La Fed fait son come back

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Après avoir voulu réduire les pouvoirs de la banque centrale américaine à la portion congrue, le nouveau projet de réforme financière déposé lundi au Sénat propose au contraire d’étendre ses fonctions. Décryptage.

Le projet de réforme de la régulation financière dévoilé lundi au Sénat contenait peu de surprises. Les grandes lignes du texte présenté par Christopher Dodd, président de la Commission bancaire du Sénat, étaient connues depuis plusieurs semaines. Un retournement de situation, toutefois, attire l’attention : l’expansion du rôle de la Fed, qui deviendrait le principal régulateur financier des Etats-Unis. Il y a quelques mois à peine, Christopher Dodd qualifiait pourtant le bilan de la banque centrale américaine d’“échec épouvantable”.

Un temps discréditée…

Au lendemain de la crise, républicains et démocrates étaient unis pour critiquer la responsabilité de la Fed dans la crise : de fait, elle a maintenu entre 2001 et 2004 des taux directeurs excessivement bas alimentant une bulle immobilière qu’elle a ensuite été incapable d’identifier. Elle n’ a pas été plus clairevoyante face aux risques systémiques liés aux instruments financiers complexes qui servaient à titriser les prêts subprime. Alors que la protection des consommateurs était déjà de son ressort, elle n’a pas non plus su prévenir les clients sur les dangers de ces prêts… Enfin sa gestion de la crise a aussi été critiquée: accusée par les uns d’avoir été trop généreuse avec les grosses banques en les sauvant à coups de milliards de dollars, la Fed s’est vue reprocher d’avoir commis l’erreur dévastatrice de laisser Lehman Brothers s’effondrer le 15 septembre 2008…

Avec un tel bilan, difficile de lui confier la tâche de gérer la prochaine crise… Ainsi, dans le premier projet du sénateur Dodd, présenté en novembre, il s’agissait de dépouiller la Fed de toutes ses attributions en matière de régulation afin que celle-ci se “concentre” sur la conduite de la politique monétaire. A l’époque, Christopher Dodd, connu pour être proche des milieux financiers, se refaisait une virginité en s’en prenant à la banque centrale, cible peu populaire et facile, à un an des élections de mi-mandat.

Mais depuis le mois de novembre, bien des choses ont changé : le président de la commission bancaire du Sénat a annoncé qu’il quittera la vie politique à l’issue de son mandat et qu’il ne cherchera pas à se faire réélire en novembre. Plus besoin donc, d’amadouer l’opinion publique ou les lobbies avec une réforme punitive de la banque centrale.

… la Fed réhabilitée

Résultat, non seulement la Fed conserve dans ce projet de loi la plupart de ses missions en matière de régulation, mais elle en acquiert de nouvelles : elle serait chargée de la supervision des banques de plus de 50 milliards de dollars d’actifs, mais aussi des institutions financières non-bancaires dépassant ce seuil. Un gros assureur comme AIG, par exemple, n’échapperait plus à la surveillance de la Fed. Surtout, elle aurait le pouvoir, en dernier recours, de démanteler les grandes institutions qui menaceraient la stabilité du système en cas de problème.

La banque centrale abriterait également la nouvelle agence de protection financière du consommateur qui “aura pour seule mission de protéger les consommateurs américains de pratiques et produits financiers injustes, trompeurs et abusifs”.

Une victoire pour Bernanke

La volte-face du sénateur du Connecticut marque une victoire pour le président de la Fed Ben Bernanke et l’ensemble des dirigeants de la banque centrale, qui n’ont manqué aucune occasion ces mois-ci de répéter à quel point il serait dangereux, pour ne pas dire suicidaire, de priver la Fed de son rôle en matière de régulation bancaire. Tous faisaient valoir que le contrôle de la Fed sur les banques était essentiel à la conduite de la politique monétaire en ce qu’elle donne à la banque centrale une masse d’informations et une bonne vision d’ensemble de l’Etat du système bancaire et financier, et de l’économie en général. Le département du Trésor, dont le secrétaire, Timothy Geithner, avait un haut poste de direction à la banque centrale avant d’entrer au gouvernement de Barack Obama, a défendu plusieurs fois la cause de M. Bernanke.

Une indépendance renforcée

Certains observateurs plaident même pour un rôle encore plus important pour la banque centrale, qui a le mérite d’être relativement indépendante du pouvoir économique de Wall Street. D’autant plus que le projet de loi de M. Dodd prévoit un changement institutionnel de taille, en bannissant la présence des représentants de grandes banques en son sein : “Aucune société, filiale ou succursale d’une société qui est supervisée par la Réserve fédérale ne sera autorisée à voter pour élire les directeurs des Banques de réserve fédérale”, les branches régionales de la Fed, a indiqué la Commission bancaire. Les anciens ou actuels dirigeants de grandes banques ne pourront plus passer comme dirigeants de ces branches régionales, comme cela se fait régulièrement. Par ailleurs, le plus important d’entre eux, “le président de la Banque de réserve fédérale de New York sera nommé par le président des Etats-Unis, conseillé par et avec l’approbation du Sénat”.

Par ailleurs, l’idée d’imposer à la banque centrale un audit de ses réunions de politique monétaire n’apparaît pas dans le texte de M. Dodd. Or ce projet, qui avait été soutenu par un certain nombre de sénateurs, aurait scellé la fin de l’indépendance de la banque centrale.

Trends.be, L’Expansion.com

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