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“Le politique ne dépassera ses tabous que si la société civile lui montre la voie”

Chacun y va de sa petite idée, de l’interdiction du parti Islam à la réforme de la double nationalité en passant par un Patriot Act à la belge. Et personne ne décide rien. Parce que personne ne sait ce qu’il conviendrait de faire.

“Je ne pouvais pas rester à la plage.” Le Premier ministre Charles Michel a interrompu ses vacances après la sanglante agression devant l’hôtel de police de Charleroi. Il a réuni le conseil de sécurité et donné une conférence de presse, avant de se rendre sur place. Sa présence ne change évidemment rien à la douleur des policières blessées, à l’émotion de leurs collègues, à l’angoisse des citoyens face à la répétition des actes terroristes. Elle était pourtant indispensable. Les dirigeants politiques agissent au nom des électeurs et, en pareille circonstance, ils incarnent les sentiments de l’ensemble de la population.

Ils avancent alors en équilibristes. Un mot de trop et les voilà taxés de récupération politique ; un mot trop peu et l’opinion retiendra la froideur et le manque d’empathie. Cet équilibre devient particulièrement précaire car il s’inscrit, hélas, dans la durée. Le monde politique vit en mode ‘communication de crise’ – un mode a priori destiné à une utilisation très ponctuelle – depuis les attentats de novembre dernier à Paris. Plus le temps passe, plus l’histoire se répète et plus les réactions politiques résonnent comme de simples effets d’annonce. Elles ne rassurent pas du tout la population. Que du contraire. On se met à douter de ces 400 millions d’euros promis à la sécurité après les attentats de Paris. Même si, avec la meilleure volonté du monde, neuf mois, c’est court pour recruter et former des policiers.

Chacun y va alors de sa petite idée, de l’interdiction du parti Islam à la réforme de la double nationalité en passant par un Patriot Act à la belge. Et personne ne décide rien. Parce que personne ne sait ce qu’il conviendrait de faire. Chaque nouvelle idée brandie sans trop y réfléchir, chaque début de polémique renforce le sentiment d’impuissance face à la barbarie religieuse. La lutte contre le terrorisme, la crise des réfugiés, le sort des doubles-nationaux, la relation avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, etc., tout s’entremêle dans ces déclarations, créant dans l’opinion un magma très confus et, disons-le, nauséabond.

Sur des dossiers aussi sensibles, le monde politique ne dépassera ses clichés et ses tabous que si la société civile lui montre la voie

En écourtant ses vacances, Charles Michel a peut-être voulu aussi sonner l’arrêt de cette escalade de propositions. Une manière de montrer qu’il est bel et bien le chef du gouvernement fédéral et que la N-VA n’a pas le monopole de la sécurité nationale. En ce sens, l’absence à ses côtés dimanche à Charleroi du ministre de l’Intérieur Jan Jambon, qu’elle ait été concertée ou non, sert plutôt les intérêts du Premier ministre.

A ses côtés, il n’y avait donc pas Jan Jambon mais Paul Magnette, moins “empêché” que jamais dans le rôle de bourgmestre de Charleroi. Le ministre-président wallon a tenu toute une conférence de presse sans la moindre attaque envers le gouvernement fédéral, ce qui doit être une première en deux ans. Il a même assuré qu’il soutiendrait toutes les initiatives visant à renforcer les moyens des forces de sécurité belges. Pas question pour lui de laisser de l’espace à un quelconque retour du discours sur “la gauche laxiste”, comme ce fut le cas avec les épisodes molenbeekois. Charles Michel ne s’est d’ailleurs pas aventuré sur ce terrain. Les circonstances ne s’y prêtaient pas. Et le lieu non plus : Charleroi est l’un des derniers bastions où PS et MR s’entendent bien (l’axe Magnette-Chastel), cela peut toujours servir. Pour l’un comme pour l’autre.

Faut-il y voir l’amorce d’une concertation en vue d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme ? Non. Sur ce thème encore plus que sur les autres, les positionnements politiciens prennent toujours le pas. Quelques élus sont sans doute prêts à dépasser les clivages pour mener une réflexion sereine sur la sécurité, la cohabitation des religions, l’intégration voire la double nationalité. Mais le premier qui sortira du bois sera flingué de toutes parts. Sur des dossiers aussi sensibles, le monde politique ne dépassera ses clichés et ses tabous que si la société civile lui montre la voie ; que si des associations, les plus diverses possibles, s’extirpent elles-mêmes de leurs tabous et le poussent dans le dos. Ici comme ailleurs, l’initiative privée doit jouer son rôle.

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