estimé à 500 millions de dollars.

“Une négociation commerciale”

Les organisations criminelles ne sont pas les seules à profiter du business des otages. Si les enlèvements revendiqués par des groupes terroristes sont généralement “gérés” par l’Etat dont est originaire l’otage, les rapts “crapuleux” sont plutôt confiés à des sociétés privées spécialisées dans la sécurité. Une activité tout à fait sérieuse et officielle s’est en effet développée en marge du business criminel des ravisseurs.

Des consultants spécialisés en enlèvements accompagnent les familles dans la phase de négociation, puis dans celle de la libération contre rançon. Ces firmes, comme Control Risks ou Red24, sont généralement rémunérées par des compagnies d’assurances, elles-mêmes payées par l’entreprise dont est issu l’employé victime de rapt.

Le plus grand assureur mondial en K&R (kidnap & ransom) est le britannique Hiscox, qui totalise au niveau mondial 65 % du montant de ces primes d’assurance. “Hiscox n’est évidemment pas une entreprise philanthropique, mais pour cette compagnie d’assurances, le K&R est une activité de niche, qui ne représente qu’une toute petite part de ses bénéfices”, commente Dorothée Moisan. L’auteur a rencontré quatre assureurs de Hiscox, spécialisés en K&R : “Ce sont des professionnels qui ont beaucoup de sang-froid. Peur eux, la question des otages se résume à une négociation commerciale. Du coup, cela devient quelque chose de gérable, sur lequel il est toujours possible de trouver un terrain d’entente. Quelque part, c’est rassurant pour les familles.”

Dix pour cent de la rançon en cas de succès

Les compagnies qui couvrent ce type de risques interviennent pour le paiement de la rançon, à concurrence du montant stipulé dans la police d’assurance. Celui-ci dépend du niveau de risque du pays où est basé le preneur d’assurance, et peut atteindre plusieurs millions d’euros. Les frais engagés par le consultant au cours de la négociation et de la remise de la rançon sont également pris en charge. Ce dernier demande parfois à l’assureur un success fee équivalent à 10 % de la rançon, en cas de libération de l’otage. “Cela peut paraître choquant, mais je ne pense pas qu’il existe de consultant suffisamment pervers pour faire gonfler la rançon afin de toucher une commission plus importante. Ils tiennent à leur réputation. Rappelons aussi qu’ils prennent des risques énormes”, souligne Dorothée Moisan.

Ce business assez terrifiant est aussi peuplé d’individus louches, voire carrément mafieux, qu’il faudra aussi rémunérer. Etats et consultants privés sont en effet contraints de faire appel à des intermédiaires, pas toujours bien intentionnés, qui serviront de courroie de transmission entre ravisseurs et négociateurs.

“Il est indispensable de trouver le bon intermédiaire, celui qui conduit à l’otage. Mais on ne choisit pas sa moralité”, explique l’auteur.

Reste à s’entendre sur le montant à débourser. Les tarifs varient fortement en fonction de la nationalité de l’otage et du lieu du rapt. Face aux terroristes, certains pays refusent de payer. C’est le cas des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne (ce qui n’empêche pas certaines familles de faire cavalier seul). Moins exposée aux rapts, la Belgique assure qu’elle ne paye pas de rançon. C’est ce que Didier Reynders, alors ministre des Affaires Etrangères, avait affirmé en septembre 2013, lors du retour en Belgique de l’enseignant Pierre Piccinin, détenu en Syrie pendant cinq mois. La France, malgré ses dénégations, paye des rançons pour ses ressortissants, atteste Dorothée Moisan dans son livre. D’après ses sources, la journaliste Florence Aubenas a été libérée en 2004 en échange de 8 millions d’euros, auxquels il a fallu ajouter une somme équivalente pour rémunérer les intermédiaires. Au vu des sommes en jeu, le business des otages risque de continuer à faire des ravages.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content