La crise plombe-t-elle le moral de la génération Y ?

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Combative, plaçant l’excellence au-dessus de tout mais ne souhaitant pas travailler les week-ends, la génération Y fascine les membres de la génération X. Seulement, ces “jeunes” sont touchés de plein fouet par la crise économique. Leur diplôme ne leur donne pas forcément accès à un emploi. Alors comment voient-ils leur avenir ?

Pour la génération Y, le marché de l’emploi n’a jamais été un ciel bleu sans nuages mais après presque quatre ans de crise économique, le réveil est brutal. Des employés qui pouvaient se permettre d’être exigeants et de changer fréquemment d’entreprise doivent composer avec les chiffres du chômage. Leur vision en a-t-elle été affectée ?

Un cas pratique Société cotée à la Bourse de Londres, SThree est spécialisée dans le placement de personnel. Sous différentes marques, elle recrute des ingénieurs dans l’informatique, les banques, le monde des assurances, l’industrie pharmaceutique et la finance. Elle s’assure aujourd’hui une représentation mondiale grâce à 55 agences présentes dans 14 pays. En 1999, la société britannique ouvre une succursale à Bruxelles et développe ses activités dans le Benelux. L’entreprise croît mais, en 2008, la crise la touche de plein fouet avec une baisse de son chiffre d’affaires d’environ 30 %. Un an plus tard, le turnover de son personnel atteint lui aussi les 35 %, ce qui inquiète fortement les dirigeants, notamment Kurt Scheurs. “Notre turnover était bien trop important. En interne, nous employons majoritairement des personnes issues de la génération Y. Exigeante sur ses conditions de travail, elle n’hésite pas à changer d’employeur si ses attentes ne sont pas rencontrées. Nous devions donc réagir.”

SThree mène alors une enquête auprès de son personnel et se remet en question. Les dirigeants se rendent compte que leur communication est mauvaise, que la direction n’écoute pas assez les demandes de ses employés, que les valeurs ne sont pas suffisamment développées. A la suite de cette première remise en question, SThree Benelux change. “Aujourd’hui, nous écoutons plus nos employés. Ils veulent faire du sport le midi ? Nous leur en offrons la possibilité. Nous faisons venir le pressing au travail le vendredi et ils récupèrent leur costume le lundi, un système de garde d’enfants est mis en place. Aujourd’hui, nous avons un turnover de 12 %, ce qui est nettement plus correct. Cette remise en question a donc été bénéfique pour l’entreprise.”

Une étude pour comprendre le regard de la génération Y sur la crise

A partir de ce travail, SThree Benelux a voulu en savoir plus sur le regard des 25-34 ans sur la crise. La société a donc interrogé 400 personnes, toutes diplômées de master, issues soit de son personnel soit des travailleurs qu’elle a placés. “La génération Y est très exigeante, stimulée par la carrière et l’ambition, l’accomplissement de soi, le respect et un bon équilibre entre travail et vie privée, précise Kurt Scheurs. Aujourd’hui, on s’aperçoit que leur vision d’eux-mêmes n’a quasi pas changé. Les personnes interrogées sont toujours ambitieuses, sûres d’elles, multi-tâches, flexibles. Elles attendent beaucoup de la communication, du feed-back, de la formation, du respect, du travail en équipe, de la stratégie et de l’humour. Aujourd’hui, une personne sur trois estime que son entreprise n’est pas à la hauteur en matière de communication. Près de deux tiers des personnes interrogées pensent que les valeurs de l’entreprise doivent largement correspondre à leurs propres valeurs même si ce n’est vrai que dans un cas sur deux.”

Par contre, la crise a tout de même affecté leur vision de l’avenir. La génération Y témoigne d’une baisse de confiance. Aujourd’hui, seuls 36 % ont confiance dans le marché du travail et 26 % croient dans les capacités du gouvernement à remettre l’économie sur les rails. Quant à l’Union européenne, seule une personne sur cinq pense qu’elle peut sortir de la crise.

La génération jadis stimulée par un monde meilleur et durable est aujourd’hui essentiellement préoccupée par la crise économique (76 %), la sécurité sociale (67 %) et le chômage (66 %). “Avant, les jeunes étaient surtout intéressés par l’environnement, la sécurité et la religion, précise Kurt Scheurs. On se rend compte que cette génération devient de plus en plus conservatrice. C’est notamment très visible lorsqu’on leur parle des demandeurs d’emploi. Près de 86 % souhaitent que les chômeurs de longue durée soient obligés de reprendre le travail et que les allocations soient limitées dans le temps. Ils sont très à droite sur l’échiquier politique. Ils se disent que si eux font l’effort de travailler, les autres doivent également tout faire pour trouver du travail.”

Une mobilité réduite

Environ 83 % des personnes interrogées pour l’étude sont satisfaites de leur emploi. Par contre, seulement un tiers est en accord avec les actions du gouvernement. Elles sont aussi extrêmement pessimistes. Une sur deux n’espère pas une reprise de l’économie avant 2015. Du coup, elles restent dans leur position actuelle. Quarante-deux pour cent souhaiteraient changer plus souvent de job mais elles ne le font pas de peur de l’instabilité. “La génération Y vieillit aussi, commente le directeur de SThree. Elle a des enfants, achète un bien immobilier et se rapproche plus des valeurs de la génération précédente. Elle a besoin d’une stabilité plus importante et ne pense donc pas à changer d’employeur endéans les cinq ans. Mais cela ne veut pas dire que l’entreprise ne doit plus être attentive à ses demandes. Si elle est trop éloignée de son personnel, ce dernier n’hésitera pas à partir. Nous l’avons constaté chez nous.”

Ce changement dans la mobilité est certainement la conséquence la plus visible de la crise économique. Ces employés qui étaient prêts à prendre des risques pour trouver mieux, se sédentarisent. Ils ne sont plus que 14 % à trouver cela sain de changer d’employeur tous les deux-trois ans. Autre fait remarquable, aucun ne prend conscience du problème que représente le vieillissement du personnel d’une entreprise. Ils trouvent cela logique de travailler plus longtemps. Devoir cotiser pendant 42 ans ne leur fait pas peur. Près d’un interrogé sur deux trouve même qu’il n’y a pas assez de travailleurs âgés dans leur entreprise.

Continuer à investir dans la jeune génération

Au final, l’étude montre que les principes de la génération Y n’ont pas changé avec la crise, même si elle se montre plus prudente qu’il y a quatre ans. Elle souhaite toujours que son entreprise mise sur la communication, le respect, la formation, l’esprit d’équipe. “Malgré un contexte économique difficile, les managers doivent continuer à miser sur la jeune génération tout en se remettant en question, conclut Kurt Scheurs. En concédant certes certains investissements, mais qui permettront de fidéliser le personnel.” Un atout non négligeable, même par les temps qui courent.

VANESSA LHUILLIER

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