Le plan anti-crise de la BCE soulage Angela Merkel

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Ne le dites pas aux Allemands qui sont majoritairement contre. Mais il semblerait qu’Angela Merkel ne soit pas mécontente de la décision prise, jeudi dernier, par le président de la BCE Mario Draghi.

A première vue, les réactions allemandes à l’annonce faite jeudi par Mario Draghi n’ont guère étonné. Aucun éclat, déclarations apocalyptiques ou appels au tocsin ne sont à déplorer malgré une presse plutôt hostile. Et comme partout en Europe, le gros des acteurs des milieux financiers et bancaires ont salué la mise en place de ce ” pare-feu illimité “, c’est-à-dire l’annonce de l’achat par la BCE de dettes publiques des pays européens en difficulté et ce, sous conditions, mais sans limitation de volume.

Les conservateurs contre la politique de la planche à billets

Mais bien évidemment, les partisans des positions de Jens Weidmann, président de la Bundesbank et seul membre du conseil de la BCE à avoir voté contre la décision de Draghi, se sont insurgés contre la décision : ” L’achat d’obligations est la mauvaise voie, car il sape la motivation des pays fortement endettés de faire des économies et d’assainir leur budget. La BCE ne doit pas jouer le rôle d’un ersatz de gouvernement “, a ainsi déclaré le président des Caisses d’épargne Georg Fahrenschon, probablement l’un des seuls banquiers déçus du pays. De son côté, un groupe de députés du parti libéral a publié un texte contre cette voie qui mène vers ” une union européenne de l’inflation et l’emploi de la planche à billet pour le financement des Etats “.

Egalement opposé à cette ” politique de la planche à billet “, le secrétaire général de la branche bavaroise du parti conservateur (CSU) Alexander Dobrindt en a appelé au bon sens de M. Draghi pour ” qu’il n’ouvre pas les écluses de programmes d’achats massifs “. Enfin, entre autres réactions, le député CSU Peter Gauweiler, l’un des plaignants qui espèrent que le Tribunal fédéral constitutionnel allemand bloquera bientôt la ratification du pacte budgétaire par l’Allemagne, estime que la BCE a fait une sortie de route juridique : ” Les décisions du conseil de la BCE sont en pleine contradiction avec les traités de Maastricht et de Lisbonne qui interdisent explicitement le financement des Etats “.

Globalement, chez les adversaires de la politique annoncée de la BCE, la critique tourne autour du même axe. M. Draghi veut faire marcher la planche à billet pour adoucir la situation budgétaire des pays les plus mal en point. De facto, il va créer un droit des pays en difficulté à recevoir une aide illimitée de l’Union européenne. Ce faisant, le banquier central italien rend la politique monétaire européenne dépendante de la politique budgétaire des Etats. Ce qui ouvre la voie à la création d’un gouffre financier sans fin et à l’inflation, un phénomène que les Allemands craignent plus que tout.

L’opposition dénonce le double jeu de Merkel

Dans l’opposition, les sociaux-démocrates et les écologistes, plutôt favorables aux mesures annoncées à Francfort, en ont cependant profité pour attaquer la gestion de crise de la chancelière. Pour le patron des députés sociaux-démocrates Frank-Walter Steinmeier, la décision de la BCE est ” une attestation d’échec “ pour Mme Merkel. Selon lui, les hésitations et l’attentisme de la chancelière ont conduit l’Union Européenne à administrer par à-coups des remèdes tardifs et jamais suffisants contre la crise, là où les Etats européens auraient dû rapidement réagir en sortant le ” bazooka “. Ce que vient de faire M. Draghi.

” En agissant de la sorte, elle a placé la BCE et sa politique monétaire dans le rôle de la seule institution encore capable d’agir dans la zone euro “, estime le porte-parole du SPD pour les questions économiques Carsten Schneider. Et selon lui, elle trouve même plaisante l’existence de cet ” ersatz de gouvernement “ : ” De la sorte, elle peut éviter les débats au Bundestag. Elle s’économise l’obligation de devoir convaincre son groupe parlementaire pour trouver une majorité “, juge-t-il.

M. Schneider n’est pas le seul à tenir cette analyse. Car en effet, d’un côté, Angela Merkel est pressée d’agir par ses partenaires européens et internationaux. Mais, dans le même temps, elle doit faire face à une opinion publique majoritairement hostile à tout effort financier supplémentaire et à tout transfert supplémentaire de prérogatives nationales au niveau européen.

Par ailleurs, sa majorité parlementaire est de plus en plus divisée sur la question du sauvetage de l’euro. Comme on l’a vu lors de la ratification du pacte budgétaire en juin dernier, la chancelière doit désormais appeler l’opposition à l’aide pour être assurée d’avoir une majorité. Dans ces conditions, elle sait qu’il est pour l’instant illusoire de tenter de faire accepter de nouveaux programmes d’aides supplémentaires à ses concitoyens. Elle laisse donc Mario Draghi s’en charger.

On comprend donc mieux pourquoi, en début de semaine, Mme Merkel a soutenu tour à tour Mario Draghi et Jens Weidmann, pourtant farouchement opposés l’un à l’autre. Mais aussi pourquoi, face à la décision spectaculaire de jeudi, la chancelière allemande en visite à Madrid a continué à jouer au Sphinx, se contentant de déclarer laconiquement que ” la BCE agit de manière indépendante et dans le cadre de son mandat “.

Thomas Schnee, Berlin – L’Expansion.com

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