La Belgique s’enfonce-t-elle dans la récession ?

© ThinkStock

Alors que l’année 2011 avait bien débuté, les mois d’été ont débouché sur un ralentissement net de l’économie. Au revoir la croissance, bonjour la stagnation. Au mieux.

C’est sûr, on a déjà connu courbe plus joyeuse. Après avoir progressé durant les premiers mois de 2011, l’indicateur du sentiment économique (ESI dans sa version anglophone) s’est engagé, dès l’avènement du printemps, sur une pente savonneuse. Concocté par la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, ce “thermomètre européen” est un agrégat d’indices mêlant la confiance des entreprises de différents secteurs, le moral des consommateurs et les chiffres de l’emploi. Au sein de l’Union européenne, la morosité s’installe : en septembre, l’ESI s’est arrêté à 94 points, soit franchement en dessous de sa moyenne à long terme calculée sur 20 ans (100).

Alors oui, il est possible de “rosir” un brin le tableau. La Belgique fait mieux que la moyenne des 27 pays : elle n’est tombée qu’à 98,9. Même si ce résultat est loin du plancher établi en mars 2009 (71,1), en pleine débâcle financière, il n’y a pas matière à fanfaronner. Depuis mars (114,4), le score belge suit la même dégringolade que son grand frère européen. Dans ses enquêtes mensuelles, la Banque nationale de Belgique (BNB) ne dit pas autre chose. Si l’indicateur de confiance des consommateurs belges s’est légèrement redressé en octobre 2011, c’est après avoir dévissé durant quatre séances successives.

De l’autre côté de la barrière, au sein des sociétés, la situation n’est pas plus folichonne. Fort d’un panel de 6.000 chefs d’entreprises, le baromètre de conjoncture a atteint en septembre son niveau le plus bas depuis deux ans, fêtant son sixième recul consécutif. “Le climat s’est déprécié dans toutes les branches d’activités”, assène-t-on à la BNB. “Septembre a été mauvais pour tous les secteurs du commerce”, glisse, en guise d’écho, la fédération Comeos.

“Comme en quarante ?”

Aux côtés des craintes liées aux futures (et inévitables) restrictions budgétaires s’est donc invitée une nouvelle interrogation, pas plus encourageante : “Est-on reparti comme en quarante ?” Autrement dit, l’automne 2011 renouera-t-il avec les affres qui ont frappé l’économie au crépuscule de 2008 ? “Même si la situation est sensible et nécessite des décisions courageuses, nous n’en sommes pas encore là, tempère Geert Vancronenburg, chief economist auprès de la Fédération des entreprises belges (FEB). La situation n’est pas la même qu’il y a trois ans, lorsque le PIB a chuté de 4 % fin 2008.” Didier Paquot, directeur du département “Economie” de l’Union wallonne des entreprises (UWE), remonte, lui, plus loin : “Le scénario de la fin des années 1990 et du début des années 2000, qui avait vu de nombreuses entreprises mettre la clef sous le paillasson, ne devrait pas se répéter.”

Après le gros creux de 2009, le cru 2010 s’est plutôt bien comporté. Même si les PME belges ne se sont pas complètement remises de la crise, comme le souligne la dernière livrée du Baromètre des PME réalisé par Deloitte Fiduciaire sur la base des données livrées par quelque 2.400 sociétés. Enseignement positif : à la sortie de 2010, les PME belges étaient mieux armées pour affronter la crise. Bémol : ni leur chiffre d’affaires ni leur rentabilité n’ont retrouvé leur niveau de 2007. “C’est surtout vrai pour les PME industrielles, précise Dominique Deliège, partner chez Deloitte Fiduciaire. De manière générale, sur trois ans, seulement 41 % des PME ont enregistré une croissance réelle de leur chiffre d’affaires.”

L’année 2011, elle, a fait mine de continuer dans la foulée. “Jusqu’au 30 juin, le sentiment général des PME était relativement bon, poursuit Dominique Deliège. Les résultats devaient êtes similaires à ceux de 2010.” Confirmation du côté de la FEB : “Le premier trimestre a débuté sous le signe de la croissance ; le deuxième était encore pas mal, même si plus en retrait.” Et puis s’est opéré un véritable basculement. “Depuis juin, nous ressentons un ralentissement assez superbe”, confesse Olivier Willocx, le directeur de Beci, la Chambre de commerce et Union des entreprises de Bruxelles. De quoi plomber tout moral enthousiaste. “Les contacts avec nos membres sont sans équivoque, tranche Didier Paquot. Les attentes relatives aux prochains mois sont en net recul. Le pessimisme prévaut pour les six prochains mois, voire même pour tout 2012.”

“Le moral dans les chaussettes”

Que s’est-il passé ? “La croissance économique mondiale est en train de ralentir, avance Geert Vancronenburg. Même dans les pays émergents. La zone euro n’est pas épargnée, ce qui a un impact direct sur les commandes des entreprises.” A l’UWE, on compare la situation à un jeu de dominos. D’autant plus efficace que la Belgique présentait déjà des faiblesses, analyse Olivier Willocx : “Paradoxalement, l’absence de gouvernement a aidé la Belgique : pendant tout un temps, nous n’avons pas pris de mesures potentiellement pénibles mais nécessaires. Nous avons surfé sur la croissance de nos gros voisins, l’Allemagne en tête.”

A ce ralentissement est venu s’ajouter un climat plutôt déprimant. “Tout le monde a le moral dans les chaussettes, regrette Didier Paquot. Les ménages cessent de consommer et les entreprises, d’investir.” Cette incertitude pèse. “La confiance joue un grand rôle, insiste-t-on à la FEB. Il est encore tôt pour tirer des enseignements et la situation varie sans doute d’un domaine d’activité à l’autre. Mais de toute façon, la majorité des secteurs sont touchés par la crise actuelle.” Dans l’ensemble, les entreprises wallonnes résistent plutôt bien, estime Didier Paquot. “Leur situation financière est meilleure qu’avant et pour le moment, je n’ai pas vu de grosse diminution de la masse des crédits octroyés aux entreprises ( lire notre dossier en pages 34 à 37). Les sociétés n’ont pas brutalement cessé d’engager. Mais bien sûr, certains secteurs réagissent mieux que d’autres. La pharmacie et les biotechnologies résistent mieux à la conjoncture que les secteurs plus traditionnels ; prenez le cas d’ArcelorMittal à Liège…”

Prudence, prudence

Tout ceci fait dire à Olivier Willocx que Bruxelles bénéficie d’un avantage non négligeable par rapport à la Flandre et la Wallonie. “Elle a la chance d’être en grande partie désindustrialisée et essentiellement tournée vers les services, qui nécessitent peu de capitaux et autorisent plus de flexibilité, notamment grâce à des collaborateurs indépendants. Une industrie lourde n’a pas le choix : ses outils doivent être amortis sur 10 ou 15 ans et, commandes ou pas, ses ouvriers doivent être payés. Une économie de services, elle, s’adapte en permanence. Une boîte sur deux n’y fait plus le même métier qu’il y a 10 ans ; il y a beaucoup de créativité. Voilà pourquoi le taux de création d’emploi continue à grimper. Ces trois dernières années, Bruxelles a créé plus d’emplois que la Flandre et la Wallonie réunies !”

Quoi qu’il en soit, pour l’heure, pas question de coller l’étiquette “récession” sur la situation belge. Non, la FEB parle plutôt de “stabilisation” et de “croissance nulle”. “Nous allons vers un certain nombre de trimestres caractérisés par une activité proche de la stagnation, appuie Didier Paquot. Je ne parlerais pas de récession.” Pour autant, les trois organisations émettent chacune un bémol. Au Beci: “Cet état pourrait bien durer des années, un peu comme le Japon qui a mis 20 ans à redémarrer” ; à la FEB: “La situation est très fluide, tout peut changer rapidement” ; et à l’UWE : “Il faudra voir comment évolue la crise de la dette souveraine et l’économie des Etats-Unis”. Prudence, prudence…

BENOÎT MATHIEU

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content