“Le futur n’est pas aussi sombre que nous l’imaginons”

Gerd Leonhard © GETTY

Le futurologue allemand Gerd Leonhard parcourt le monde depuis une quinzaine d’années afin d’aider les grandes multinationales à se préparer à l’avenir.

Gerd Leonhard a débuté sa carrière comme guitariste professionnel et était producteur de musique avant de partir pour la Silicon Valley à la fin des années nonante.

De retour en Europe depuis 2002, après l’apogée de la bulle Internet, il est aujourd’hui consultant et auteur. Entre-temps, il a donné plus de deux mille conférences devant le gratin du monde des entreprises – ce qui lui a valu d’être classé parmi les personnalités les plus influentes d’Europe par le magazine Wired – et conseillé de nombreux CEO dans l’élaboration de leur stratégie.

“Je suis plus thérapeute que consultant”, précise Gerd Leonhard lors d’une interview accordée au Trends néerlandophone, dans la foulée d’un congrès au siège du groupe Bayer dans la ville allemande de Monheim. “Il m’arrive d’être le seul à dire la vérité sans tabou. Or, mes interlocuteurs partagent presque toujours les mêmes inquiétudes”, ajoute Gerd Leonhard. “Nous faisons face à un futur qui sera radicalement différent et qui fait peur. Les dirigeants d’entreprise aspirent à la sécurité et au bonheur pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Ils veulent aussi apprendre à faire prospérer leur entreprise de manière durable, car le système économique actuel n’est pas en phase avec l’avenir qui se dessine. Les changements incessants vont mettre ce système sous pression. S’ils veulent pérenniser le succès de leur entreprise, les CEO doivent s’efforcer de comprendre le futur et de maîtriser les défis de l’ère du numérique.”

Un fait scientifique

Ces dernières années, Gerd Leonhard s’est surtout intéressé à l’impact de la technologie sur l’humanité. L’intelligence artificielle, l’internet des objets et le Big Data entraînent une accélération spectaculaire des connaissances et des technologies qui, selon toute vraisemblance, nous emmène vers un monde dirigé par les machines et les algorithmes.

“Ce qui m’a le plus surpris ces quinze dernières années, c’est la vitesse avec laquelle les choses se produisent,” affirme Gerd Leonhard. “Tout ce qui relevait hier encore de la science-fiction devient un fait scientifique avéré et entre en application bien plus vite que je ne l’avais imaginé. Je citerai l’exemple de cette technique de modification du génome qu’est le CRISPR-cas9 (découpage qui permet de supprimer des désordres génétiques ou des mutations néfastes dans notre ADN, NDLR). Idem pour le Brexit et l’avènement de Trump qui en ont surpris plus d’un. Personnellement, j’avais parié sur le non au Brexit. Je pensais qu’on ne pouvait pas être aussi stupide, mais c’était sous-estimer la peur qui incite à prendre de telles décisions.”

Tout ce qui ne pourra pas être numérisé ou automatisé va prendre énormément de valeur

“Nous nous dirigeons vers un monde nouveau qui, dans moins de dix ans, enregistrera plus de 7,5 milliards de personnes actives sur Internet. Mais mes petits-enfants ne sauront plus ni conduire une voiture ni à quoi ressemble un CD. Ils parleront avec une machine. La fin de l’ère du pétrole, dont on parle depuis un demi-siècle, est en train de se concrétiser. Celui qui investit aujourd’hui dans l’industrie pétrolière doit s’attendre à des pertes colossales dans un avenir proche.”

Gerd Leonhard est convaincu que l’humanité va davantage évoluer au cours des vingt prochaines années que ces trois derniers siècles. “Le futur est déjà présent, nous n’y avons tout simplement pas prêté attention”, déclare Gerd Leonhard, qui compte déjà à son actif cinq ouvrages sur le sujet.

Quels sont encore les avantages de conduire une voiture ?

“Je ne crois pas du tout en un monde sans automobiliste, avec des véhicules autonomes uniquement”, déclare Gerd Leonhard. “C’est un peu ce qui se passe dans le secteur du livre. On achète des livres électroniques, mais on continue à lire des livres papier, car c’est meilleur pour l’activité cérébrale. La conduite d’une voiture va sans doute passer de mode pour des raisons d’ordre pratique. Dans les grandes villes, les jeunes n’auront plus de permis de conduire. J’ai vendu ma voiture et je me déplace avec Uber. J’aime néanmoins encore prendre le volant, mais je me demande à quoi cela sert aujourd’hui.”

La vallée de la Mort

Mais cette évolution est une source d’anxiété pour les gens. “Leur avenir, leur emploi, la robotisation, Trump les inquiètent. Mais je suis un optimiste. Nous devons accueillir la technologie à bras ouverts et je nourris beaucoup d’espoir pour l’humanité. Même si nous commettons des erreurs, si nous nous montrons parfois stupides et si nous manquons d’efficacité, l’avenir est moins sombre que nous l’imaginons. Il est fort probable que la technologie nous permette de remédier à des fléaux comme le changement climatique, le cancer et la pénurie d’eau. Mais se posent également des problèmes sociaux, que l’ordinateur est incapable de résoudre. Nous devons aussi réfléchir à la manière dont nous allons gérer la technologie sur le plan éthique. Ma première préoccupation est que nous inventons des technologies qui peuvent être utilisées abusivement. Nous devons mettre en place des règles et créer des solutions adaptées, tout comme nous l’avons fait pour les armes nucléaires. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il a fallu larguer une bombe atomique pour nous inciter à dire que nous ne voulions plus jamais voir ça. Nous avons peut-être besoin du même électrochoc en matière d’intelligence artificielle, d’un incident d’une ampleur énorme pour que nous nous penchions sérieusement sur le sujet.”

La disparition de nombreux emplois ne fait aucun doute. “Nous allons entrer dans une sorte de “vallée de la Mort” lorsqu’auront disparu des métiers qui appartiennent selon moi au passé, comme la fonction d’opérateur dans les centres d’appels. Tous les travaux routiniers seront confiés à des machines. On ne peut plus empêcher les ordinateurs d’acquérir ce type de compétences. Ce processus pourrait en fin de course faire disparaître jusqu’à 50% des postes. Mais on assistera aussi à l’émergence de nouvelles fonctions, qui n’existent pas encore vraiment. Il ressort de nombreuses études que 70% des principaux métiers dans dix ans n’ont pas encore été inventés. Les gouvernements doivent bien se préparer à cette période transitoire. Certains prétendent même que l’homme deviendra inutile, ce qui est très loin de la vérité. Tout ce qui ne pourra pas être numérisé ou automatisé va prendre énormément de valeur.”

Gerd Leonhard décrit la manipulation génétique comme une boîte de Pandore (une source de problèmes fastidieux et imprévisibles, NDLR). “Certains prédisent qu’elle permettra à nos petits-enfants d’être centenaires et aux générations suivantes de vivre entre 120 et 150 ans. Imaginez l’impact sur nos pensions”, conclut Gerd Leonhard.

Un bon conseil d’Einstein

“Je m’inspire en observant des individus comme l’homme d’affaires britannique Richard Branson”, confie Gerd Leonhard. “L’essentiel, ce n’est pas de tout savoir, mais d’écouter et d’essayer de comprendre. J’ai puisé mon meilleur conseil chez le physicien Albert Einstein: l’imagination est plus importante que la connaissance.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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