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La politique monétaire à bout de souffle ?

Il y a deux semaines se tenait le séminaire annuel de la Banque centrale européenne (BCE) à Sintra, au Portugal. Cet événement est un peu à l’image de la rencontre qui s’est déroulée à Jackson Hole, en fin d’été aux Etats-Unis : un ensemble de rencontres formelles et informelles entre les principaux banquiers centraux et un panel d’invités privilégiés.

Il ne s’agit néanmoins pas d’une rencontre secrète : tous les discours et papiers académiques présentés lors du séminaire sont disponibles publiquement sur le site de la BCE.

Ce type de séminaire est souvent utilisé par les uns et les autres pour faire passer des idées et des messages importants, notamment aux marchés financiers, que ce soit lors des présentations elles-mêmes, ou dans les interviews qui se tiennent en marge de l’événement. A ce titre, les commentaires de Larry Summers, ancien c hief economist de la Banque mondiale et ancien secrétaire au Trésor américain (le ministre des Finances) de Bill Clinton, méritent de s’y attarder. Il met en effet sur la table une question cruciale : comment luttera-t-on contre le prochain retournement du cycle économique ?

La banque centrale américaine (Fed) a entamé son cycle de hausse des taux depuis plus de deux ans, mais son taux directeur devrait à peine dépasser 2 % en fin de cette année. De son côté, la BCE prévoit au mieux une première hausse de taux au dernier trimestre de 2019. Sachant qu’historiquement, une banque centrale combat une récession en abaissant son taux directeur de 300 à 500 points de base (3 % à 5%), il est fort probable que la Fed ne dispose pas de cette marge lorsqu’il faudra commencer à agir. Dans le cas de la BCE, c’est même certain.

Il est fort probable que la lutte contre la prochaine récession doive passer par le seul autre levier disponible : la politique budgétaire.

Partant donc de l’idée que les outils monétaires utilisés ces 10 dernières années seront insuffisants, que faire lorsque le cycle se retournera ? Sur le plan monétaire toujours, il est vrai que les banques centrales ont d’autres armes à leur disposition. Mais elles sont plus radicales et donc aussi plus risquées, puisqu’elles impliquent de diminuer la qualité de ce que la banque centrale détient en contrepartie d’une émission monétaire encore plus importante. Dans un cas extrême, ce ” collatéral ” peut même être factice. Concrètement, imaginez par exemple que les banques centrales transforment les dettes d’Etat qu’elles détiennent en une créance perpétuelle sans intérêt. Les dettes publiques seraient en partie effacées, ce qui permettrait aux gouvernements de se réendetter pour relancer l’économie et l’inflation. Cette mesure, souvent avancée par les partis populistes, peut théoriquement fonctionner. Mais gare alors à la perte de confiance que le grand public peut avoir envers la monnaie qu’il détient, s’il considère que cette monnaie ne repose sur rien.

Si l’on veut éviter d’en arriver à de telles mesures, il est fort probable que la lutte contre la prochaine récession doive passer par le seul autre levier disponible : la politique budgétaire. A ce titre, l’assainissement des finances publiques et les mesures structurelles qui ont été prises un peu partout en zone euro prennent tout leur sens. Théoriquement au moins, les déficits réduits donnent un peu de latitude pour des plans de relance. Mais il faut l’avouer, la marge de manoeuvre est très limitée, en raison des taux d’endettement fort élevés. A moins évidemment qu’on ne le réduise, comme indiqué plus haut, par un effacement pur et simple. Ou bien passera-t-on par l’augmentation des prélèvements, principalement sur le patrimoine des ménages et des entreprises, sous prétexte que le creusement des inégalités est à l’origine de la faible croissance.

Clairement, ces mesures monétaires ou budgétaires relèveraient de l’exploration de terres inconnues, car en évaluer aujourd’hui toutes les conséquences est très difficile. La réflexion initiée par Larry Summers, qui se contentait d’évaluer la situation du point de vue de la stricte politique monétaire, mérite vraiment d’être creusée, car on sous-estime à quel point cette politique a permis aux économies de se relancer. Or, au prochain ralentissement économique, il faudra trouver d’autres solutions. Mieux vaut s’y préparer rapidement.

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