Daan Killemaes

‘La réforme de l’impôt des sociétés n’est pas budgétairement neutre, même pas en rêve’

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

La réforme de l’Isoc coûtera bel et bien de l’argent et le taux que les sociétés paieront sur leur bénéfice diminuera significativement. Par contre, elle n’est pas adaptée à la nouvelle réalité numérique, estime Daan Killemaes, le rédacteur en chef du Trends néerlandophone.

Soyons réaliste, la réforme de l’impôt des sociétés n’est pas budgétairement neutre, même pas en rêve. Le souhait du vice-Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) – “pour moi, cette réforme peut coûter de l’argent à l’État” – deviendra réalité. Et c’est également une bonne chose, car une opération budgétairement neutre aurait peu de portée pratique. Les experts ne sont pas franchement impressionnés par la réforme qui se trouve pour l’instant sur la table, ils la qualifient de chipotage. Une diminution du taux à 25% (et à 20% pour la première tranche de 100.000 euros de bénéfice pour les PME) à l’horizon de 2020 ne mettra pas la Belgique sur la carte internationale et elle attirera trop peu de centres de décision et de base imposable. L’accord politique manque de vision stratégique.

Complexité, incertitude et confusion

Sauf si le gouvernement compte secrètement sur le fait que la réforme fera tout de même changer la donne. Car la réforme coûtera bel et bien de l’argent et le taux que les sociétés paieront effectivement sur leur bénéfice diminuera en réalité significativement. Il est probable que le gouvernement applique la même stratégie que pour son premier tax shift. Il allait également être neutre budgétairement, mais il coûtera chaque année environ 4 milliards d’euros. C’est de l’argent judicieusement dépensé, car une diminution des charges sur le travail s’imposait. Le tax shift dans l’impôt des sociétés coûtera probablement aussi quelques milliards d’euros, mais ce sera également de l’argent bien dépensé. De tels investissements dans la croissance économique et l’emploi justifient un report de l’équilibre budgétaire. Le trou doit dès lors être comblé par des économies. Starve the beast, affamer la bête publique, c’est peut-être encore une stratégie implicite du gouvernement. En soi, ce n’est pas une mauvaise cure, vu la part des services publics dans l’économie belge qui est de plus de 50%. L’inconvénient de ces stratégies non dites est que l’impact positif se noie dans la persistance de complexité, d’incertitude et de confusion.

Une réforme et une diminution de l’impôt des sociétés s’imposent depuis déjà bien longtemps. Une réforme est nécessaire parce que la stratégie de niches de la Belgique, qui combine un taux nominal élevé à de nombreuses possibilités de déduction, surtout pour les multinationales, n’est plus compétitive et n’est plus autorisée par l’Europe et l’OCDE. Un taux nominal inférieur, avec une limite des possibilités de déductions, est plus efficace et plus équitable. Pouce vers le haut donc. Mais celui qui pense que les multinationales vont en grande partie financer la diminution du taux croit encore que Saint-Nicolas paiera le reste du déficit.

Celui qui pense que les multinationales vont en grande partie financer la diminution du taux de l’Isoc croit encore à Saint-Nicolas

Une diminution du taux effectif de l’impôt des sociétés, et donc pas uniquement du taux nominal, s’impose aussi. Ces dernières années, ce taux effectif a progressivement augmenté, surtout du fait que l’avantage des intérêts notionnels a diminué ces dernières années, dans le sillage de la diminution des taux d’intérêt. Le taux effectif a grimpé vers les 30%. N’oublions pas non plus que le précompte mobilier a été augmenté jusqu’à 30%. Les recettes en provenance des sociétés ont de cette manière augmenté jusqu’à plus de 50%. Si cette réforme restait budgétairement neutre, alors le taux effectif resterait à ce niveau élevé. Ce n’est pas avec cela que nous gagnerons sur le plan de la concurrence internationale.

Le Conseil supérieur des finances a encore fait le calcul l’an dernier. Une diminution du taux à 25%, avec un coût de 5 milliards d’euros, ne restera budgétairement neutre que si la base imposable est élargie d’un bon tiers. Un taux de 25% est budgétairement neutre si le précompte mobilier est augmenté, si les intérêts notionnels passent entièrement à la trappe et si on modifie la déductibilité des frais. Le précompte mobilier est relevé, mais ce rendement ne compte pas pour le calcul du maintien de la neutralité budgétaire. Les intérêts notionnels sont en grande partie supprimés, mais cela ne rapporte pas beaucoup au Trésor. Et limiter la déductibilité des frais ? C’est presque un sacrilège fiscal. La limitation des possibilités de déduction ne suffit pas à financer la réforme.

Réalité numérique

Les dupes de cette réforme sont surtout les sociétés qui font des pertes ou qui en ont fait. Les possibilités de récupérer les pertes fiscalement sont étalées dans le temps et sont limitées dans leur ampleur. Cela touche des sociétés, comme les start-up, les jeunes sociétés de croissance et les PME qui, tout en devant faire face à de nombreuses dettes, doivent se réinventer à l’heure de cette ère numérique. La réforme n’est pas tendre pour ce groupe croissant de sociétés, elle n’est donc pas adaptée à la nouvelle réalité numérique. Cette vision manque dans les réformes qui, pour des considérations de nature politique, doivent être budgétairement neutres. Cela pèsera sur les effets retour dont le gouvernement aura encore besoin.

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