“La BCE joue le rapport de forces avec les Etats”

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La Banque centrale européenne a de nouveau fermé la porte à une intervention massive sur le marché de la dette. Mais pourrait-elle changer d’avis si la discipline budgétaire s’imposait en zone euro? Les réponses de Benjamin Carton, économiste au Cepii.

La BCE a décidé de ne pas intervenir pour racheter massivement de la dette des Etats. C’est une surprise ?
Clairement non car il y a toujours un problème de crédibilité des Etats sur la prise en main de leur déficits. On pourrait envisager un partenariat gagnant-gagnant entre les membres de la zone euro: la promesse d’une rigueur budgétaire contre une intervention massive pour soutenir les taux. Mais ce marchandage est rendu impossible car d’un côté il s’agit d’une action immédiate de la BCE, et de l’autre des promesses sur vingt ans. Or en Italie par exemple, rien ne dit qu’un Silvio Berlusconi ne reprendra pas le pouvoir dans six mois ou un an, et remette en cause la rigueur.
Elle ferme également la porte à des prêts au FMI qui financerait lui-même les Etats.

La BCE a-t-elle vraiment conscience du danger qui rôde en zone euro ?

Elle sait parfaitement ce qu’elle fait, elle a une action de type politique. Et sur le FMI, elle ne peut pas d’un côté écarter une action directe, en ouvrant la porte de l’autre à un financement indirect par le fonds monétaire. Aujourd’hui elle veut plutôt jouer le rapport de forces avec les Etats pour les pousser à prendre en main leurs déficits. Alors certes elle agit déjà, elle a racheté près de 200 milliards d’euros de titres d’Etats depuis mai 2010. Mais malgré la faiblesse de son intervention, elle a un pouvoir de pression sur les pays : celui de se retirer si les mesures de rigueur promises ne sont pas appliquées.

Mais le temps presse et les marchés n’attendent pas…

Oui, et il faut voir à qui profite ce temps. Plus les jours passent, plus les Etats font de la discipline budgétaire ce qui va dans le sens de ce que souhaite la BCE. Mais si la situation se dégrade notamment sur la croissance, alors nous atteindrons un point de non retour. Et à ce moment, la BCE devra racheter 2.000 milliards d’euros de dette d’un seul coup. Là elle sera prise à son piège.

La BCE a également décidé de baisser son taux directeur et de soutenir les banques. Ce sont des mesures anecdotiques ?

Le problème des banques aujourd’hui ce n’est pas le loyer de l’argent mais l’accès à l’argent. Là-dessus la baisse du taux directeur n’a pas d’importance. En revanche, la décision de financer les banques à trente six mois est une très bonne chose pour les aider à financer l’économie. Il faut savoir que jusqu’en 2007, la BCE ne prêtait qu’à une semaine. Elle a complètement changé de rôle, aujourd’hui elle se comporte presque comme une banque. Cette décision, comme celle la semaine dernière de faciliter l’accès des banques en dollars vont dans le bon sens.

Avec un FESF au ressources limitées et un MES (Mécanisme européen de stabilité) aux contours encore flous, l’Europe est-elle crédible pour rassurer les marchés alors que le sommet européen est scruté par les marchés ?

Il est clair que les dirigeants vont être forcés de prendre des décisions un peu sérieuses lors de ce sommet qui n’offre plus de droit à l’erreur. On est face à une crise de liquidités, et le FESF aux ressources trop faibles ou la règle d’or ne répondent absolument pas au problème. Les marchés veulent que la BCE intervienne, le reste n’a aucune importance pour eux. D’ailleurs, la menace de Standard and Poor’s de dégrader toute l’Europe n’a pas de lien direct avec les déficits budgétaires. Elle ne fait que refléter les impressions des marchés sur les titres de dette en tant qu’instrument financier. Et seule une intervention massive de la BCE peut les calmer.

L’Allemagne a laissé entendre qu’elle pourrait soutenir une action de la BCE si la discipline budgétaire était adoptée. Elle pourrait faire pression sur la BCE malgré son indépendance ?

La BCE ne devrait pas s’opposer à l’Allemagne si Berlin décide qu’il faut intervenir. Alors bien sur la BCE est indépendante et elle le rappelle sans cesse. Mais elle ne l’est jamais complètement, et se doit de prendre en compte le débat politique, en s’adaptant si l’ensemble des Etats soutiennent cette mesure. D’autant que l’inflation, son principal cheval de bataille, est plutôt menacée par une baisse que par une hausse. Pour intervenir il lui faut des gages, et si les Etats les donnent lors du sommet il n’y a pas de raison qu’elle n’intervienne pas.

Propos recueillis par Ali Bekhtaoui

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