“La Grèce et l’Irlande ne rembourseront pas la totalité de leur dette !”

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Nos confrères de L’Expansion.com ont reçu Jacques Delpla, membre du Conseil d’analyse économique, et Jean-Pierre Petit, président des Cahiers verts de l’économie, pour débattre de la crise de la dette en Europe. Pour ces deux économistes, la restructuration de la dette des pays fragiles de la zone euro est inéluctable.

Pourquoi la zone euro est-elle aujourd’hui dans la tourmente des marchés financiers ?

Jacques Delpa. Les pays méditerranéens – Grèce, Portugal, Espagne – ainsi que l’Irlande ont eu accès, avec l’euro, à un vaste marché international de capitaux à prix réduits. Ils ont levé de la dette massivement pour faire des dépenses publiques, de la consommation privée et de l’immobilier. Sans pour autant augmenter leur potentiel de croissance. Cette bulle de crédit a conduit à une hausse démesurée des salaires. On en vient à la cause première des problèmes de ces pays : ils ne sont pas compétitifs, ils sont trop chers. Leurs fondamentaux économiques sont mauvais, leur croissance potentielle est sous perspective négative dans les prochaines années. Or, ils ont une dette colossale, publique pour la Grèce et le Portugal, privée en Irlande et en Espagne.

Jean-Pierre Petit. L’euro lui-même a sa part de responsabilité dans cette crise. La monnaie unique a entraîné une baisse indifférenciée selon les pays des taux d’intérêt sur le marché obligataires. La Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne ont ainsi pu financer à moindre coût et sans pleurs des déficits publics et des bulles immobilières. Par ailleurs, les règles de la zone euro se concentrent exclusivement sur les critères financiers du déficit et de la dette, alors que ce qui est important, ce sont les grands déséquilibres macroéconomiques : bulles de dette privée, déséquilibres de la balance commerciales, bulles immobilières. La preuve : en 2007, l’Espagne et l’Irlande étaient cités comme des pays vertueux du point de vue des finances publiques, alors même que leur croissance reposait sur des déséquilibres macroéconomiques majeurs. Pourquoi la zone est-elle aujourd’hui dans la tourmente ? Parce qu’au moment de la crise grecque, ses dirigeants se sont repliés sur la logique comptable du pacte de stabilité : la priorité est au retour à un déficit à 3 % du PIB. Un objectif totalement irréalisable pour un grand nombre de pays sur le court terme. Les Européens ont donc donné aux marchés les armes pour se faire battre.

Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est-il adapté à la crise ? Ne faut-il pas en augmenter le volume ?

Jacques Delpa. Les 440 milliards d’euros, 750 milliards si l’on ajoute les fonds du FMI et de l’Union européenne, suffisent à absorber la dette de la Grèce, de l’Irlande voire du Portugal, mais pas celle de l’Espagne. Et encore moins de l’Italie qui pourrait y venir.

Jean-Pierre Petit. De toute façon, ce sont les marchés qui décideront. Ils testent désormais de façon quasi permanente la crédibilité de tous les gouvernements en matière de réduction des déficits. Le problème est que cette crédibilité repose sur de critères subjectifs, des variables non maitrisables que sont les phénomènes sociaux et politiques. Un mouvement social qui paralyse le pays ou un gouvernement qui perd sa majorité peuvent incendier les marchés.

Jacques Delpa. Le problème n’est pas tant sur la forme mais sur le fonds. Les Européens traitent la crise comme une crise de liquidités : les marchés ne veulent pas prêter à un pays, le FESF s’y substitue. Or, c’est une crise de solvabilité. Un pays comme la Grèce, dont la dette grimpera à 160 % du PIB en 2012 et où il faut baisser les coûts et les salaires, ne peut rembourser ses dettes. Le vrai sujet, c’est trop de dettes. D’où la nécessité de les restructurer.

Selon vous, la restructuration de la dette des pays périphériques de la zone euro est inéluctable ?

Jacques Delpa. Dans toute l’histoire économique, les pays avec une dette colossale l’ont apurée par la dévaluation et l’inflation. Or, ce n’est pas possible en zone euro. Les pays périphériques de la zone euro sont par ailleurs contraints, désormais, de baisser leurs coûts et leurs salaires. Or, rembourser une dette en faisant de la déflation, cela ne marche pas. Aujourd’hui, pour ces pays, la seule possibilité est la restructuration. Cela veut dire que les créanciers des dettes grecque, irlandaise, portugaise et autres, perdront une partie de leur argent. De toute façon, les marchés savent déjà que la Grèce et l’Irlande ne rembourseront pas la totalité de leur dette.

Jean-Pierre Petit. L’hypothèse d’une restructuration de la dette est déjà largement intégrée par les marchés. Ils ne se font plus d’illusion depuis longtemps pour la Grèce et sont en train de se faire une raison pour l’Irlande et le Portugal. La question aujourd’hui n’est donc plus “si” mais “comment”. Il faut un processus de restructuration de la dette bien négocié avec les créanciers et les organisations internationales, comme pour l’Uruguay en 2003. A l’inverse, un processus sous contrainte et pression des marchés, comme pour l’Argentine en 2001, serait catastrophique. Fin novembre, les dirigeants européens ont d’ailleurs commencé à préparer le terrain : à compter de 2013, les créanciers privés qui achèteront de la dette publique prendront le risque de perdre une partie de leurs créances en cas de défaut de pays du pays.

Ne vaudrait-il pas mieux, pour ces pays, sortir de la zone euro afin de dévaluer leur monnaie et de restaurer leur compétitivité ?

Jacques Delpa. Pas aujourd’hui ; demain, peut-être. L’intérêt d’un pays périphérique à être dans la zone euro, c’est d’avoir accès aux marchés de capitaux liquides à des taux d’intérêt relativement bas. Ils bénéficient de l’intégration financière européenne. La crise grecque y a mis fin. Aujourd’hui, la Grèce, grâce au prêt de l’UE et du FMI, n’a plus besoin d’aller sur les marchés financiers. Mais si, en 2013, alors qu’elle aura baissé ses coûts, engagé des réformes structurelles et sacrifié sa croissance, elle ne retrouve pas de crédit aux yeux des marchés financiers, elle n’aura plus d’intérêt à rester dans la zone euro.

Jean-Pierre Petit. Quel serait l’avantage de quitter la zone euro pour ces pays ? Restaurer leur compétitivité prix à l’exportation, grâce à la dévaluation de leur monnaie. Néanmoins, leur commerce extérieur est faible et, en quittant la zone euro, ils ne bénéficieraient plus des avantages du marché unique. Surtout, cette décision entraînerait une fuite massive des capitaux du pays, un bank run qui conduirait à l’effondrement de leur système bancaire et, compte tenu de l’intégration des banques en Europe, de tous les systèmes bancaires. Cette hypothèse comporte un risque systémique majeur.

La restructuration des dettes mettrait-elle fin à la crise de la zone euro ?

Jacques Delpa. Non, la restructuration de la dette des pays fragiles ne restaurera pas totalement la confiance des marchés et des investisseurs dans la dette publique européenne. Voilà pourquoi je propose, avec l’économiste allemand Jakob von Weizsäcker, de fédéraliser la meilleure partie des dettes européennes. En clair : chaque pays diviserait sa dette publique en deux parties, une dette senior, la plus sûre, qui serait remboursée dans tous les cas et qui serait constituée des premiers 60 % de PIB, et une dette junior, au-delà des 60 % du PIB, qui concentrerait le risque de défaut de chaque pays. La partie senior obtiendrait la meilleure notation possible car elle serait garantie par la présence de dette allemande, française, etc. Ainsi, des pays comme le Portugal et la Grèce continueraient d’avoir accès aux marchés à des taux réduits. En contrepartie, ils devraient bien sûr apporter des garanties en termes de déficit et de fondamentaux économiques.

Jean-Pierre Petit. C’est une bonne idée, je pense, mais irréaliste. Cela implique de faire un pas de géant en matière de gouvernance politique et économique européenne. Or, les dirigeants européens n’avancent qu’à petits pas, sous la pression des marchés financiers. Mais dès que la pression retombe, les grandes ambitions de gouvernance économiques sont reportées aux calendes grecques.

Propos recueillis par Emilie Lévêque, L’Expansion.com

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