La cour suprême américaine ouvre un boulevard aux lobbies

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La Cour Suprême américaine a décidé de lever toutes les limites au financement des campagnes électorales par les entreprises. “Un coup à la démocratie”, selon Barack Obama.

Ce sont 20 ans de jurisprudence qui ont été renversés jeudi dernier. Par cinq voix contre quatre, la plus haute juridiction des Etats-Unis a levé la règle interdisant aux entreprises privées de puiser directement dans leur trésorerie pour financer des spots électoraux en faveur ou en défaveur d’un candidat. Elle l’a fait au nom du premier amendement de la Constitution : la sacro-sainte liberté d’expression. Alors qu’Obama déclarait le même jour sa volonté de réduire la taille des banques, la décision de la Cour Suprême pourrait bien lui rendre la tâche encore plus difficile.

Les réformes d’Obama risquent-t-elles d’être enterrées ?
L’effet de la décision des sages se fera sentir dès les prochaines élections législatives, en novembre 2010. Les compagnies pétrolières, assurances et banques qui s’estiment menacées par les projets de réforme d’Obama auront en effet tout le loisir de “dépenser des millions en publicité pour persuader les élus de voter dans le sens qu’ils souhaitent, ou de punir ceux qui ne le font pas”, s’inquiète le président.”Cet arrêt porte un coup à notre démocratie”, s’est-il indigné. “Cela veut dire que tout responsable qui a le courage de s’opposer aux groupes d’intérêt et de défendre les Américains peut se retrouver attaqué lorsque vient l’élection. Même les entreprises étrangères peuvent désormais participer”.

L’impact de ce jugement doit toutefois être relativisé. Cela fait longtemps que les entreprises financent largement la vie politique. Simplement, depuis la loi de 1971, les sociétés privées ne peuvent débloquer des fonds qu’au moyen d’un “comité d’action politique” (PAC), une association spécialement créée à cette fin, et qui est alimentée par les dirigeants et actionnaires.

La porte ouverte à la corruption ?
Dans un argumentaire presque deux fois plus long que celui de la majorité, les quatre juges qui ont voté contre affirment que la décision va à l’encontre du “bon sens du peuple américain (…) qui s’est battu contre la possibilité de corruption”. Pour autant, “il n’existe aucune preuve permettant d’affirmer que des règles de financement plus strictes vont de pair avec moins de corruption et plus de confiance dans le gouvernement”, rappelle Kenneth Mayer, professeur de sciences politiques à l’université de Wisconsin Madison, interrogé par le New York Times. Au sein même du pays, la comparaison entre les états faiblement régulés comme la Virginie et les états plus encadrés comme le Wisconsin ne révèle pas d’écart significatif en terme de niveau de corruption.

Une menace pour l’économie ?
Que la modification de la loi électorale soit bénéfique aux grands groupes ne signifie pas qu’elle le soit pour l’ensemble de l’économie. Bien au contraire. Mark Roe, professeur de droit à Harvard, affirme dans une tribune du Financial Times que le nouveau dispositif risque de “scléroser” l’économie, puisqu’il permet aux grandes entreprises déjà bien installées “de renforcer leur mainmise sur un marché, aux dépens des nouveaux entrants”, moteurs d’innovation. Elles pourront en effet consacrer de vastes sommes au lobbying en faveur de barrières législatives qui pénaliseront surtout les jeunes start-up. Trop fragiles et dépourvues d’expérience dans le domaine du lobbying, ces petites entreprises seraient évincées ou absorbées et la concurrence s’en trouverait réduite. Dave Johnson abonde dans le même sens dans le Huffington Post : pourquoi “investir dans la recherche, la production et le travail, quand la concurrence entre entreprises se joue en réalité sur les avantages législatifs ou fiscaux, les contrats et les subventions que l’on peut obtenir auprès de Washington”.

Tous les économistes ne partagent pas ce pronostic et affirment même que la décision est positive pour les petites entreprises : seules les plus grosses entreprises avaient les moyens, selon Daniel Indiviglio, journaliste du Atlantic, de mettre en place les PAC. Désormais, avec la suppression de cet intermédiaire coûteux, même les petites entreprises pourront donner aux candidats.

Un cadeau aux Républicains ?
Certes, le clivage au sein de la Cour apparaît clairement: les cinq juges conservateurs ont voté pour, les quatre plus à gauche, contre. De plus, dans le contexte spécifique des réformes voulues par Obama et soutenues par les représentants démocrates, il est probable que de nombreuses banques et assurances financent plutôt les candidats Républicains.

Mais selon Daniel Indiviglio, la décision ne devrait pas vraiment favoriser un parti plus que l’autre. De fait, les lobbies ont pris l’habitude d’arroser, “par sécurité, les deux partis, voire de financer celui qui est au pouvoir ou qui a le plus de chance d’accéder au pouvoir”. Pas de favoritisme républicain a priori. D’ailleurs, de nombreuses entreprises, par exemple dans le secteur de la technologie verte, ont tout intérêt à soutenir les projets des démocrates.

Et maintenant?
Obama serait d’ores et déjà en train de préparer une contre-attaque. Il pourrait tenter de faire passer une loi rendant obligatoire l’approbation préalable des actionnaires avant tout versement décidé par la direction. Le gouvernement pourrait également exiger que tout spot électoral fasse mention explicite du financeur.

Laura Raim , L’Expansion.com

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