Le pétrole menace la reprise belge

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Le budget belge doit encore être assaini en profondeur mais une charge a déjà sensiblement augmenté. Il s’agit du prix du pétrole dont le produit ne profite même pas au Trésor public belge. Le risque s’accroît de voir la facture pétrolière entraver la reprise.

Une reprise soutenue de l’économie mondiale, une politique monétaire expansive des banques centrales occidentales et des troubles violents au Moyen-Orient. Ces trois facteurs suffisent à catapulter le prix du brut au delà des 100 dollars le baril (120 dollars à Londres à la fin février). C’est plus qu’une limite symbolique car si le prix de l’or noir se fixe aux alentours ou au-delà des 100 dollars le baril cette année, la facture pétrolière de l’économie mondiale s’élèvera à 5 % du revenu mondial.

Le passé récent prouve que l’économie mondiale, et certainement l’économie occidentale, paie ce niveau de prix avec une récession. La dernière fois que la facture pétrolière globale a dépassé le cap des 5 %, est encore fraîche dans les mémoires (voir graphique ci-dessous) : en été 2008, le baril a atteint les 147 dollars et a donné le coup de grâce à l’économie occidentale, déjà vacillante.

La charge pétrolière n’avait plus atteint 5 % du PIB mondial depuis le début des années 1980. A cette époque, l’Occident n’avait pas non plus échappé à une très lourde récession. L’histoire américaine en dit long également. Presque chaque forte hausse du prix du pétrole a été suivie par une récession aux Etats-Unis. La nouvelle flambée des prix pétroliers risque bien de torpiller prématurément la reprise à un moment où une forte croissance économique est l’antidote à l’endettement excessif en Occident.

Une nouvelle récession ?

Provisoirement, cette hausse du prix de l’énergie est encore économiquement “digérable”. Elle est en réalité logique. Le pétrole est cher parce que l’économie mondiale se porte relativement bien. L’augmentation actuelle est donc de nature bénigne, contrairement à une augmentation maligne lorsque l’économie est agressée par de brusques hausses suite à une pénurie de carburant. Mais que l’augmentation soit de nature bénigne ou maligne, un pétrole trop cher est assez rapidement autodestructeur et cela en raison de son impact sur l’économie mondiale.

Un pétrole cher fait surtout mal parce qu’une hausse de son prix équivaut à une augmentation des charges dont le produit ne tombe pas dans les caisses du Trésor public national. Cette fuite de revenus vers l’étranger a pour effet qu’il reste moins d’argent à consacrer à d’autres produits et services, avec pour résultat un ralentissement de l’économie.

Naturellement, cette charge supplémentaire qui pèse sur les pays importateurs de pétrole représente un revenu pour les pays exportateurs. En réalité, à l’échelle mondiale, il n’est donc pas question d’une perte mais plutôt d’un transfert de revenus. Celui-ci s’accompagne néanmoins d’un ralentissement de l’économie mondiale parce que les pays exportateurs ne se mettent pas immédiatement à dépenser tous les revenus supplémentaires qu’ils ont recueillis et parce que le monde a besoin de temps pour s’adapter aux changements rapides des schémas de consommation. L’augmentation des prix pétroliers est donc loin d’avoir un effet lubrifiant pour l’économie mondiale.

En outre, la cherté du pétrole ne facilite pas non plus la vie aux banquiers centraux. Surtout aux banquiers centraux occidentaux, pour qui une inflation croissante, comme conséquence de la hausse du prix du pétrole et des matières premières, est le cauchemar qu’ils redoutent déjà depuis quelque temps.

Des prix pétroliers en hausse attisent l’inflation en Occident mais l’économie occidentale et le système bancaire sont loin d’être capables de digérer une politique monétaire plus rigoureuse. L’organisation d’une récession pour tuer l’inflation – comme l’a fait le banquier central américain Paul Volcker au début des années 1980 – est un scénario que personne n’ose suggérer. En fait, bon nombre de responsables politiques espèrent secrètement une dose d’inflation pour réduire les dettes publiques en termes de pouvoir d’achat.

Pourtant, une banque centrale qui se respecte un tant soit peu, doit combattre une inflation croissante. On ne s’attend pas, surtout de la part de la Banque centrale européenne (BCE), à ce qu’elle reste les bras ballants lorsque les prix grimpent trop vite. Mais la BCE peut éviter de devoir rendre un jugement de Salomon entre la croissance et la stabilité des prix si ceux qui paient directement les prix pétroliers plus élevés (les travailleurs, par exemple, quand ils passent à la pompe), n’imputent pas ce supplément de coûts à des tiers, comme leurs employeurs.

S’ils ne le font pas et s’il n’y a pas d’effets dits du second tour, la tendance et les attentes inflationnistes sous-jacentes resteront stables, et dans ce cas, les banquiers centraux pourront attendre plus calmement que l’orage passe. Ce n’est pas par hasard que les mécanismes qui institutionnalisent la transmission de la hausse des prix pétroliers, comme l’indexation automatique des salaires en Belgique, se trouvent aujourd’hui sur l’autel des sacrifices européen.

Nouveau choc pétrolier ?

A quel point la cherté du pétrole sera-t-elle dure à supporter ? Toute la question est de savoir si les 120 dollars représentent le cours maximum ou seulement un stade intermédiaire vers des cours encore beaucoup plus élevés.

A court terme, l’Arabie saoudite détient la clé du problème puisque cet Etat producteur d’or noir fait plus ou moins office de banque centrale des marchés pétroliers. Seule l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, le Koweït et les Emirats arabes unis ont en effet une marge de capacité de production suffisante pour mettre rapidement du brut supplémentaire sur le marché. Toutefois, ils ne réussissent pas toujours à stabiliser le marché pétrolier. Ainsi, au cours de la période 2007- 2008, l’Arabie saoudite a sous-estimé la forte augmentation de la demande et c’est cette estimation erronée qui fut à la base de l’explosion des prix du baril en 2008.

En ce moment, il y a à nouveau une marge de capacité d’environ 5 millions de barils par jour sur une demande totale de 88 millions de barils, contre à peine 2 millions en 2008. C’est une solide assurance contre d’autres hausses de cours bien que cette capacité tampon puisse éventuellement s’avérer insuffisante si l’escalade des révoltes au Moyen-Orient devait se poursuivre, et certainement si l’Arabie saoudite elle-même devait être entraînée dans la tourmente.

A long terme, les choses sont moins claires. Le monde se montre de plus en plus économe avec l’énergie, surtout l’Occident où la demande de pétrole a peut-être déjà son sommet historique derrière le dos. Les pays émergents affichent aussi progressivement des résultats positifs en matière d’efficacité énergétique mais ces progrès sont loin de suffire pour compenser la hausse de la demande de pétrole qui accompagne leur croissance économique rapide. La consommation d’énergie par tête d’habitant dans ces pays n’arrive pas encore à la cheville de la nôtre.

D’autre part, le signal du prix se perd encore souvent parce que dans nombre de pays producteurs de pétrole, l’énergie est fortement subsidiée. Et peu de régimes sont donc vite enclins à refuser cette aide à leur population.

A plus long terme, l’offre de pétrole devra encore augmenter davantage pour rencontrer la demande de sorte qu’une poursuite de la hausse du prix, plus conforme à la tendance, est un scénario tout à fait plausible. Nous devrons donc apprendre à vivre avec un pétrole plus cher.

Dan Killemaes

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