“La baisse du coût du travail ne peut pas servir à augmenter les salaires”

© Léo De Bock/Reporers

Le vice-Premier ministre Kris Peeters ne désespère pas de voir les partenaires sociaux s’accorder sur son projet de loi balisant la flexibilité au travail, ainsi que sur l’adoption d’une marge salariale plus stricte pour le prochain accord interprofessionnel.

A gauche, on le dépeint comme le fossoyeur de la concertation sociale. Lui n’a pourtant que ce mot-là à la bouche : concertation. Kris Peeters la juge cependant plus pertinente au niveau sectoriel. C’est là, dit-il, que l’on pourra trouver ” les solutions les plus innovantes ” pour adapter notre organisation du travail à une économie mondiale en pleine transformation.

KRIS PEETERS. Parce que, justement, ces accords internes sortent bien souvent du cadre légal. Quand l’inspection sociale examine certaines situations, c’est parfois très délicat. Je propose un cadre qui permettra aux secteurs de trouver des solutions innovantes. De nouvelles modalités d’organisation du travail, plus modernes, doivent être définies mais ce n’est pas à nous – nous, c’est-à-dire le ministre, le gouvernement ou le parlement – de le faire, c’est aux secteurs. Les solutions seront différentes pour le métal et pour le commerce, il faut leur laisser la liberté de choisir. Je suis convaincu que nous avançons vers des modèles ” sur mesure “.

Le cadre réglementaire ne va-t-il pas, au contraire, gommer cette souplesse qui permettait de trouver des solutions pour aménager le temps de travail dans de nombreuses entreprises ?

Je ne parle pas d’un cadre très sévère et uniforme. Mon projet de loi, c’est exactement l’inverse. Ma vision, c’est de permettre à chacun de trouver des solutions sur mesure.

Le monde du travail traverse de profonds changements. L’e-commerce nécessite de faciliter le travail de nuit, de pouvoir réagir plus vite à un afflux de commandes. Mais d’un autre côté, il ne faut évidemment pas rejeter le droit du travail et la protection des travailleurs. Nous devons trouver de nouveaux équilibres pour éviter que ces nouvelles activités se développent chez nos voisins et pas chez nous.

Avez-vous l’impression que les syndicats ne veulent pas comprendre cette philosophie ?

Je suis toujours étonné de constater que le débat se soit focalisé sur l’annualisation du temps de travail, sur les 38 heures. Tout le reste du projet de loi est fondamental et novateur. J’espère qu’on finira par comprendre que l’objectif est de stimuler les secteurs à trouver les solutions les plus adéquates pour eux. Dans certains secteurs, le métal notamment, on discute déjà de quelques modalités. Cela avance donc pas à pas et j’espère qu’on finira par bien voir le moteur innovant qui anime tout mon projet. Je suis patient.

Dans le cadre de l’annualisation du temps de travail, qui va décider des moments de pics et de creux d’activité ? Le travailleur n’est-il pas ici en position de faiblesse pour négocier avec son employeur ?

Les syndicats me disent que c’est inadmissible, que c’est un recul social. Mais de l’autre côté, la FEB et d’autres organisations patronales me disent que mon projet est une boîte vide. Alors…

Alors vous êtes un vrai centriste…

Oui (sourire). Aucune de ces analyses n’est correcte. J’ai par exemple bien expliqué qu’on ne changeait pas le régime des sursalaires et on continue à dire l’inverse. Il faut trouver une solution, j’espère par la concertation dans le Groupe des 10. La situation des employeurs qui doivent gérer des ingénieurs, des universitaires, est tout à fait différente de celle de la distribution où il y a de nombreux temps partiels. C’est pourquoi je veux laisser des marges de manoeuvre aux secteurs, pour qu’ils trouvent les formules innovantes qui leur conviennent.

Le débat actuel sur la semaine des quatre jours ne pourrait-il pas être une bonne porte d’entrée pour réglementer la flexibilité ? Si on travaille quatre jours au lieu de cinq, il faut de toute façon repenser l’organisation…

C’est une proposition d’Elio Di Rupo, pas du gouvernement fédéral. Dans le contexte économique que nous connaissons, il faut rester raisonnable. La Belgique a l’économie la plus ouverte au monde, si nous voulons rester compétitifs, je ne pense pas que nous puissions décider seuls d’avancer vers un système avec quatre jours de travail payés. Maintenant, si les secteurs veulent réfléchir à une réduction du temps de travail, ils peuvent le faire.

Votre projet aborde également le télétravail. Cela peut contribuer à améliorer la mobilité et à réduire la pollution liée aux transports, mais beaucoup d’employeurs craignent que les personnes soient moins productives à la maison. Etes-vous prêt à soutenir financièrement le télétravail, par exemple via des réductions de cotisations sociales ?

© Léo De Bock/Reporters

Vous connaissez notre situation budgétaire. Je ne suis pas dans une position où je pourrais donner des cadeaux ou des incitants fiscaux. Je veux évidemment stimuler le télétravail et faire évoluer les mentalités, des deux côtés, mais sans passer par des incitants financiers. J’essaie d’adapter la réglementation, de prévoir la possibilité de télétravail occasionnel. Le télétravail a toute une série d’implications sur les accidents de travail, l’intervention de l’employeur dans les frais de déplacement, etc. Il est important de régler cela pour que le télétravail devienne plus populaire.

Le télétravail, c’est travailler un ou plusieurs jours à domicile. Mais c’est aussi l’ordinateur qu’on rallume à la maison ou le smartphone qui nous rend toujours joignable. Faut-il, selon vous, réglementer cela ?

Dans certaines fonctions, c’est devenu normal d’être joignable en permanence. Mais on ne peut imposer cela à tout le monde, quand on voit déjà le nombre de burn-out. En France, une loi impose le droit de se déconnecter à certains moments, de ne pas lire ses e-mails. Pour l’heure, ce n’est pas au menu des discussions en Belgique mais, une nouvelle fois, au niveau des secteurs on doit pouvoir négocier des solutions. Cela me semblerait plus pertinent que de chercher à tout prix un cadre général.

Je vous entends revenir tout le temps avec ces négociations sectorielles et j’entends par ailleurs les syndicats clamer que vous tuez la concertation. Où donc se situe le vrai Kris Peeters ?

Du côté de la concertation évidemment. C’est très frustrant pour moi d’entendre l’inverse. Ce qui est vrai c’est que, tout en respectant la concertation interprofessionnelle et le Groupe des 10, je donne un poids plus lourd à la concertation sociale au niveau sectoriel. Je suis convaincu qu’il existe une dynamique énorme à ce niveau. Et je trouve étrange et paradoxal que les syndicats refusent d’admettre que cela fait vraiment partie de mon projet.

Le groupement d’employeurs paraît une piste intéressante mais très peu utilisée. Quels incitants pourriez-vous envisager pour populariser les groupements d’employeurs ?

Je suis convaincu que cela peut s’avérer très utile pour les PME et mon projet prévoit des facilités supplémentaires pour y recourir. Le groupement d’employeurs fonctionne très bien en France et pas du tout chez nous. Pourquoi ? Je l’ignore. C’est la même chose pour les dons de congé, sur une base volontaire. Un grand succès en France et, ici, on dit que cela briserait la solidarité. Sincèrement, je ne comprends pas. Moi, je reste calme et j’essaie d’expliquer les choses chaque fois que je le peux. Moderniser le droit du travail, c’est très sensible. Chaque individu a son opinion personnelle sur les 38 heures et le reste. C’est comme dans le football, chacun a sa vision, nous sommes tous entraîneur des Diables rouges.

Croyez-vous pouvoir aboutir cet automne ?

J’ai soumis deux projets importants à la concertation sociale : le travail faisable et la révision de la loi de 1996 sur la compétitivité. J’ai compris que le Groupe des 10 se réunit à ce propos.

Avez-vous fixé une ” deadline ” ?

La deadline, c’est que je veux stimuler la concertation interprofessionnelle. Un accord 2017-2018 doit être déterminé en fin d’année. Le cadre de cette négociation devrait donc, pour le bien, être fixé en octobre-novembre.

Cela signifie-t-il que, s’il n’y a pas d’accord du Groupe des 10, vous passerez en force au parlement en novembre ?

A un certain moment, il peut y avoir une tension entre les deux calendriers. Quand ? Il ne serait pas très sage de fixer une date. Mon souhait reste que le Groupe des 10 parvienne à trouver un compromis sur le travail faisable et la compétitivité. Nous aurions alors une sorte d’atmosphère qui faciliterait la conclusion d’un accord interprofessionnel en fin d’année.

Venons-en à la révision de la loi de 1996. Pourquoi pensez-vous qu’il faut en venir à une marge salariale impérative plutôt qu’indicative ?

Nous avons dégagé plusieurs milliards d’euros pour réduire les charges sur le travail – cela avait bien été entamé par le gouvernement Di Rupo, je dois le souligner – et maintenant l’écart créé avec les pays voisins depuis 1996 a été pratiquement ramené à zéro. Il ne faudrait pas que maintenant que la baisse du coût du travail soit utilisée pour augmenter les salaires. Pour moi, ce serait inacceptable. La diminution du coût salarial doit servir à la création d’emplois et pas à la relance d’un écart de compétitivité avec nos pays voisins.

Tantôt vous plaidiez en faveur de négociations sectorielles, maintenant vous voulez empêcher les secteurs de déroger à une marge salariale nationale. Est-ce bien cohérent ?

J’accorde aussi une certaine liberté de négociation aux secteurs mais, j’en conviens, une liberté moins grande qu’en matière de flexibilité. Je ne peux pas leur donner une marge de manoeuvre qui reviendrait à utiliser la baisse des cotisations sociales, un gros effort budgétaire de la part du gouvernement, pour augmenter les salaires. Notre priorité, c’est la création d’emplois.

Le dossier est dans les mains du Groupe des 10, j’espère qu’ils parviendront à nous formuler une proposition de consensus.

Faudrait-il, comme le demande la FEB, rattraper aussi l’écart salarial d’avant 1996 ?

Ce n’est pas prévu dans l’accord du gouvernement. Mais si le Groupe des 10 s’accorde sur ce plan, nous sommes prêts à le suivre.

L’un des gros chantiers actuels du gouvernement, c’est la réforme de l’impôt des sociétés. Pourquoi doit-elle, selon vous, se faire dans un cadre budgétaire neutre ?

Pour atteindre l’équilibre en 2018, comme le prévoit l’accord de gouvernement, nous devons trouver 6,6 milliards d’euros. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas nous permettre une aventure budgétaire. Nous avons déjà un débat à propos de l’impact du tax shift en 2018-2019 (il reste 3 milliards à financer, Ndlr), n’en ajoutons pas ! La réforme doit être neutre, à l’intérieur de l’impôt des sociétés.

Cela signifie, comme le soulignait l’économiste comme Bruno Colmant (Degroof Petercam) qu’on effectue des transferts internes mais qu’on n’allège pas la fiscalité des entreprises…

La réforme doit simplifier l’impôt des sociétés, cela libère du temps qui pourra être investi d’une autre façon par les entreprises. C’est un chantier énorme. Sur la base des calculs du Conseil supérieur des Finances, il faudrait élargir la base imposable de 70 %, soit 30 milliards d’euros afin de compenser une baisse du taux de l’Isoc à 20 %. C’est pour cela, je pense, que la FEB suggère une formule plus modeste à 24 %.

Le modèle de la FEB prévoit surtout le maintien des intérêts notionnels. Etes-vous sur la même longueur d’onde ?

Je suis ministre de l’Economie, j’ai régulièrement souligné l’importance des intérêts notionnels pour l’industrie pharmaceutique et chimique dans notre pays. J’ai aussi rappelé que le choix des multinationales sera un leave or stay. Ces entreprises veulent une stabilité juridique, stabilité que nous avions d’ailleurs prévue dans notre accord de gouvernement.

J’étais autrefois conseiller fiscal à l’Unizo et mon expérience m’invite à penser que stimuler les investissements sur fonds propres est une politique intelligente. Ce n’est pas évident de supprimer cela. Et pas seulement pour les multinationales.

Quitte à ce que l’on ne descende pas jusque 20 % ?

J’ai vu en tout cas que la proposition de la FEB prévoyait un taux un peu plus élevé.

Je n’ai pas dit qu’il ne fallait toucher à rien. Il faut rendre le système plus favorable aux PME. A part elles, quelles entreprises paient effectivement 33,99 % d’impôt sur leurs bénéfices ? Les petites entreprises créent de l’emploi, elles doivent être les gagnantes de la réforme de l’impôt des sociétés.

Ce gouvernement a déjà relevé le précompte mobilier. Pourriez-vous accepter une nouvelle hausse du précompte mobilier, pour financer une baisse de l’impôt des sociétés ?

Le Conseil supérieur des Finances a lancé cette idée. Je rappelle que nous ne devons pas seulement compenser une baisse du taux d’imposition des sociétés, nous devons aussi trouver 2,4 milliards d’euros pour le budget. Si vous utilisez une idée pour l’Isoc, vous ne pouvez plus l’utiliser pour le reste du budget… Cela dit, ce n’est pas un tabou pour moi, le débat est ouvert.

La réforme devrait-elle inclure un coup de pouce supplémentaire aux jeunes entreprises, les plus grandes contributrices à la création d’emploi d’après le Bureau du Plan ?

Notre gouvernement a déjà initié des mesures très importantes pour les jeunes entreprises, que ce soit avec le ” zéro cotisation ” sur les premiers emplois ou le tax shelter (pour les start-up, Ndlr). Je ne pense pas que nous puissions aller plus loin aujourd’hui.

Ces mesures soutiennent l’emploi mais ne parviennent pas à doper la croissance qui reste inférieure à celle des pays voisins. Cela vous déçoit-il ?

Non, nous allons dans la bonne direction. Mais effectivement, cela reste modeste, trop modeste pour pouvoir prendre le risque de se lancer dans des aventures qui mettraient en danger ce redressement économique, il ne faut pas brusquer les choses. Stimuler une économie aussi ouverte que la nôtre, ce n’est pas évident.

Propos recueillis par Christophe de Caevel / Photos : Léo De Bock – Reporters.

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