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“La taxe Caïman ou l’art de mal légiférer”

Une nouvelle fois, le gouvernement propose au Parlement de modifier la législation relative à la célèbre, mais peu efficace “taxe Caïman”. Cette taxe concerne des personnes physiques, et seulement elles, résidant en Belgique, qui sont des fondateurs ou des bénéficiaires de “constructions juridiques” se trouvant à l’étranger.

Parmi celles-ci, il y a d’une part les trusts, qui sont visés quel que soit le pays, à faible taxation ou non, où ils sont établis, et d’autre part les autres constructions juridiques, concernées seulement lorsqu’elles bénéficient d’un régime fiscal particulièrement avantageux. L’idée est de rendre ces entités, de l’une ou l’autre catégorie, ” transparentes ” sur le plan fiscal, de sorte que le fondateur soit taxable comme si ces structures n’existaient pas.

A l’origine, une loi de 2013 avait seulement obligé les fondateurs de telles entités à en déclarer l’existence, tout comme il faut déclarer les comptes bancaires étrangers et les assurances patrimoniales conclues à l’étranger. Cela donnait quelques informations au fisc, mais ne lui rapportait évidemment rien, sauf peut-être la possibilité d’effectuer des contrôles pour s’assurer qu’à l’origine, les fonds, s’ils n’étaient pas prescrits, avaient bien subi leur régime fiscal légal. Une loi du 10 août 2015, applicable aux revenus de l’ensemble de l’année 2015, a introduit la taxation des revenus perçus par de telles entités, dans le chef des fondateurs, même en l’absence de toute distribution à un résident belge : l’idée était d’agir comme si les revenus avaient été perçus par ceux-ci. Parallèlement, l’on taxait également les sommes distribuées par de telles entités, sauf lorsqu’elles avaient déjà été imposées préalablement par transparence. Cette exception était logique, mais l’on en avait prévu une autre, beaucoup moins explicable, concernant les sommes distribuées par des trusts, qui n’étaient pas taxables dans le cadre de cette législation.

Cette loi était à peine publiée que l’on préparait déjà sa modification, qui fut décidée par une loi du 26 décembre 2015, surnommée loi tax shift. Un texte mal rédigé était donc ” corrigé ” à peine quatre mois après sa publication. Pour comble, notamment en ce qui concerne l’extension de la loi à des sicav privées ou familiales luxembourgeoises, le texte était tellement mal rédigé, à nouveau, qu’il ne permettait pas la taxation que le législateur avait voulue.

Aujourd’hui, on propose une nouvelle modification d’envergure qui revient avec un injustifiable effet rétroactif à septembre dernier sur l’étrange exonération des distributions effectuées par des trusts. Le projet prévoit également la taxation de certaines ” doubles structures “, comme par exemple celle d’un bénéficiaire fondateur d’un trust qui, lui-même, détient 100 % des actions d’une société panaméenne.

Ces trusts sont souvent imposables, parfois à des taux élevés, dans les pays où ils sont établis. Et personne n’a envisagé comment on allait appliquer les traités préventifs de la double imposition dans de telles hypothèses.

Pendant ce temps, on laisse dans la totale obscurité des questions fondamentales qui se posaient dès le départ. Ainsi, il existe de nombreux contribuables belges qui ont constitué des trusts pour des motifs qui n’ont rien de fiscal : par exemple pour organiser une succession complexe dans une famille où les intérêts sont très divergents. Ils ont souvent choisi de créer leur trust dans des pays qui ne sont pas particulièrement attrayants sur le plan fiscal, mais où le trust est bien organisé, comme le Canada, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Ils se retrouvent aujourd’hui pénalisés, parce que si l’on prend le texte légal à la lettre, ils seront néanmoins taxés en Belgique par transparence sur les revenus de ce trust.

Or, ces trusts sont souvent imposables, parfois à des taux élevés, dans les pays où ils sont établis. Et personne n’a envisagé comment on allait appliquer les traités préventifs de la double imposition dans de telles hypothèses. Ces traités interdisent certes la double taxation du même revenu dans le chef de la même personne, mais l’insécurité juridique règne, parce que l’on peut craindre que le fisc soutienne qu’il s’agit certes d’une double taxation du même revenu, mais pas dans le chef des mêmes personnes, puisque le Canada taxerait le trust et la Belgique une personne physique.

On voit donc que la médiocrité de la législation conçue par le gouvernement et votée les yeux fermés par le Parlement, aboutit laborieusement à taxer une partie des contribuables que l’on visait initialement, mais au prix, peut-être, de doubles taxations affectant potentiellement des personnes poursuivant des buts non fiscaux et parfaitement légitimes. Il est regrettable que la loi fiscale crée ainsi l’insécurité, menace des contribuables à qui rien ne peut être reproché, et perde ainsi du peu de crédibilité qui lui restait.

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