Le monde selon Trump, un mélange détonnant de protectionnisme et de dérégulation

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Quelques heures après la victoire de Donald Trump, les marchés se sont calmés et on a commencé à comparer le nouveau président américain à Ronald Reagan. Cette rassurante comparaison a cependant des limites.

Les sondages prédisaient une victoire d’Hillary Clinton. Donald Trump sera le 45e président américain. Le jour de l’élection, les investisseurs s’attendaient à voir le Dow Jones dévisser de 600 points. Finalement, l’indice phare de la Bourse de New York a terminé sur un nouveau record. ” Prévoir est un art difficile, surtout quand cela concerne l’avenir “, disait Pierre Dac.

Surprenante, cette élection est également humiliante pour les sondeurs, les prévisionnistes, les médias et tous ceux qui croyaient à la marche triomphante de la mondialisation et à l’ouverture des frontières. En excellent communicateur qu’il est, Donald Trump a su faire baisser la pression en tenant un premier discours rassembleur et bien éloigné de la rhétorique agressive qu’il tenait en campagne. Une courbe rentrante qui fait penser que les actes du président Trump devraient être assez éloignés des propositions du candidat Trump et qui constitue une des raisons majeures avancées par l’agence de notation Standard & Poor’s pour justifier le fait qu’elle conservait à la dette américaine une excellente note AA+.

Reagan nostalgie

Le monde selon Trump, un mélange détonnant de protectionnisme et de dérégulation
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La comparaison avec les années Reagan a ses limites, surtout si l’on songe aux flux commerciaux qui se sont construits au cours de ces 30 dernières années.

La réaction des marchés financiers a en tout cas été stupéfiante. En quelques heures, ils sont passés de la crainte d’un Brexit puissance 10 à l’espoir de voir fleurir à nouveau les années Reagan, celles de la dérégulation, des grandes dépenses publiques (souvenons-nous de la guerre des étoiles), d’une maîtrise monétaire et des baisses d’impôts qui devraient profiter aux entreprises et aux ménages les plus aisés. ” Les 1 % (les Américains les plus riches, Ndlr) ont fêté la victoire de Trump en allumant quelques feux d’artifices à Wall Street “, résume le fondateur d’Econopolis Geert Noels. Certes, quelques entreprises dans le secteur technologique et internet pourraient souffrir de la politique protectionniste du nouveau président américain qui accuse les géants de la Silicon Valley d’enrichir des sous-traitants asiatiques plutôt que de donner du travail aux ouvriers américains. Donald Trump a ainsi proféré des menaces à l’encontre d’Apple (” Si je suis élu, je demanderai à Apple de commencer à fabriquer ses ordinateurs et ses iPhone sur notre sol plutôt qu’en Chine “, ) ou d’Amazon qu’il accuse de position monopolistique (” Si je suis élu, ils auront des problèmes, c’est sûr “). Mais derrière ces mâles déclarations, un compromis semble se dessiner. Une fiscalité avantageuse favorisera le retour au pays des masses de liquidités que les grands groupes américains ont mises à l’abri dans des paradis fiscaux en échange d’investissements locaux porteurs d’emplois.

Certains secteurs devraient particulièrement bénéficier de cette politique économique mêlant protectionnisme et déréglementation. En premier lieu les banques, qui devraient être soumises à moins de contraintes. Mais il se joue ici une course contre la montre puisque les nouvelles règles internationales de Bâle IV qui visent à renforcer la réglementation pourraient être adoptées à la fin de cette année, et donc avant l’entrée en fonction de l’administration Trump. Le secteur pétrolier pourrait lui aussi tirer son épingle du jeu, puisqu’on prête déjà à l’administration Trump la volonté de sortir le plus vite possible de l’accord sur le climat signé l’an dernier à Paris. Quant aux entreprises de construction, à la sidérurgie, ils devraient profiter des grands travaux d’infrastructures…

Croissance et normalisation monétaire ?

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Car avec un congrès aux mains des républicains, Donald Trump n’aura pas de grandes difficultés à mettre en oeuvre les stimuli fiscaux et les investissements publics promis lors de sa campagne. On devrait donc s’attendre à un rebond de la croissance américaine, une remontée des prix des matières premières à une réapparition de l’inflation et peut-être en décembre, à un premier geste de la Réserve fédérale qui pourrait remonter ses taux. C’est ce scénario qui tient la corde et qui explique que le dollar commence déjà à se raffermir et que les taux des obligations américaines remontent.

Cette remontée des taux fait également songer aux années Reagan (époque où le patron de la Fed, Paul Volcker, a relevé les taux pour combattre l’inflation) et constitue sans doute un des plus grands risques à court terme. Le changement de cap peut être très rapide et si cette remontée devait se propager aux marchés obligataires européens où des milliers de milliards d’euros d’obligations se caractérisent désormais par des rendements négatifs, le processus de normalisation pourrait faire très mal aux banques, assurances et fonds de pension qui accuseraient de fortes pertes latentes sur leurs portefeuilles d’obligations.

Toutefois, ce scénario n’a pas que des partisans : si le nouveau président met en place les baisses d’impôts qu’il a annoncées, l’endettement des Etats-Unis devrait, à moins d’une flambée de la croissance, augmenter de 25 % au cours des 10 prochaines années. Dans un tel contexte, on pourrait facilement imaginer que l’administration américaine cherche à soutenir la croissance du pays en combattant un dollar trop fort et à réduire la facture de la dette en pesant sur les taux d’intérêt.

Qui perd, qui gagne ?

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La comparaison avec les années Reagan a aussi des limites, surtout si on songe aux flux commerciaux qui se sont construits au cours de ces 30 dernières années.

Aujourd’hui, ” l’Asie est la région du monde qui est la plus exposée aux Etats-Unis, observe Aidan Yao, senior economist chez Axa IM. Le surplus de la balance commerciale des pays asiatiques vis-à-vis des Etats-Unis atteint 348 milliards de dollars “, rappelle-t-il. Et dans cette région, on est particulièrement nerveux depuis le 9 novembre.

La politique économique et internationale du nouveau président américain est en effet basée sur un jeu à somme nulle : le gain de l’un est nécessairement la perte de l’autre. C’est pourquoi Donald Trump veut élever des murs à la frontière mexicaine et jouer des tarifs douaniers pour limiter les importations. Mais rien ne dit qu’en réduisant son déficit commercial avec l’Asie, le pays s’en trouvera plus riche de centaines milliards de dollars ! Il est à craindre que les ménages américains les plus pauvres verront simplement leur pouvoir d’achat se réduire parce qu’ils ne bénéficieront plus des produits asiatiques à bas prix, et que les pays qui exportaient aux Etats-Unis réagiront en mettant en place des mesures de rétorsions similaires. Le commerce et la croissance mondiale en seraient les premières victimes.

Ce ne serait pas la première fois que les Etats-Unis commettent cette erreur. L’administrateur délégué de la FEB Pieter Timmermans rappelle qu’ ” au début des années 1930, à la suite de la grave crise économique et financière et de l’éclatement d’une bulle boursière et immobilière, on a développé l’idée de protéger les secteurs industriels nationaux et le secteur agricole de la concurrence étrangère par l’augmentation sensible des taxes à l’importation. Le Smoot-Hawley Tariff Act a emporté la majorité au Congrès et le président Hoover ne s’y est pas opposé. Le résultat fut désastreux pour l’économie mondiale, poursuit Pieter Timmermans : le commerce mondial global a régressé de 66 % entre 1929 et 1934 “. La résurrection de telles mesures serait un rude coup pour notre pays. En Belgique, un emploi sur six dépend en effet de l’exportation.

Hausse des taux, baisse du commerce international et de la croissance mondiale : tout ceci reste cependant du domaine des projections. Depuis le référendum britannique sur le Brexit et les élections américaines, on sait que celles-ci sont hautement hasardeuses. Quel sera demain le monde selon Trump ? On peut le deviner, mais personne ne peut le dire aujourd’hui avec précision. Oui, prévoir est un art difficile, surtout quand cela concerne l’avenir.

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