“Le pilotage de l’économie mondiale par la parasitocratie est absurde”

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Résolument libérale, l’analyste financière française Simone Wapler n’apprécie guère que l’économie mondiale soit aujourd’hui administrée par les Etats et les banquiers centraux. Ne faisant que spolier les épargnants et aggraver la crise, ce pilotage étatique est, selon elle, d’une ” prétention totalement absurde “.

Rue de la Michodière, à Paris. C’est là, au 3e étage d’un immeuble situé à deux pas du Palais Garnier (place de l’Opéra) et du quartier des grandes banques, que se trouvent les bureaux des publications Agora, spécialisées dans l’analyse et le conseil financier.

L’allure décontractée et le sourire aux lèvres, Simone Wapler y est directrice de la rédaction depuis cinq ans. Chaque jour, elle décrypte l’actualité économique pour informer, chiffres et graphiques à l’appui, les abonnés à sa lettre d’information dans un langage simple et sans jargon. Considérés par certains comme des vendeurs d’angoisse annonçant régulièrement la fin du monde et prônant du coup continuellement l’achat d’or, Simone Wapler et ses collègues de la Chronique Agora ne font pas toujours l’unanimité. Il est vrai que leurs raisonnements et leurs points de vue vont souvent à contre-courant de ce qui se dit ou se lit un peu partout.

SIMONE WAPLER. Il parlera de ce que nous appelons la parasitocratie, contraction des mots parasite et aristocratie. Ce sont des gens à des postes clés qui arrivent à vivre sur le dos de la collectivité, en se nourrissant de la complexité et de l’absence de concurrence. Le propos du livre sera de cerner cette parasitocratie : qui elle est, comment elle opère, etc. ? L’idée est de montrer les processus d’expropriation auxquels nous sommes soumis sans y prêter vraiment attention.

Vous dites dans vos récentes chroniques qu’une certaine élite financière fait partie de cette parasitocratie qui nous vole notre argent et notre liberté. A qui pensez-vous ?

Le système capitaliste fonctionne avec une sanction qui est la faillite. Si vous supprimez la faillite, vous déréglez le système, vous lui retirez toute possibilité d’autocorrection.

Dans le cas de l’euro, c’est Mario Draghi à la BCE, sinon c’est la Fed, le FMI et Christine Lagarde, le G20, etc. Tout ce beau monde part du principe que l’économie peut être pilotée par les taux d’intérêt sur la base de statistiques économiques, alors même que le monde se pose la question de leur bien-fondé : PIB, croissance, etc. Qu’est-ce qu’une croissance soutenue par du déficit non financé par l’impôt ? Idem pour le PIB gonflé de l’inflation. Pourquoi ne pas plutôt s’intéresser au revenu disponible par habitant ? Etc.

L’analyse est donc dès le départ biaisée : un peu comme le médecin qui utilise un thermomètre cassé pour mesurer la température ?

C’est cela, du coup on établit un mauvais diagnostic et on administre un mauvais remède. Un remède d’autant plus mauvais que l’économie ne se pilote pas. Elle résulte de millions de milliards de décisions individuelles. Personne ne peut avoir le cerveau et la connaissance capables d’intégrer ces milliards de décisions individuelles. C’est le fondement de la théorie de l'” ordre spontané ” de l’économiste autrichien Friedrich Hayek. A chaque fois qu’on essaye de contrarier cet ordre spontané de l’économie, on arrive à un désordre qui est pire. Evidemment, cet ordre spontané n’est pas parfait : il y a des crises, des excès, etc. Tout ce qui est humain n’est pas linéaire et avance par à-coups. Mais si on refuse de reconnaître la dimension humaine de l’économie, on entre dans ce monde technocratique.

On vous comprend bien, c’est une thèse libérale somme toute assez classique. Mais que faire quand vous êtes un décideur politique ou monétaire et que la crise éclate ? Vous laissez des millions de gens à la rue et les banques faire faillite ?

“Face à l’échec, l’ultime plan de relance keynésien, c’est la guerre, c’est le complexe militaro-industriel qui tourne à plein régime.”© Isopix

La prise en charge par la société des victimes d’une crise est une question politique. En revanche, la ” politique monétaire ” est un faux remède. La monnaie est un instrument d’échange économique, mais ce n’est pas l’économie en tant que telle. Dire que le crédit imprime le rythme de l’économie, c’est mettre la charrue avant les boeufs. Le crédit et les taux d’intérêt ne sont que la conséquence de l’activité économique du moment. Si l’activité économique est en phase d’expansion, tout le monde veut investir, il y a une forte demande d’épargne et les taux montent. Ensuite, si l’économie est en phase de contraction, il n’y a pas de demande d’investissements et les taux baissent. C’est comme cela que cela marche, pas autrement.

On a donc oublié les principes du libéralisme : en voulant réparer la machine, on a fait pire.

Oui, on se trompe complètement. On prend les effets pour des causes. On applique une boucle d’asservissement inverse, la baisse des taux finance des surcapacités. Les baisser encore, de façon totalement artificielle, est totalement fou ! Aucun système n’est bien sûr parfait. Mais le système capitaliste fonctionne avec une sanction qui est la faillite. Si vous supprimez la faillite, vous déréglez le système, vous lui retirez toute possibilité d’autocorrection.

Mais donc cela fait des milliers de gens en plus au chômage…

Qui sait ? Ce n’est pas sûr. A partir du moment où vous empêchez l’économie de se corriger d’elle-même, vous arrivez à l’URSS, c’est-à-dire à une économie 100 % étatique. On sait ce que cela donne. On produit des choses qui n’intéressent personne. L’URSS avait un PIB et, officiellement, n’avait pas de chômeurs. Mais l’URSS a implosé.

Cela veut dire que tout ce que fait Mario Draghi, à force de vouloir éviter la déflation, ne fait que nous enfoncer dans la crise ?

Les Etats européens ont besoin de crédit et donc la BCE en fabrique. C’est vieux comme le monde. Sauf que les dettes continuent de gonfler et que la croissance baisse. Résultat des courses : le monde est en surcapacité monstrueuse, tellement il y a eu des surinvestissements. La demande ne peut pas suivre. Qui aujourd’hui achète une voiture comptant ? Presque personne. Qui achète de l’immobilier cash ? Personne. Qui achète cash un téléphone au prix fort ? Personne. Un tel déséquilibre n’est pas tenable à long terme. Nous avons tout un stock monstrueux de dettes à détruire. La seule solution, c’est la faillite, donc une grosse restructuration des dettes. Mais pour faire durer le système, la BCE organise le ” soutien abusif ” des banques et des Etats, pratique financière pourtant réprimée.

A vous entendre, les récents tests de résistance bancaire ne sont que de la poudre aux yeux ?

On nage en plein bluff. Pourquoi faire des stress tests ? Le marché a déjà dit tout le mal qu’il pensait des banques européennes. Laissons-le faire. Les actions bancaires se sont effondrées. En plus, les scénarios de ces tests ne prennent pas en compte le problème des taux négatifs. C’est grotesque. On est dans le rituel des prêtres et des mythes. Mais le carburant de la parasitocratie, c’est la confiance des épargnants dans le système financier.

Si nous vivons aujourd’hui dans un monde absurde (taux d’intérêt négatifs, etc.), c’est donc à cause des banquiers centraux qui ont joué aux apprentis sorciers des deux côtés de l’Atlantique. Ce monde où emprunter rapporte de l’argent et où l’inflation a disparu commence-t-il à vous inquiéter ?

Qu’est-ce que l’inflation ? Votre inflation n’est pas la mienne. La hausse des prix n’est pas la même pour une personne âgée de 80 ans que pour un père de famille avec trois enfants en bas âge. La réalité, c’est que l’inflation, comme les taux d’intérêt négatifs, est un impôt qui n’a pas besoin d’être débattu, qui n’a pas besoin d’être voté et donc qui n’a pas besoin d’être consenti. C’est pour cela que les Etats et la BCE en veulent. Vous ne pouvez pas expliquer à un enfant que si le prix des bonbons augmente toujours, c’est une bonne chose. Il n’y a aucune bonne raison.

Que faire alors pour tenter de contrecarrer la dépression horrible, voire la ” stagnation séculaire “, théorie chère à l’économiste américain Robert Gordon ?

Rien. Moins on en fait, plus la dépression sera courte. On ne taille plus des silex et cette industrie n’est plus subventionnée. Si les contribuables décident qu’il faut soutenir les tailleurs de silex au chômage, c’est une question politique, pas économique. De plus, dépression et déflation n’ont rien à voir. Le capitalisme est par essence déflationniste. C’est sa pente naturelle. Le but de tout entrepreneur, c’est de produire mieux et plus pour moins cher. Et tant mieux : vive Ford qui, en son temps, a rendu son modèle T accessible à tout le monde !

A vous entendre, nous n’avons plus qu’à jeter nos manuels d’économie à la poubelle…

Surtout keynésiens (rire) ! C’est une crétinerie : la baisse des taux creuse les inégalités. Elle ne profite pas aux plus modestes – l’épargne des plus modestes n’est même plus rémunérée – mais à ceux qui ont déjà une belle surface financière puisqu’on ne prête qu’aux riches. Et puis, face à l’échec, l’ultime plan de relance keynésien, c’est la guerre, c’est le complexe militaro-industriel qui tourne à plein régime.

Vous y croyez vraiment à ce scénario de la destruction de la dette par les armes et non par la croissance et l’inflation ?

Je constate simplement dans l’histoire que ce genre de grande crise se termine généralement mal. Le créditisme est un système selon lequel les Etats-Unis exportent leur dette fédérale et importent ce dont ils ont besoin. Ce système ne marche que parce qu’il y a des sous-marins nucléaires, des porte-avions, etc. qui soutiennent l’hégémonie du dollar en tant que ” réserve monétaire “. Quant à l’Europe, si elle ne peut plus exporter ses dettes souveraines, il faudra que la BCE rachète tout, ce qui détruira l’euro. Bref, ce n’est jamais celui à qui on doit de l’argent, le créditeur, qui attaque, mais le débiteur, celui qui doit de l’argent. Souvenez-vous de la colonisation de l’Algérie, à qui la France devait de l’argent et ne pouvait pas payer. C’est pour une créance impayée du Directoire que les troupes françaises ont envahi l’Algérie en 1830. Souvenez-vous aussi de l’Allemagne qui ne pouvait plus payer la France…

Rien de bien réjouissant, en définitive…

Non, mais je reste optimiste. J’espère que la parasitocratie sera virée avant le désastre final.

Propos recueillis par Sébastien Buron, à Paris.

Simone Wapler

Née en 1957 à Casablanca.

1979: Diplôme d’ingénieur électro-mécanicien (ESME).

1980: Commence sa carrière dans l’industrie aéronautique (équipementiers, etc.).

1999: Change de cap et devient journaliste spécialisée dans les nouvelles technologies (numérisation des données, etc.) avant de devenir ensuite journaliste financière.

Depuis 2011: Directrice des Publications Agora.

Auteure de plusieurs ouvrages : Pourquoi la France va faire faillite, Comment l’Etat va faire main basse sur votre argent et La fabrique de pauvres (tous parus chez Ixelles éditions).

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