La Belgique continue à séduire les exilés français

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L’exil des Français en Belgique n’est plus seulement l’apanage des grosses fortunes et riches hommes d’affaires à la recherche d’économies fiscales. Le phénomène touche aujourd’hui une population de jeunes trentenaires, moins nantis et en quête de perspectives professionnelles.

Ils seraient environ 250.000 à vivre en Belgique, dont plus de la moitié à Bruxelles et dans les deux provinces du Brabant. “Ils”, ce sont bien évidemment les Français de Belgique. Après la Suisse (surtout Genève) et le Royaume-Uni (principalement Londres), la Belgique serait la troisième terre d’accueil des Français en Europe.

Les communes favorites dans lesquelles ils s’installent se situent surtout dans le Hainaut occidental (Mouscron, Estaimpuis, Néchin, etc.) et à Bruxelles (Uccle et Ixelles). Avec plus de 50.000 habitants, ils seraient même les étrangers les mieux représentés dans la capitale. Points de chute de prédilection pour ces exilés d’outre-Quiévrain ? Les beaux quartiers situés au sud de la ville, à proximité du Bois de la Cambre et de la Forêt de Soignes.

L’exilé rajeunit

Le phénomène, on le sait, n’est pas nouveau. L’exil des Français remonte à la création de l’impôt sur la fortune (le fameux ISF) au début des années 1980. Le mouvement s’est néanmoins considérablement accéléré avec la mise en place sous l’ère Sarkozy de l’exit tax et l’élection de François Hollande en 2012. Selon une enquête réalisée à l’automne dernier par nos confrères de L’Echo, 20 des 100 plus grosses fortunes françaises seraient désormais présentes en Belgique d’une manière ou d’une autre, et les Français détiendraient au total 17 milliards d’euros dans le pays.

Mais comme l’écrivait dernièrement dans l’un de ses éditoriaux Alain Lefebvre, fondateur de Juliette & Victor, le magazine lifestyle destiné aux Français de Belgique, le profil des expatriés hexagonaux a changé : “L’exil touche aujourd’hui en France une population de plus en plus jeune, bardée de diplômes ou simplement en quête d’un premier emploi ou d’une première entreprise à créer”.

Pour le dire autrement, le mouvement ne concerne plus seulement des milliardaires en quête d’optimisation fiscale comme la famille Mulliez (propriétaire des magasins Auchan et Decathlon), des vedettes du showbiz comme Depardieu ou Jacques Essebag (alias Arthur), des patrons du CAC 40, des riches héritiers ou des propriétaires de PME qui ont vendu leur entreprise, mais aussi et surtout des trentenaires à la recherche de perspectives professionnelles. Ceux-ci ont choisi notre plat pays parce qu’ils considérent, à tort ou à raison, qu’il est plus facile d’y trouver un travail et encore plus facile d’y créer son entreprise.

Une dynamique différente

A en croire certains sondages, un jeune Français sur deux rêverait de partir vivre à l’étranger. Outre la proximité (via le Thalys) et des biens immobiliers de qualité à prix abordables, Bruxelles offre à cette nouvelle génération de candidats à l’exil des jobs dignes d’une capitale internationale. Le flux régulier d’exilés fiscaux génère en outre une forte demande dans les métiers de la banque privée, de la gestion de patrimoine et même dans les cabinets d’avocats. Siège des institutions européennes, Bruxelles abrite enfin également nombre de quartiers généraux européens de multinationales.

Mais ce n’est pas tout. Car ce qui pousse les jeunes Français à passer la frontière, c’est aussi le climat des affaires. Originaire de Nantes, Sabrina Bulteau (37 ans) peut en témoigner. Arrivée à Bruxelles voici cinq ans, elle est aujourd’hui à la tête de Be Connect, petite agence spécialisée dans les médias sociaux et le marketing mobile. Elle est également actionnaire de Restolastminute (une appli de bons plans de restos). “Je me suis installée à Bruxelles non pas pour des raisons fiscales mais pour monter ma société, raconte-t-elle sans ambages. On a un vrai problème en France avec la création de valeur. L’entrepreneuriat n’est pas nécessairement bien vu. Raison pour laquelle je suis venue chercher une mentalité différente à Bruxelles. Une mentalité plus pragmatique, plus ouverte à la création de richesse. Il y a ici beaucoup d’indépendants, de gens qui s’assument… Cela crée une dynamique complètement différente. La France n’a plus de capacité de remise en cause ni d’adaptation (lire par ailleurs la chronique de Thierry Afschrift). L’environnement est nettement plus propice en Belgique. Je ne suis pas étonnée de voir de plus en plus de jeunes Français entre 30 et 40 ans franchir le pas et venir s’installer en Belgique pour s’insérer dans cet écosystème.”

Convention avec la Suisse annulée

Il faut savoir aussi que les Français qui souhaitent avoir une activité professionnelle n’ont pas intérêt à mettre le cap sur la Suisse. Motif ? “La personne qui se délocalise en Suisse ne peut pas travailler”, nous explique Philippe Kenel, avocat suisse spécialisé dans la délocalisation de particuliers fortunés vers la Suisse et la Belgique et auteur d’un livre sur le sujet (lire l’encadré). “On vient en Suisse pour bénéficier du forfait fiscal, poursuit-il. Raison pour laquelle on y trouve surtout des rentiers ou des héritiers. Par contre, ceux qui veulent quitter la France tout en voulant continuer à travailler font le choix de Bruxelles ou de Londres, deux villes en outre facilement accessibles avec le train.”

Par ailleurs, la France vient de résilier unilatéralement sa convention de double imposition relative aux droits de succession avec la Suisse. Cette convention, entrée en vigueur en 1955, n’est plus applicable depuis le 1er janvier 2015. Sans entrer dans les détails, cela signifie qu’est désormais pris en compte, en cas de décès, non seulement le domicile du défunt en Suisse mais aussi celui de l’héritier en France, où la succession est désormais en partie taxée… ce qui devient nettement moins avantageux qu’avant.

Du coup, “les Français qui vivaient en Suisse avec des enfants en France sont fort embarrassés, nous confirme Alain Lefebvre. J’en connais certains qui sont dans le cas. Ils sont désormais confrontés à des problèmes de succession et obligés de se délocaliser dans un pays où la convention avec la Suisse est moins défavorable.” Philippe Kenel confirme aussi cette tendance, lui qui installe désormais en Belgique, pour cette raison-là, des enfants de Français vivant en Suisse. “Une petite dizaine jusqu’à présent”, dit-il.

Effet d’entraînement

Enfin, il est une dernière raison qui pousse de plus en plus de jeunes Hexagonaux à s’établir chez nous : la douceur de vivre et le côté de plus en plus facile de l’exil. C’est en tout cas ce que constate Sabrina Bulteau. “L’expatriation réussie de Français à Bruxelles montre qu’on y vit bien et que certaines choses sont possibles”, dit-elle avant d’ajouter que “cela rassure et suscite des vocations.” Résultat des courses, “j’en vois arriver certains dont on n’imaginait pas qu’ils déménageraient un jour, observe pour sa part Alain Lefebvre, qui a personnellement effectué la démarche voici une dizaine d’années. Ma fille qui nous a rejoint l’an dernier est, par exemple, redevenue copine avec des gens qu’elle n’avait plus revus depuis 10 ans.”

Il faut dire que, comme le souligne Philippe Kenel, se délocaliser à l’étranger est non seulement une aventure juridique et fiscale mais aussi une aventure humaine.

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