La charge de The Economist contre la France est-elle caricaturale?

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The Economist consacre son dossier de couverture à la France, qu’il qualifie de “bombe au coeur de l’Europe”. Une attaque à charge sans nuance. Décryptage.

La France serait-elle le punching-ball préféré de The Economist? Après avoir dénoncé un supposé “déni” français durant la campagne présidentielle, l’influent et libéral hebdomadaire britannique du monde des affaires, estime en couverture de son numéro du 17 novembre que la France est une “bombe à retardement au coeur de l’Europe“. Selon le journal, ce n’est pas la Grèce, ni l’Espagne ou l’Italie, le plus grand danger pour la monnaie unique européenne, mais la France. Et “la crise pourrait frapper dès l’an prochain”.

Les réactions n’ont pas tardé en France. Jeudi soir, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a dénoncé “l’outrance” du journal. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a qualifié ce vendredi matin The Economist de “Charlie hebdo de la City”. Même la patronne des patrons, Laurence Parisot, a répliqué, jugeant le titre et la Une de l’hebdomadaire “tout à fait exagérés”. L’orgueil du coq gaulois a été piqué au vif. Mais sur le fond, les critiques de The Economist sont-elles justifiées?

Les griefs cités par l’hebdomadaire sont nombreux: un décrochage compétitif depuis dix ans, une économie “stagnante”, un poids “démesuré” de l’Etat, un tissu de PME trop faible, une pression fiscale parmi les plus fortes sur les salaires, un taux de chômage élevé, un déficit commercial abyssal, une dette publique qui dépasse les 90% et un déficit public parmi les plus élevés d’Europe. Bref, rien qui n’ait déjà été dit, surtout après les débats ayant entouré la publication du rapport Gallois. L’hebdomadaire britannique dresse le même constat que de nombreux économistes et dirigeants politiques français. La plupart de ces affirmations sont d’ailleurs exactes.

Sur la perte de compétitivité, tout d’abord. Depuis dix ans, la France n’a pas eu un solde commercial positif et sa part de marché dans le commerce mondial est passée de 6,3% en 1990 à 3,3% en 2011. Sur le niveau élevé des dépenses publiques, ensuite: 56% du PIB en 2011, contre 49,5% en moyenne dans la zone euro. La dette dépasse effectivement 90% et ne devrait refluer, selon les prévisions du gouvernement, avant 2014. La courbe du chômage est en hausse ininterrompue depuis 17 mois: plus de trois millions de France sont au chômage, soit 10% de la population active, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis 1999. Et oui, la difficulté d’insertion des jeunes sur le marché du travail est une réalité dans l’hexagone.

Le Royaume-Uni n’est pas dans une meilleure situation

Mais ce qui manque à The Economist, c’est la nuance. Si la France a un tel niveau de dépense publique, c’est parce qu’elle dispose d’un système de protection sociale parmi les plus généreux d’Europe, le deuxième après le Danemark, où la dépense publique représente 58% du PIB. Or les dépenses sociales représentent 42% du total des dépenses des administrations publiques, devant celles de l’Etat. Au total, les dépenses de protection sociale (publiques et privées) représentent 32% du PIB en France, contre 26% à 31% dans l’OCDE. Sauf que dans les autres pays riches, la part du privé est beaucoup plus prépondérante. N’en déplaise au journal britannique libéral, la solidarité nationale est un choix de société. C’est celui des Français. C’est pour le financer que les charges qui pèsent sur les salaires sont plus élevées en France qu’ailleurs.

The Economist fait également preuve de mauvaise foi. Il omet de dire que le gouvernement s’est engagé réduire la dépense publique (Etat, sécurité sociale et collectivités) de 12 milliards d’euros par an, soit 60 milliards sur le quinquennat – l’équivalent de 3 points de PIB. Il note que “tous les pays de la zone euro sont en train de faire des réformes structurelles, plus rapidement et de façon plus importante que la France”. Pointant notamment le risque que la France prenne du retard sur l’Espagne et l’Italie. Mais l’hebdomadaire ne dit pas les conséquences des baisses de salaire et coupes drastiques des dépenses dans ces deux pays: une récession prolongée (-2,3% en Italie cette année et -0,5% l’année prochaine selon Bruxelles, -1,4% pour l’Espagne pendant deux ans) et un chômage élevé (10,6% en l’Italie, 25% en Espagne).

Concernant la dette et le déficit publics, la France n’est certes pas le meilleur élève de la zone euro, mais elle n’est pas le pire. La France maintient coûte que coûte son objectif de réduire son déficit à 3% du PIB en 2013. Vu le peu de croissance attendu, cela sera difficile à tenir. Selon la Commission européenne, le déficit sera de 3,5% l’an prochain. Soit trois fois plus que le déficit allemand (0,2%), mais deux fois moins que l’Espagne, l’Irlande et même… le Royaume-Uni (7,2% du PIB)! La dette britannique est d’ailleurs aussi élevée que celle de la France (89% du PIB).

The Economist reconnaît du bout des lèvres que les taux d’intérêt à long terme de la France “ont baissé un peu” et l’explique par une “indulgence” des marchés qui ne va pas durer. Mais l’explication économique de cette indulgence supposée est un peu courte (sauf erreur, le concept ne fait pas partie de la théorie libérale). En revanche, ce qui est incontestable, c’est que les taux d’intérêt de la France ont baissé beaucoup, les taux à moyen terme sont même tombés à leur plus bas historique le jour même de la publication de The Economist !. Cela va même permettre à notre pays d’économiser 2,4 milliards d’euros en 2012.

Une condamnation un peu définitive après six mois de pouvoir

Sans surprise, l’hebdomadaire libéral étrille les hausses d’impôts prévues pour 2013 – des “mesures de gauche”-, notamment la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros, l’alourdissement de la fiscalité sur les grandes entreprises ou encore l’alignement de la taxation du capital sur celle du travail. La réalité, c’est que les plus riches et les grands groupes du CAC 40 paient moins d’impôts en France que les classes moyennes et les PME, en raison des nombreux dispositifs d’optimisation fiscale qu’ils utilisent. En période de disette budgétaire, vouloir faire payer les plus riches, c’est aussi ce que veut faire aux Etats-Unis le président réélu Barack Obama, pour lequel The Economist a appelé à voter.

Enfin, l’hebdomadaire britannique se montre particulièrement virulent à l’encontre de François Hollande. S’il reconnaît que “le gouvernement a semblé devenir plus réaliste sur la gravité de la situation et comprendre la nécessité de réforme”, notamment en faveur de la compétitivité et du coût du travail, le journal estime que “ces récents changements d’orientation sont trop tardifs et insuffisants”. Plus perfide encore, il juge que le président français n’est pas “suffisamment courageux pour imposer des réformes à l’encontre d’une opposition généralisée”. Son parti – le PS – demeure “archaïque et hostile au capitalisme”, explique-t-il.

The Economist avait déjà attaqué, pendant la campagne présidentielle, François Hollande, un “homme plutôt dangereux” dont la victoire était qualifiée de “mauvaise pour son pays et pour l’Europe”. Manifestement, il persiste et signe.

Emilie Lévêque (L’Expansion.com)

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