“La lutte contre la fraude est un échec !”

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Entre 26 milliards et 30 milliards d’euros : voilà ce que représenterait la fraude en Belgique, selon l’avocat Michel Maus, éphémère collaborateur au cabinet du secrétaire d’Etat John Crombez. Une “activité” loin d’être l’apanage du patron fourbe et voleur… Interview.

Trends-Tendances a consacré, à la lutte contre la fraude fiscale, le dossier de couverture de son numéro daté du 1er mars 2012.

Entre 26 milliards et 30 milliards d’euros : voilà ce que représenterait la fraude en Belgique, selon Michel Maus, avocat, professeur de droit fiscal à la VUB et éphémère collaborateur au cabinet de John Crombez, secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude.

Dans son livre Iedereen doet het qui vient de sortir de presse (aux éditions Borgerhoff & Lamberigts), il a mené sa propre étude auprès de 1.000 personnes en Flandre et à Bruxelles. Loin de l’image d’une fraude fiscale qui serait uniquement l’apanage du patron fourbe et voleur, il ressort de celle-ci que 20 % des personnes interrogées travaillent au noir, 40 % ont dissimulé des avoirs au fisc lors d’une succession, 37 % avouent avoir triché lors de la vente ou l’achat d’un immeuble, 67 % disent acheter régulièrement des biens ou recourir à des services sans facture et 83 % connaissent des personnes qui travaillent actuellement au noir.

Selon vos calculs, la fraude s’élèverait en Belgique à 26 milliards d’euros. D’aucuns jugent ce chiffre exagéré…

Diverses études circulent sur l’étendue de la fraude en Belgique. Personnellement, je pense que les chiffres du professeur Schneider sont proches de la réalité, à savoir une économie au noir équivalente à 17,9 % du PIB (soit 61 milliards d’euros). Chacun voit bien ce qui se passe dans son entourage. Compte tenu d’un taux d’imposition globale de 43,2 %, cela représente en théorie un manque à gagner pour l’Etat de 26 milliards d’euros. Mais cette perte est très difficile à évaluer avec précision dans la mesure où il faut tenir compte des effets retour. Une personne qui a gagné de l’argent en noir doit en effet un jour le réinjecter dans l’économie officielle. Du reste, il ne faut pas se focaliser sur ces effets retour. Ils sont par définition source d’injustice fiscale.

Comment se fait-il que l’administration laisse passer chaque année 26 milliards d’euros malgré ses 27.000 fonctionnaires ?

Si l’administration est si peu efficace, c’est parce qu’elle souffre d’un manque d’investissement dans l’informatisation. C’est problématique. Selon un rapport de la Cour des comptes, à peine 60 % des informations fiscales transmises par les administrations étrangères arrivent auprès du contrôleur local. Comment être efficace quand l’information ne circule pas ? Un autre problème est celui du recrutement et de la formation. On ne tient pas compte des départs à la pension des fonctionnaires. Ces employés expérimentés sont remplacés par des personnes peu formées. A cela s’ajoute enfin une fiscalité devenue de plus en plus complexe. Celle-ci explique aussi la moindre efficacité des contrôles.

A vous entendre, on ne lutte absolument pas de manière efficace contre la fraude…

C’est clair : on met trop l’accent sur les symptômes de la fraude et pas sur ses causes. Celle-ci trouve d’abord son origine dans une forte pression fiscale, sa répartition inéquitable, un manque d’uniformisation des contrôles fiscaux (certains contribuables ne sont jamais contrôlés) et une mauvaise collaboration entre le fisc et le parquet. Tout ceci conduit à d’énormes déséquilibres et à un manque de citoyenneté fiscale.

Que préconisez-vous pour faire mieux ?

Il faut moderniser la structure administrative, l’infrastructure informatique et la législation fiscale. Ceci doit, selon moi, être couplé à une nouvelle procédure de régularisation. L’Etat doit oser reconnaître que la lutte contre la fraude a jusqu’ici été un échec. Cette situation peut seulement être corrigée via une nouvelle grande opération de régularisation. Il faut aussi réduire la pression fiscale, avoir plus de transparence et de clarté dans les contrôles. A cet égard, il faut aller vers davantage de consensus. Si des problèmes se posent dans un secteur, le fisc doit entamer des discussions avec celui-ci pour les résoudre, plutôt que de faire des exemples et ruiner fiscalement certains contribuables récalcitrants.

N’est-on pas en train de verser dans la chasse aux sorcières fiscales ?

Tout le monde, je pense, est convaincu que le cadre juridique de la lutte contre la fraude doit être réformé et modernisé. Qu’il faille prendre des mesures en ce sens me semble logique. Une bonne politique de lutte contre la fraude repose d’abord sur des lois claires. Mais l’administration devra clairement indiquer au contribuable comment elle compte concrètement appliquer la nouvelle disposition anti-abus. La question est de savoir si le gouvernement a compris ce message.

Propos recueillis par Sébastien Buron

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