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La politique monétaire de la BCE a un effet bénéfique… mais bien caché !

On pourrait être tenté de penser que les mesures prises par la BCE sont sans effet. Mais un tel jugement serait trop sévère. Analyse.

La politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) est depuis plusieurs années maintenant en territoire inconnu. Politiques non conventionnelles, taux d’intérêt négatifs, tout est tenté pour retrouver des conditions de croissance et d’inflation semblables à ce que l’on connaissait avant 2008.

Cependant, face à l’absence manifeste de retour à la normale, on pourrait être tenté de penser que ces mesures prises par la BCE sont sans effet. Mais un tel jugement serait trop sévère. D’une part, on sait que la politique monétaire ne peut résoudre tous les problèmes économiques. D’autre part, les effets de la politique ultra-accommodante de la BCE se font bel et bien sentir, mais souvent de manière déguisée.

Impact budgétaire

Philippe Ledent est économiste chez ING Belgique et chargé de cours invité à l'UCL.
Philippe Ledent est économiste chez ING Belgique et chargé de cours invité à l’UCL.© DR

C’est notamment le cas en matière de finances publiques. En effet, la baisse inédite des taux d’intérêt a fait fondre de manière impressionnante la charge d’intérêt de la dette publique, ce qui a grandement soulagé la politique budgétaire. Pour s’en convaincre, quelques chiffres suffisent. D’après les chiffres de la Banque nationale, entre 2007 et 2015, la dette publique belge a augmenté de… 137 milliards d’euros (pour passer de 300 à 437 milliards). Par contre, dans le même temps, la charge d’intérêt de la dette a diminué de 2 milliards d’euros. Concrètement, l’année dernière, l’Etat belge a consacré 11,5 milliards d’euros au service de sa dette (soit un taux implicite moyen de 2,7 % à peine). Si le taux d’intérêt payé était resté identique à celui de 2007, la facture serait de l’ordre de… 19 milliards d’euros, soit près de 2 % du PIB supplémentaire. On ne parlerait alors pas d’un déficit public de quelques 2,5 % du PIB, mais bien de 4,5 % ! Or, la baisse effective du taux d’intérêt moyen payé par l’Etat belge sur sa dette trouve bien son origine dans la politique monétaire de la BCE. En implémentant des mesures visant à réduire drastiquement les taux d’intérêt, la BCE contribue de manière décisive à réduire le déficit public, et ce bien plus que ne le font la plupart des mesures budgétaires décidées par le gouvernement.

En implémentant des mesures visant à réduire les taux d’intérêt, la BCE contribue de manière décisive à réduire le déficit public.

Pour être complet, il faudrait ajouter que la BCE (ou plutôt le système des banques centrales des pays de la zone euro) fait un autre cadeau à l’Etat. En effet, une partie de plus en plus grande de la dette de chaque Etat membre est achetée par les banques centrales dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif (achat d’actifs financiers si vous préférez) de la BCE. Dès lors, pour cette partie de la dette, le taux d’intérêt effectivement payé par l’Etat est en fait presque nul. En effet, lorsque les Etats payent des intérêts sur les actifs détenus par les banques centrales, ceux-ci participent aux bénéfices de ces dernières, qui sont reversés à leurs actionnaires, à savoir majoritairement les Etats eux-mêmes.

En résumé, si la BCE n’avait pas entamé en 2008 une baisse drastique de ses taux directeurs, si Mario Draghi n’avait pas lancé son fameux whatever it takes à l’été 2012 et s’il ne l’avait pas mis en application par la suite, à supposer que la zone euro existe encore, la charge d’intérêt sur la dette publique serait bien plus importante (et probablement intenable pour certains pays) et les contrôles budgétaires n’en seraient que plus douloureux.

Attention danger !

Cette politique est donc importante à court terme pour garder les finances publiques sous contrôle dans un contexte économique toujours très fragile, et marqué par une succession inédite de chocs négatifs (le dernier en date étant l’annonce du Brexit). Elle comporte pourtant un risque à plus long terme : celui de ne plus pouvoir se passer de taux faibles.

En effet, du point de vue des finances publiques, la charge d’intérêt intervient comme un signal d’alarme que la dette prend des proportions démesurées. La diminution artificielle de la charge de la dette peut dès lors entraîner un gonflement incontrôlé de l’endettement, au point de se retrouver un jour dans une situation où toute augmentation des taux d’intérêt devient intenable pour les finances publiques.

C’est notamment la situation dans laquelle se trouve le Japon, dans la mesure où le budget public ne pourrait supporter une hausse drastique de la charge d’intérêt d’une dette qui dépasse les 230 % du PIB. En d’autres mots, en pratiquant une politique visant à abaisser artificiellement les taux d’intérêt, la banque centrale risque d’être contrainte, à l’avenir, de maintenir une telle politique dans la mesure où les gouvernements se seront ” habitués ” à vivre avec une charge d’intérêt très faible. Mais y a-t-il actuellement une alternative ? La réponse est simple : non !

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