La BCE joue-t-elle avec le feu ?

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En ne prenant pas de nouvelles mesures pour résoudre la crise, la BCE prend le risque de laisser la situation économique se dégrader. Mais Mario Draghi a ses raisons.

Mais qu’attend donc la BCE pour agir ? Lors de son dernier comité de politique monétaire, la banque des banques s’est contentée de promesses. Mario Draghi a affirmé qu’il ferait tout ce qu’il peut pour sauver la zone euro. Mais le taux directeur de la BCE n’a pas baissé pour autant. Et les achats de titres de dette n’ont pas repris. Pourtant, la situation économique continue de se dégrader. La confiance des ménages est en berne. Les profits des entreprises ont reculé de 12% sur un an sur le Vieux continent. La situation politique se dégrade elle aussi. Le chef du gouvernement italien Mario Monti s’inquiète, dans un entretien au magazine allemand Der Spiegel, des tensions liées à la crise qui ont dressé certains pays contre d’autres, jugeant nécessaire d’empêcher qu’elles ne débouchent sur l’éclatement de la zone euro.

Un jeu dangereux

” Il est surprenant qu’après tant de bruit, la BCE ait si peu agi. Elle joue un jeu dangereux “, estiment les experts de JP Morgan. Aujourd’hui, la BCE est la seule qui puisse sortir la zone euro de l’ornière. Pour deux raisons. Tout d’abord c’est la seule à être crédible. Tous les économistes sont d’accord là-dessus. Lorsque la BCE décide quelque chose, elle le fait, et elle fait preuve d’efficacité. Les achats de titres de dettes, par exemple, ont fait baisser les taux d’intérêt à long terme. Lorsqu’il a fallu prendre cette décision, la BCE a réussi à s’organiser. Elle savait pourtant qu’elle allait au-delà de son mandat, note un économiste. Les gouvernements, à l’opposé, semblent incapables de prendre le taureau par les cornes.

La BCE a un autre avantage qui la rend indispensable : sa puissance de feu est colossale. Or l’Europe a justement deux problèmes de taille : la recapitalisation des banques et la stabilisation des marchés obligataires. Pour mener à bien ces deux missions, le Fonds de secours européen, le FESF ne suffit pas – il dispose de moins de 200 milliards d’euros de capacité de prêts. Il faudrait dans l’idéal une force de frappe d’au moins 1000 milliards d’euros, estime l’économiste Patrice Gautry. La BCE ne peut pas s’en charger seule. Mais on pourrait mettre en place une ligne de crédit du FESF sur la BCE pour un montant illimité. Cela permettrait de reprendre les achats de titres de dette dans de bonnes conditions. Car rien que pour ramener le taux d’intérêt à long terme sur la dette publique italienne a des niveaux raisonnables, il faudrait acheter 26 milliards d’euros de titres par semaine, selon un calcul de Natixis.

Des raisons de temporiser

Mais même si la BCE peut faire beaucoup pour sauver la zone euro, Mario Draghi a aussi des raisons de temporiser. Si la banque centrale en fait trop, les gouvernements ne seront pas incités à réduire la dette publique. Résultat, les attaques perdureront sur les marchés obligataires. En économie, on appelle cela un aléa moral, notent les experts de Natixis : lorsqu’on sait que l’on va être sauvé, on fait moins d’efforts pour se débattre. La BCE a donc intérêt à conditionner et à retarder son aide, le temps que les gouvernements mettent de l’ordre dans leurs finances. Elle a aussi intérêt à attendre les avancées des pays les plus fragiles en matière de réformes. Rien ne sert en effet, de financer l’Espagne si elle ne parvient pas à trouver un nouveau chemin de croissance, l’ancien ressort de l’immobilier étant durablement cassé.
Enfin, la BCE temporise pour des raisons techniques. Pour mettre en place la liaison entre la BCE et le FESF et racheter par exemple, des titres espagnols, il faut du temps. L’intervention du FESF suppose dans un premier temps une demande d’aide de l’Espagne. Ensuite, la BCE doit écrire un rapport et les parlements allemands et finlandais doivent donner leur aval. Période de vacances oblige, le FESF pourrait ne pas être disponible avant septembre, notent le experts d’Aurel BGC. Problème : d’ici là, les marchés auront amplement le temps de tester les nerfs de Mario Draghi en tirant les taux espagnols et italiens vers de nouveaux sommets.
La BCE semble jouer l’immobilisme, mais on s’approche sans doute du point de non-retour, où elle devra laisser son bilan s’accroître considérablement afin de soulager la zone euro, avec tous les impacts que cela implique sur la valorisation de la devise, concluent les experts de JP Morgan. C’est là que réside l’ironie de la situation : Mario Draghi pourrait devoir laisser l’euro s’effondrer pour préserver la monnaie unique.

Par Sébastien Julian, L’Expansion

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